Chris.D.+

Oecuménisme et miséricorde... Une histoire de réconciliation ?

10 Mars 2016, 20:00pm

Publié par Christophe Delaigue

[Mes notes prévues pour l'intervention que je devais donner à Morestel pour la Paroisse St Pierre du Pays des Couleurs, ce 10 mars 2016 au soir ; ce sont mes notes de préparation, en style plutôt oral, non retravaillé ni corrigé pour la publication sur ce blog...]

Œcuménisme et miséricorde… C’est le thème qui m’est proposé pour ce soir avec un lien spontanément évident à l’Année de la miséricorde et une interrogation pour moi sur le choix de parler de l’œcuménisme ce soir, dans cette paroisse là où peut-être – je ne sais pas – c’est une question qui est d’actualité – ou alors le lien à l’actualité ecclésiale œcuménique avec ce qu’on entend sur le concile pan-orthodoxe ou les 500 ans de la Réforme en 2017 – ? En tout cas c’est le thème qui nous rassemble mais un thème très vaste pace que les deux sous-thématique sont elles aussi très vastes. Il y aurait plein de choses à aborder tant pour l’œcuménisme que pour la question de la miséricorde. Alors que faire de cette articulation ? Je propose ce qui est mon sous-titre à cette intervention comme point de jonction entre ces deux thématiques de l’œcuménisme et de la miséricorde : l’un comme l’autre ça a à voir avec la question de la réconciliation. Et ça tombe bien parce que le carême aussi. Ce sera donc ma porte d’entrée ou plutôt la thème réel de mon propos pour parler d’œcuménisme – c’est ce dont je sais parler – et pour aborder la question de la miséricorde par un biais plus qu’un autre !

Et ça m’intéresse d’autant plus que je fais le « pari » que parler de l’œcuménisme comme chemin de réconciliation ça peut nous aider à comprendre la miséricorde dans sa dimension de réconciliation, cette réconciliation que nous avons à vivre, et à la comprendre dans la dimension de ce que nos paroisses chaque année essayent de nous faire redécouvrir, la question du pardon. Pour le dire autrement : mon propos ce soir et le parti-pris qui va être le mien ce sera celui de quelqu’un qui s’intéresse à la question de la réconciliation entre les chrétiens, avec ce « pari » que je fais que la question et la mise en œuvre de la recherche de l’unité des chrétiens pourrait nous aider à comprendre cette difficile question du pardon et de la réconciliation que nous avons tous à vivre, et que nous avons à vivre non pas sous le seul angle de l’unité de l’Eglise – ce serait évidemment réducteur même si je suis persuadé que ça nous concerne tous – mais que nous avons tous à vivre dans notre quotidien et dans nos relations de chaque jour, et dans ce qui fait notre vie avec son lot d’épreuves et de questions.

Avant de me plonger dans le sujet, je vous partage une remarque introductive, une réflexion ou une question un peu spontanée qui m’est venue en commençant à préparer cette intervention : quand on parle de réconciliation, est-ce que ça recouvre la même chose que lorsqu’on parle du pardon ? Il me semble que le vocabulaire de la réconciliation est moins présent dans nos prédications ou nos propositions pastorales que celui du pardon… Or au début du carême nous avons entendu cet appel de Paul : « Au nom du Christ, nous vous en supplions, laissez-vous réconcilier avec Dieu » ; il est question de réconciliation et pas de pardon, au sens strict de ce qui est demandé avec force par Paul. Et dans beaucoup de paroisses, nous proposons en ce moment, de diverses façons sans doute, des soirées ou des rencontres où il nous est donné de vivre ou de redécouvrir ce que nous appelons le sacrement du pardon mais dont le nom exact est en fait « sacrement de la pénitence et de la réconciliation ». Est-ce que le pardon et la réconciliation c’est la même chose ? Vous verrez que c’est évidemment lié et qu’il faut même « tricoter » ensemble les deux, mais que l’un des termes ne peut se réduire à l’autre, je crois. Je n’en dis pas plus pour l’instant…

