21 Mai 2016
Le journal d'information de mon diocèse, Relais 38, me demande pour sa livraison de juin un petit article sur le futur concile orthodoxe qui se tiendra courant juin en Crête. Comme toujours dans cette littérature il faut que ce soit bref...
Ma 1ère version jetée sur le papier, trop rapide je trouve, est pourtant trop longue encore... Je me permets donc de la publier quand même ici, sans autre prétention que d'essayer de partager un peu (et un peu vite) ce que j'ai en tête. Je la complète de trois liens internet bien plus intéressants et de trois lectures que je vous recommande (mon livre, c'est plus pour la partie sur les évolutions de la vie ecclésiale dans l'orthodoxie pendant ce que j'appelle ci-dessous la période de la domination ottomane et la question de Moscou et les fragmentations nationalistes du 20ème siècle).
Ceci dit, ces quelques lignes trop rapides vous permettent au moins d'être au courant de l'évènement et de prier pour celui-ci, il y a des enjeux importants (pour l'unité de l'Eglise orthodoxe et, du coup, pour nos rapports oecuméniques).
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C’est un événement historique qui se tiendra du 16 au 27 juin 2016 en Crète, pour la fête de la Pentecôte de l’Eglise orthodoxe. Un événement historique car il s’agira du premier concile panorthodoxe (c’est-à-dire de tout le monde orthodoxe) depuis le schisme de 1054 avec l’Occident. Un événement historique aussi car il est en préparation depuis plus de 40 ans et même depuis le tout début du 20ème siècle où il fut déjà rêvé et espéré par le patriarche de Constantinople de l’époque.
Mais que veut-on dire par concile panorthodoxe ? Qu’est-ce que ce « monde » orthodoxe ? Certes il s’agit de frères et sœurs en Christ en Orient, de communautés et d’Eglises de ces régions qui furent dans l’Empire romain auquel nous appartenions aussi et avec qui nous avons partagé les grands conciles des premiers siècles. Il ne s’agit pas de ces Eglises orientales qui vécurent hors de l’Empire, à leur rythme, parfois oubliées car vivant dans d’autres sphères géographiques, ni de ces fractions d'Eglises qui après le schisme de 1054 et des conciles d’union du milieu du deuxième millénaire décidèrent de revenir dans la communion de Rome – ce qu’on appelle les Eglises catholiques orientales dites "uniates".
Pour dire vite, au 6ème siècle dans l’Empire romain, 5 patriarcats ont vu le jour, découpés en provinces métropolitaines, avec des cités qui avaient chacune leur évêque. Tout ce monde là est en communion de foi (par les conciles), communion de liturgie (notamment par l’eucharistie présidée par l’évêque et par les sacrements) et en communion ecclésiale (par la reconnaissance des évêques entre eux ; tous sont égaux et certains sont premiers dans la charité pour veiller à l’unité dans les régions qui leur sont confiées). Les expansions missionnaires étendront l’Eglise jusque que dans les terres slaves, notamment Kiev puis Moscou.
Avant le schisme de 1054, 5 patriarches en communion disent l’unité de l’Eglise (et de l’Empire) : Rome, Constantinople, Antioche, Alexandrie et Jérusalem. Après la chute de l’Empire romain d’Occident Rome va s’isoler puis deviendra le centre de communion et le garant d’unité de l’Eglise latine dans une Europe occidentale qui se fragmente et se divise politiquement. En Orient, les 4 patriarcats continueront leur vie, puis un 5ème avec Moscou, et des Eglises locales acquerront leur autonomie juridique (car le principe annoncé est que chaque évêque est l’égal l'un de l’autre, il n’y a pas de « super évêque » qui interfère dans le diocèse de son voisin ; par contre dans une même ère géographique tous doivent se mettre d’accord pour avancer d’un même pas, le patriarche étant garant de cela avec son synode qu'il préside).
L’Eglise orthodoxe ce sont aujourd’hui 14 Eglises autocéphales (qui ont leur propre tête) en communion les unes avec les autres, avec deux patriarches jouissant d’une plus grande importance de fait, en raison de l’histoire politique des derniers siècles, celui de Constantinople, historiquemdent (c’était la ville de la capitale de l’Empire et il fut garant de la survie des chrétiens d’Orient pendant toute la période de la domination ottomane, de 1453 à 1923,) et le patriarche de Moscou (la plus grosse et plus puissante Eglise orthodoxe, numériquement). Sauf que les guerres du 20ème siècle et la chute des régimes ottoman puis communiste ont fragmenté et fragilisé la communion orthodoxe car les Eglises locales ont suivi les mouvements nationalistes, avec des revendications d’autonomie et une complexification géo-politique des liens ecclésiologiques.
La question qui se pose aujourd’hui est la suivante : l’Eglise orthodoxe est-elle encore une Eglise une ? Dans la théorie, oui. Mais dans la pratique ? Les Eglises orthodoxes arrivent-elles à parler d’une seule voix dans ce monde globalisé ? Et dans un monde où les populations sont très mouvantes, sans parler des exils qui ont provoqué des diasporas de communautés orthodoxes, qu’est-ce qui fait l’appartenance à une Eglise : la foi et la liturgie, la culture et la langue, le nationalisme ? Quelle unité visible peut se montrer à nous et, conséquence œcuménique, qui dialogue avec qui et est-ce possible d’une seule voix ? Pour le dire autrement : quelle légitime diversité permet une unité réelle, maintenue et visible ?
Un certain nombre de textes pré-conciliaires ont été travaillés depuis plus de 40 ans par des commissions. Certains observateurs non-orthodoxes trouvent qu’ils traitent de questions trop internes et que certains dossiers brûlants ont été enlevés de l’ordre du jour du concile. En interne, certains évêques et théologiens orthodoxes trouvent au contraire que des textes comme celui du rapport aux autres Eglises et communautés ecclésiales iraient trop loin… Les débats sont âpres, qui disent l’enjeu de cet événement qu’il nous faut porter dans la prière. Car ce sont des frères et des sœurs en Christ qui veulent avancer dans la communion, nos frères et nos sœurs même si l’histoire nous a éloignée et que des chemins de réconciliations sont encore à vivre.
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Pour en savoir plus et approfondir, quelques liens et quelques livres :
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A noter :
Le 6 octobre prochain à Grenoble, le Centre œcuménique St Marc et le Centre Théologique de Meylan-Grenoble vous proposeront une conférence sur ce concile, ses décisions et les enjeux à venir. Ce sera à 20h30 au Centre oecuménique St Marc (6 avenue Malherbe, 38100 Grenoble ; tram A arrêt Malherbe). Cette soirée sera doublée en Nord-Isère le jeudi 20 octobre à 20h30 à la Maison paroissiale de Bourgoin-Jallieu (87 rue de la libération). Les intervenants seront le P. Christophe Delaigue (auteur de ce blog et de ces lignes) et le P. Georges Vasilakis, de l'Eglise grecque-orthodoxe de Charvieu-Chavagneux (Pont-de-Chéruy). Deux soirées en partenariat avec la Délégation catholique pour l'oecuménisme et les relations avec le judaïsme et, pour celle du 6 octobre, avec la Commission des Eglises Chrétiennes de l’Agglomération Grenobloise.
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Et un bonus... avec cette vidéo...