La réconciliation des chrétiens… L’œcuménisme… C’est un chemin difficile. Avec deux pièges dans lesquels on risque de tomber :

  • 1er piège : décider de passer outre nos siècles de séparation et de division pour décider d’avancer ensemble dans une sorte de respect de fait de notre différence et de nos façons diverses de voir les choses et de vivre en Eglise ; pour le dire autrement : arrêter de se prendre la tête avec la passé, laisser tomber nos différences et nos incompréhensions et avancer en se prenant tel qu’on est et quasiment en recommençant à zéro…
  • 2ème piège : nous embourber dans d’interminables discussions, notamment théologiques et ecclésiologiques, qui peuvent parfois devenir un peu sclérosantes et qui pourraient parfois devenir comme un alibi pour ne pas poser d’actes concrets qui permettent de réelles avancées vers une communion effective…

Présenté comme ça vous allez me dire qu’il vaut sans doute mieux éviter la discussion ou la théologie et passer aux actes communs. Et présenté comme ça je pense que je suis spontanément d’accord avec vous. Sauf qu’en fait, vous vous en doutez, c’est forcément plus subtil que cela et qu’il va falloir tenir les deux. L’enjeu des débats théologiques, par exemple, il va être d’apprendre à se comprendre, comprendre qui je suis et qui est l’autre. Et quand je dis comprendre c’est comprendre d’où je viens, c’est-à-dire dans quel héritage je me situe qui m’a forcément façonné, que j’en ai conscience ou non et que je me sois construit par imitation ou par opposition à cet héritage. Et quand je dis comprendre d’où je viens, c’est à la fois comprendre ce qui m’a été transmis et le sens que ça avait ou que ça peut encore avoir, et c’est essayer de mettre en mot, petit à petit, ce à quoi je tiens, mes convictions fortes, ce qui structure ma façon de vivre, que ce soit vivre ma foi ou vivre en Eglise si j’en reste à cette question de l’œcuménisme. Et le même travail va être à faire pour l’autre. Lui, quant à son héritage et son histoire, et moi, par rapport à ce que je perçois de son héritage et de son histoire.

Je prends un exemple : je peux très vite dire des orthodoxes que leur liturgie est d’un autre monde et d’un autre âge. Si vous avez déjà été à une liturgie orthodoxe, c’est vrai que c’est vraiment dépaysant, c’est culturellement très marqué et il y a toute une théâtralité que nous catholiques nous avons été tentés de rejeter ou en tout cas de réajuster, pour que ce soit plus proche de notre vie de tous les jours – certains diront qu’on a un peu « protestantisé » notre liturgie ; et c’est clairement ce qu’on a pu faire quand parfois le côté animation a pris le dessus sur le côté spirituel et prière. Le problème c’est que si je dialogue avec des orthodoxes en disant que leur liturgie me paraît d’une autre monde et d’un autre temps, on risque de vite être bloqués dans le dialogue. Alors que l’enjeu il va être en fait de faire le détour par la compréhension de pourquoi c’est comme ça, pourquoi c’est important pour eux, pourquoi ça les questionne éventuellement au regard des questions pastorales qui sont les leurs, dans ce monde et cette société qui sont les leurs. Mais si je veux qu’il y ait un dialogue réel, je ne peux pas en rester là, il faut que j’accepte de me questionner sur ma propre pratique, en voir les richesses, les faiblesses et les questions, mais aussi l’héritage dans lequel ça s’inscrit et ce que ça dit de mon identité. L’enjeu, petit à petit, il va être de comprendre l’autre dans son propre langage et de mieux me comprendre aussi.

Je prends un autre exemple, avec les Eglises évangéliques. Très longtemps on a dit : ce sont des sectes. Pourquoi ? Ce qui nous était renvoyé c’était que c’était des communautés très communautaires, donnant parfois l’impression qu’elles tournaient sur elles-mêmes. Des communautés, en plus, avec souvent un réel partage des biens, mais qui n’est pas de notre culture finalement très individualisée et pas tellement communautaire. En plus on les trouvait prosélytes et ça nous gênait ; et en plus ce sont des communautés jeunes et finalement assez dynamiques, sont on craint du coup qu’elles nous fassent de l’ombre ou de la concurrence. Je caricature à peine. Comment voulons-nous dialogue sereinement si c’est ça notre base de départ ? Est-ce que ça n’est pas plus fructueux d’essayer de comprendre qu’est-ce qui fait leur vivre-ensemble, qu’est-ce que ça dit de leur foi, et en quoi ça peut nous interpeler, y compris positivement ? Personnellement je suis de plus en plus persuadé que les communautés évangéliques ont une richesse insoupçonnée sur leur vivre ensemble et la question de l’évangélisation, une richesse qu’il nous faut entendre parce que ça pourrait renouveler nos communautés, mais une richesse à articuler avec d’autres richesses que nous avons, par exemple dans notre dialogue au monde et aux autres religions.

Vous aurez peut-être remarqué que l’air de rien je suis passé de la réconciliation au dialogue. C’est sans doute une des conditions de la réconciliation – y compris des réconciliations et de pardons que nous avons à vivre, nous, dans notre quotidien : il faut dialoguer. Et dialoguer ça veut dire quoi, ça veut dire reconnaître l’autre comme quelqu’un, quelqu’un qui est là, quelqu’un à qui j’ai des choses à dire mais aussi de qui j’ai des choses à entendre.

Alors se réconcilier, à quoi bon ? Peut-être déjà pour découvrir en l’autre quelqu’un avec qui nous pouvons nous enrichir pour devenir vraiment nous-mêmes. Jean Paul II parlait de l’œcuménisme comme une échange de don à vivre. Ça me parle… Le pape François, reprend cette idée dans son Exhortation apostolique La joie de l’Evangile quand il écrit au n°246 :

« Étant donné la gravité du contre témoignage de la division entre chrétiens, particulièrement en Asie et en Afrique, la recherche de chemins d’unité devient urgente. Les missionnaires sur ces continents répètent sans cesse les critiques, les plaintes et les moqueries qu’ils reçoivent à cause du scandale des chrétiens divisés. Si nous nous concentrons sur les convictions qui nous unissent et rappelons le principe de la hiérarchie des vérités, nous pourrons marcher résolument vers des expressions communes de l’annonce, du service et du témoignage. La multitude immense qui n’a pas reçu l’annonce de Jésus Christ ne peut nous laisser indifférents. Néanmoins, l’engagement pour l’unité qui facilite l’accueil de Jésus Christ ne peut être pure diplomatie, ni un accomplissement forcé, pour se transformer en un chemin incontournable d’évangélisation. Les signes de division entre les chrétiens dans des pays qui sont brisés par la violence, ajoutent d’autres motifs de conflit de la part de ceux qui devraient être un actif ferment de paix. Elles sont tellement nombreuses et tellement précieuses, les réalités qui nous unissent ! Et si vraiment nous croyons en la libre et généreuse action de l’Esprit, nous pouvons apprendre tant de choses les uns des autres ! Il ne s’agit pas seulement de recevoir des informations sur les autres afin de mieux les connaître, mais de recueillir ce que l’Esprit a semé en eux comme don aussi pour nous. Simplement, pour donner un exemple, dans le dialogue avec les frères orthodoxes, nous les catholiques, nous avons la possibilité d’apprendre quelque chose de plus sur le sens de la collégialité épiscopale et sur l’expérience de la synodalité. A travers un échange de dons, l’Esprit peut nous conduire toujours plus à la vérité et au bien. »

Le pape François reprend donc cette expression de Jean-Paul II d’un œcuménisme comme échange de dons. Ça me fait penser à un verset de l’évangile de Jean que je cite souvent parce que c’est au cœur de ce que nous avons à vivre, un verset qui est complètement lié à ce que nous essayons de réfléchir ensemble ce soir. C’est Jésus qui dit à ses disciples : « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on reconnaîtra que vous êtes mes disciples ». L’amour vécu dans toutes les situations : entre nous d’une même communauté ecclésiale et d’une même Eglise, l’amour dans une famille, l’amour entre chrétiens de différentes confessions qui tous se pensent et se croient disciples de Jésus Christ ; et puis plus largement l’amour du prochain quel qu’il soit. En disant cela je ne fais que rappeler l’évangile et ce que Jésus nous montre dans ses rencontres, que ce soit avec la Samaritaine ou avec la femme adultère, que ce soit l’histoire de celui qu’on appelle le « bon samaritain » ou celle du fils prodigue et de son frère aîné, que ce soit aussi l’appel à aimer même les ennemis. Nous pouvons et nous avons le droit d’avoir des ennemis – Jésus sait bien que la vie n’est pas fleur bleue, il va même être mis à mort – mais nous sommes appelés à les aimer, et donc ça veut dire que c’est possible, car Dieu ne nous demande pas l’impossible. La question ce sera alors de trouver quels chemins j’ai à vivre pour que ce soit possible ou que ça le devienne…

Se réconcilier avec l’autre quel qu’il soit, c’est décider de vivre l’appel à aimer qui est le cœur de l’évangile. Et aimer l’autre ce n’est pas décider de le faire rentrer dans mes cases et mes fonctionnements ou ma façon de penser, aimer c’est d’abord écouter qui est l’autre, qu’est-ce qu’il a vécu, qu’est-ce qu’il porte en lui comme valeurs et plus fondamentalement comme désirs de vie, qu’est-ce qui l’a construit en termes de forces de vie mais aussi d’épreuves, etc. L’écoute de l’autre et la mise en mot de ce que nous portons les uns les autres comme condition de la réconciliation. Car l’autre comme moi est quelqu’un, et l’autre comme moi est quelqu’un qui a quelque chose à apporter et à offrir à ce monde. Nous avons en tous en nous quelque chose de bon et de beau, qui que nous soyons et quoi que nous ayons pu faire. Peut-être que c’est très enfoui, je ne sais pas, mais c’est à faire éclore, à faire germer… Les uns grâce aux autres… J’aime bien cette définition que j’avais entendu un jour dans une retraite du séminaire, il y a une dizaine d’années : « aimer c’est ouvrir un avenir à l’autre » ; c’est vouloir, c’est essayer d’ouvrir un avenir à l’autre…

J’en reviens à la réconciliation entre les chrétiens. Nous avons derrière nous des siècles de séparation et de division, et du coup des siècles d’incompréhensions réciproques et de refus de nous comprendre, pour tout un tas de bonnes raisons apparentes. Parfois nous nous sommes même construits en opposition à l’autre – c’est particulièrement flagrant avec les Eglises issues de la Réforme jusque dans leur façon de se présenter – même s’il nous faut reconnaître que dans l’opposition à l’autre nous avons fini par entendre des choses et à nous laisser bouger mutuellement. Le concile Vatican II, par exemple, répond à un certain nombre de réformes que voulait Luther. Il nous paraît normal aujourd’hui que la Parole de Dieu soit travaillée, lue ensemble et annoncée. C’est même la mission première de tout baptisé et de tout ministre de l’Eglise. Il nous paraît normal aussi qu’elle soit le critère de vérité et d’autorité de nos décisions et de nos actes. Ça n’a pas toujours été le cas…

Autre point, par exemple, la notion dont vous avez peut-être entendu parler de « sacerdoce commun des fidèles » est devenu une évidence, au point que lorsqu’on a peur que ce ne soit pas réellement mis en œuvre on réagit au quart de tour, au détriment parfois d’une plus juste compréhension des ministères.

Nous avons derrière nous, je le redis, des siècles d’incompréhensions. Et il faut que nous apprenions à nous connaître et à nous comprendre, parfois avec difficulté parce que nos séparations et nos divisions n’ont pas été le fruit que de questions théologiques mais aussi de questions politiques, et que tout cela a pu laisser de vraie traces, de vraies blessures qui ne sont pas encore cicatrisées, avec des traumatismes qui ont pu être violents. Je pense par exemple au triste épisode des croisades et notamment le sac de Constantinople en 1207 et la mise en place d’une hiérarchie latine parallèle, à la place des évêques orthodoxes ; les orthodoxes aujourd’hui encore nous ressortent tout ça. C’était en 1204 mais nous en sommes encore là. Pourquoi ? D’abord parce que ça a été violent humainement, ensuite parce que ça a été violent ecclésialement, et enfin parce qu’on a fait des amalgames : les chrétiens latins qui ont ainsi agit le faisaient forcément, a-t-on pensé, parce que Rome et donc l’Eglise d’Occident en avait donné l’ordre ; la preuve, dira-t-on, c’est qu’on a mis des évêques latins à la place des évêques d’Orient. Ça c’est ce que pensent les orthodoxes et ça les confirme dans ce qui se disait à l’époque, à savoir que l’Eglise d’Occident s’était détourné de la vraie foi. Sauf que ça on le disait pour une question théologique dont on n’avait pas forcément compris qu’elle cachait en fait un problème politique. Quand on regarde de près ce qui s’est vraiment passé, c’est beaucoup plus compliqué que tout cela ; les croisés étaient surtout des gens comme vous et moi, qui avaient été recrutés pour partir en guerre – contre l’invasion de l’islam – et des gens comme vous et moi qui pouvaient être attirés par ce qui a de la valeur et surtout qui ne savaient pas que ces chrétiens, bizarres parce que différents, étaient vraiment chrétiens ; du coup on ne se souciait pas beaucoup d’eux. En plus ils étaient à la botte de l’empereur de Byzance et il y avait là aussi des histoires politiques. Et puis, nos croisés, c’étaient des guerriers, recrutés pour cela. Là dessus vous rajoutez que l’Occident politique a voulu reconquérir l’Orient et que l’Eglise c’était finalement un moyen d’unité pour le pouvoir politique, d’où la mise en place d’un épiscopat latin. Et comme on ne se parlait plus depuis déjà presque deux siècles ou que ça balbutiait et qu’on ne se comprenait pas forcément, on n’a pas forcément vu le problème à mettre dehors les évêques orthodoxes. Et pendant des siècles on va vivre et se juger les uns les autres en se caricaturant et en laissant cette blessure puruler… Le travail de réconciliation il va être de prendre le temps de décrypter tout cela, de mettre en mot nos histoires respectives et nos blessures, de mettre en mot aussi nos compréhensions de qui est l’autre et de comment il vit, de mettre en mot ce que je pense et ce que je crois. Alors, petit à petit on va se redécouvrir comme frères. Et petit à petit on va pouvoir réconcilier nos histoires et nos mémoires, et apprendre à vivre des pardons, pour enfin avancer ensemble.

Le problème c’est qu’on voudrait que ça aille vite. Et souvent on entend dire que l’œcuménisme piétine… En fait ça avance, mais il faut du temps. Avec les orthodoxes par exemple on s’est ignoré et caricaturé pendant mille ans, pas étonnant qu’en 50 ans on n’ait pas réussi à retrouver tout de suite la pleine communion. D’autant plus qu’à l’intérieur de chaque Eglise il faut travailler à l’unité et à la communion. Ça vaut chez les orthodoxes – on attend qu’ils arrivent à se réunion en concile de toutes les Eglises orthodoxes ; ils y travaillent depuis plus d’un siècle, c’est enfin annoncé et ça pourrait être effectif en juin, mais il y a des tensions à cause de situations politiques complexes comme l’Ukraine par exemple –, la question de travailler à l’unité et à la communion à l’intérieur de chaque Eglise ça vaut donc chez les orthodoxes mais ça vaut chez nous – pensez à la question lefebvriste qui est une sorte de serpent de mer depuis le schisme dans la fin des années 1990 et pensez à la main tendue par Benoît XVI il y a quelques années et toutes les levées de boucliers dans nos communautés – ; et ça vaut chez les protestants qui est un « monde » et même une « nébuleuse », si j’ose l’expression, très complexe et très diverse.

Je fais peut-être une petite pause juste pour vous redonner peut-être quelques dates clés de l’histoire des séparations entre les Eglises et de l’histoire ensuite du mouvement œcuménique – juste une petite précision au passage le concile Vatican II dans son décret sur l’œcuménisme parle d’Eglises et communautés ecclésiales, j’en dis un mot dans quelques instant… Dans l’histoire de l’Eglise il y a eu deux grandes fractures :

  • d’abord entre l’Orient et l’Occident, en 1054 (date « théologique » et symbolique, avec la question du Filioque, et en 1204 avec la 4ème croisade et le sac de Constantinople) ; une rupture de communion qui entraîne un éloignement réciproque, mais l’ecclésiologie reste la même : ce qui fait l’Eglise c’est une communauté rassemblée, ou un ensemble de communautés, qui célèbre l’eucharistie sous la présidence et la conduite d’un évêque ; celui veille à la communion dans la foi avec les autres Eglises locales, par la profession de la même foi, la célébration de la même eucharistie, et la reconnaissance et le dialogue avec les autres évêques ; on appelle ça l’ecclésiologie eucharistique ;
  • puis en 1517 avec le schisme d’Occident qui là n’est pas un éloignement réciproque mais une sorte d’implosion de l’Occident avec un changement d’ecclésiologie : l’Eglise c’est la communauté locale qui vit et proclame la Parole de Dieu, c’est son critère d’unité et de régulation de la vie ecclésiale ; celle-ci, de plus, n’est plus pensée de façon « pyramidale » mais plutôt « horizontale », chacun à place égale avec quelques uns qui reçoivent une fonction spécifique au service de la communauté et notamment au service de la proclamation de la Parole (les pasteurs, mais aussi, dans certaines Eglises du Nord de l’Europe, des évêques).

A ce tableau très rapide vous rajoutez qu’il y avait d’autres Eglises en Orient déjà séparée depuis le 5ème siècle à peu près, en partie pour des raisons d’éloignement géographique, par exemple hors des frontières de l’Empire romain, et du coup des raisons de non participation à certains des grands conciles dont celui de Chalcédoine par exemple en 451. Et à tout cela encore vous rajoutez des enjeux politiques qui vont accentuer les séparations et les identités propres dans chacun de ces « mondes » ecclésiaux (en Orient il y aura aussi tous les phénomènes d’Eglises qui prennent leur autonomie, on appelle ça l’autocéphalie ; et en Occident la démultiplication des Eglises issues de la Réforme suite à un certain nombre de réveils spirituels).

Je reviens à la question du dialogue et de la réconciliation entre nos Eglises… Dans le dialogue avec les uns et les autres, le premier pas a été de reconnaître que l’autre croit aussi à Jésus Christ et au Dieu de Jésus Christ, et qu’il en vit, malgré les faiblesses et les erreurs de son Eglise. Du coup ça a été d’apprendre à se considérer comme frères – j’ai envie de dire frères « potentiels ». C’est ou c’était finalement un acte de foi. Et parce que nous acceptons de nous reconnaître comme frères « potentiels », alors nous allons pouvoir entrer en dialogue et essayer de nous comprendre, essayer de comprendre l’histoire et le langage de l’autre ; alors nous allons pouvoir cheminer ensemble et alors nous allons un jour nous reconnaître comme pleinement frères. Et à force de mise en mots et de pardons demandés, accordés, accueillis et reçus, nous allons nous réconcilier, c’est-à-dire retrouver la communion.

La question ce sera : voulons-nous retrouver la communion ? Et cette question se pose tout autant entre nos Eglises qu’entre nous dans nos communautés ecclésiales et paroissiales, mais aussi entre nous dans nos familles, et entre nous dans la société dans laquelle nous vivons, que ce soit à l’échelle de nos communes ou de nos pays, et par exemple avec les gens d’autres cultures, d’autres religions, etc. Et la question sera toujours de comment nous décidons et comment nous faisons concrètement pour passer du jugement sur l’autre à un regard aimant. Avec cette autre question que nous pose Jésus dans les évangiles : c’est quoi aimer ? Je l’ai déjà dit tout à l’heure mais je vous le redis, je crois qu’aimer c’est vouloir ouvrir un avenir à l’autre, c’est en tout cas vouloir essayer, aimer c’est prendre soin de l’autre quel qu’il soit, quelle que soit son histoire, sa foi, son orientation sexuelle, sa race, et je ne sais quoi encore ; et aimer c’est croire qu’en chacun, quel qu’il soit et quel que soit le mal qu’il ait pu faire ou me faire, il y a quelque chose de bon et de beau en lui, que quoi qu’il arrive il a quelque chose à apporter à ce monde. Peut-être que c’est très enfoui, que c’est très caché en lui ou en moi, mais c’est là, et c’est du coup à faire éclore et à faire grandir. Parce que je crois que l’autre est un frère sous le regard de Dieu.

La question ce sera du coup de savoir si nous voulons vivre en frères, si nous voulons vivre réconciliés… Pas pour dire que tout se vaut ou bien qu’on efface nos différences ou nos blessures. Non, ce serait nier soit nos richesses soit notre identité dans ce qui l’a construite. Au contraire… Et sans doute qu’une des étapes ce sera déjà d’accepter de vivre des chemins de pardon entre nous, s’il y a des chemins de pardon qui sont à vivre. Et parce que nous aurons décider d’entamer ce chemin, avec ses mises en mots et ses repentances, alors peut-être que la réconciliation sera possible, la réconciliation comme communion entre nous. Et parce que nous serons en communion alors la paix pourra grandir, de façon concrète, pas comme un vœu pieux ou une prière pieuse qui nous serait un peu étrangère.

Un mot d’ailleurs sur la prière. On voit en œcuménisme qu’il y a sans doute un enjeu de la prière sur les chemins de réconciliation que nous avons à vivre si nous voulons être fidèles au Christ et à l’évangile. Pourquoi est-ce qu’il y a là un enjeu ? Tout simplement parce que ce n’est pas notre œuvre à nous que nous voulons faire, mais celle de Dieu. C’est le Christ qui est notre point de rapprochement possible, c’est le Christ qui est notre point commun, c’est le Christ que nous voulons suivre et annoncer, c’est le Christ qui est la pierre angulaire sur laquelle construire et c’est son Royaume que nous voulons faire advenir. Et c’est bien la communion et l’unité telle que lui les veut que nous devons accueillir et construire. Ça suppose de nous mettre à l’écoute de ce qu’il va nous souffler, à la fois par sa Parole et ce qu’elle nous appelle à vivre, à la fois par les appels que m’adresse ce frère avec qui je suis en chemin de réconciliation et qui peut-être me bousculent, et à la fois par l’Esprit Saint lui-même qui fait de nous le Corps du Christ, c’est-à-dire sa présence en ce monde – ses mains, ses pieds et sa parole en ce monde. En plus c’est par la prière que je vais pouvoir recevoir l’Esprit Saint qui va pouvoir être cette force dont j’ai besoin pour avancer sur des chemins de réconciliation, des chemins qui peuvent être difficiles et décapants ; c’est lui l’Esprit Saint, l’Esprit du Christ, le souffle de vie et d’amour de Dieu, qu’il me faut demander pour que je me laisse convertir et que je me mettre vraiment à l’écoute de l’autre dans ce qu’il a à me révéler de lui-même et de ce qu’il va me permettre d’entendre en moi de ce que je suis et de ce que je porte. Et c’est lui, l’Esprit Saint qui va me convertir et me permettre de passer du jugement ou des idées préconçues à un regard et une écoute du cœur qui soit attentifs à ce que l’autre est réellement, dans la complexité de son histoire et de son héritage spirituel, humain et ecclésial. Et ça fonctionnera pareil – si j’ose utiliser ce mot là – ça fonctionnera pareil pour toutes nos relations humaines et toutes les réconciliations que nous allons avoir à vivre.

Je propose de m’arrêter là… Peut-être juste une image conclusive avant d’entrer ensuite dans notre deuxième temps qui va être un temps d’appropriation de ce que je viens d’essayer de vous dire, un temps pour nous ouvrir ensuite au débat.

L’image c’est celle d’un mur. Le mur qui sépare nos Eglises, mais aussi le mur qui nous sépare les uns les autres quand on s’est blessé, qu’on a essayé de se protéger alors de l’autre et qu’on a décidé de vivre notre chemin sans lui. Vous imaginez un mur qui s’est construit entre nous, le plus haut possible pour être tranquille. Face à ce mur, le jour où on décide de refaire un bout de chemin ensemble, il y a deux attitudes possibles :

  1. Faire venir un camion-massue et tout exploser pour tout recommencer. C’est efficace, radical, au moins on va pouvoir reconstruire. Sauf que tout sera à reconstruire. Et sauf aussi que les éclats de mur peuvent faire mal à celui qui va se les prendre dans la figure… de part et d’autre… en plus on risque peut-être de ne pas voir que dans les pierres du mur il y avait quelques pierres de valeur… Dommage, elles vont être perdues…
  2. Reconnaître que dans les murs que nous avons construit il y a des pierres précieuses, mais qu’elles sont peut-être dissimulées, des pierres qui pourraient nous enrichir chacun dans la relation nouvelle à vivre. Du coup, non pas tout exploser mais prendre le temps laborieux de déconstruire petit à petit le mur qui nous sépare. Et le temps de la reconstruction nous permettra de vor jusqu’où il faut déconstruire, là où des pans de murs peuvent s’avérer utiles pour devenirs des passerelles ou des fenêtres ouvertes sur l’autre. Et prendre le temps de récolter ce qui va nous apparaître comme des pierres préceisues à bien conserver et qui nous permettront d’entrer une démarche d’échange de dons…

Je fais une parenthèse – dans le sacrement du pardon, ce qui s’appelle l’aveu, dans la rencontre personnelle avec le prêtre, c’est prendre ce temps là, dans les murs intérieurs qui sont les miens et que mon péché à construit dans mes relations, c’est prendre ce temps de voir où sont les pierres réelles qui font mal, d’où elles viennent et qu’est-ce qu’elle provoquent ; et ça c’est possible dans le dialogue qui non seulement aide à nommer et donc à entrer sur un chemin de guérison, mais aussi à discerner si c’est bien là que ce joue le péché qui crée du mal-être en moi et du mal autour de moi…

Je ferme ma parenthèse et je propose de m’arrêter là. On passe donc maintenant au temps d’appropriation qui nous ouvrira à un temps d’échange.

Concrètement…

Pour le temps en petits groupes, pour préparer le débat :

Dans ce que je viens d’entendre sur l’unité des chrétiens et la réconciliation :

  • qu’est-ce qui me paraît important de ce que j’ai entendu ?
  • qu’est-ce que j’ai peut-être découvert ?
  • qu’est-ce qui me questionne ?
  • quelle question pour aller plus loin ai-je envie de poser ?

A propos des réconciliations à vivre dans nos relations :

  • qu’est-ce que je peux retenir de ce qui a été dit quant à la réconciliation des chrétiens qui peut s’appliquer aussi dans mes relations de chaque jour et qui peut rejoindre mes propres questions que comment vivre le pardon ?
  • qu’est-ce qui me questionne ?
  • quelle (autre) question ai-je envie de poser pour approfondir ?