Document de Chieti (catholiques et orthodoxes)

C'est un évènement oecuménique même s'il pourrait passer quasi inaperçu. La Commission mixte internationale pour le dialogue théologique entre l'Eglise catholique et l'Eglise orthodoxe — instance officielle de dialogue entre ces deux Eglises — vient d'adopter un texte d'accord intitulé : Synodalité et primauté au premier millénaire : vers une compréhension commune au service de l'unité de l'Eglise

Signé le 21 septembre dernier, ce document et assez court (5-6 pages seulement) et il est une étape importante du dialogue entre les deux Eglises. En effet, depuis le Document de Ravenne d'octobre 2007 on attendait qu'un nouveau texte soit adopté qui devait traiter de l'exercice de la primauté de l'évêque de Rome au cours du premier millénaire, c'est-à-dire avant le schisme de 1054.

Redisons brièvement que le Document de Ravenne avait notamment rappelé que la question de l'autorité dans l'Eglise est celle de l'articulation entre primauté et conciliarité (ou synodalité, c'est la même chose) et que celle-ci doit jouer à l'échelon local de la vie de l'Eglise (c'est-à-dire à l'échelon d'un diocèse), au niveau régional aussi (c'es-à-dire une ère géographique et culturelle ou linguistique, ce qu'on appelle patriarcats dans l'Eglise orthodoxe) et à l'échelle universelle (c'est toute la question de la primauté de l'évêque de Rome au service de l'Eglise en son ensemble et donc dans la communion des Eglises). Le Document de Ravenne appelait à continuer le travail quant à une compréhension commune de l'exercice de la primauté au premier millénaire — c'est ce Document de Chieti — puis à approfondir d'autres questions encore difficiles dans le dialogue comme les déclarations de Vatican I quant à la papauté et l'ecclésiologie de Vatican II. Il est clair qu'il s'agira de travailler à une compréhension commune des articulations entre primauté et conciliarité dans chacune de nos deux Eglises au cours du deuxième millénaire en vue de pouvoir envisager quel chemin commun nous est maintenant possible pour retrouver la pleine communion.

Rappelons aussi que le pape François, qui veut résolument que le dialogue oecuménique avance et porte des fruits et qui travaille en même temps à ce qu'on pourrait nommer une réforme décentralisatrice de sa propre Eglise, affirme au n°246 de son exhortation apostolique La joie de l'Evangile que l'Eglise catholique a tant à apprendre de l'Eglise orthodoxe en matière de collégialité épiscopale et de synodalité... Nous sommes ici en plein dans ces questions !

Le Document de Chieti est plutôt bref, je l'ai dis, ce qui pourrait favoriser sa réception. Certains pourront regretter qu'il soit seulement ou d'abord un texte de synthèse, peu argumenté sur certaines affirmations, et pourront souhaiter une édition critique avec des notes détaillées précisant notamment les sources des conclusions avancées et les éventuels débats. De nombreuses études ont été publiées sur ces questions, pour ceux que cela intéresse je me permets de renvoyer à mon livre Quel pape pour les chrétiens ? Papauté et collégialité en dialogue avec l'orthodoxie, DDB, janvier 2015 ; j'y développe exactement ces mêmes thématiques, en deuxième partie pour le premier millénaire et en troisième partie pour les siècles qui suivent le schisme ; on pourra surtout y trouver une large bibliographie.

Précisions au passage que si la seule version en français disponible à ce jour ne comprend malheureusement aucune note et a fait non seulement une erreur de date du document mais surtout une faute de traduction importante (je l'explique en bas de ce post'), la version officielle en anglais a toutefois quelques notes de bas de pages qui mentionnent les références aux sources principales sous-jacentes au texte, Pères et conciles.

Le texte adopté à Chieti commence par une grande introduction (n°1-7) précédée d'une citation biblique un peu étonnante au premier abord (1Jn 1,3-4) : elle indique le sens du texte qui va être lu à savoir : (1) exposer ce qui a pu être constaté ensemble et (2) rappeler que la communion est en Dieu qui est Trinité (ce qui va être développé brièvement au n°1 de l'introduction). Cette citation est aussi (3) une invitation à la joie, celle que devrait nous procurer l'annonce d'un nouveau document d'accord mais aussi celle de savoir d'où nous vient la communion vers laquelle nous marchons ensemble, d'étape en étape — ce texte étant l'une d'elle.

L'introduction ayant rappelé que l'Eglise est une et diverse et relationnelle, donc communionelle, à l'image de la Trinité (n°1-2), ayant redit aussi ce qu'on entend par synodalité et par primauté (n°3-4), et ayant enfin rappelé le but du travail en cours  (n°5-7), la première partie aborde la question de “L'Eglise locale” (n°8-10). On nous y rappelle ce qu'on nomme l'ecclésiologie eucharistique et quel était le rôle ecclésiologique de l'évêque, dans son Eglise  mais aussi dans la communion avec les autres Eglises.

La deuxième partie du document aborde “La communion régionale des Eglises”, c'est-à-dire la mise en place progressive des structures de communion comme les provinces métropolitaines puis les patriarcats.

Vient alors la troisième partie du texte (n°15-19) qui est sans doute la plus importante car c'est celle qui concerne la question épineuse de la primauté de l'évêque de Rome. On commence par rappeler la mise en place des cinq patriarcats (n°15), et après la mention des différences de perception d'interprétation de la place de l'évêque de Rome entre Occident et Orient (n°16) il est question du fonctionnement de la pentarchie, c'est-à-dire entre les cinq patriarcats, au service de la vie conciliaire de l'Eglise. Il est rappelé – c'est je crois la pointe du texte – que “l'évêque de Rome n'exerçait pas [au premier millénaire] d'autorité canonique sur les Eglises d'Orient” (n°19).

Le document s'achève par une courte conclusion (n°20-21) : cette vingtaine de paragraphe constitue notre héritage ecclésiologique et canonique commun et donc la base commune à partir de laquelle nous pouvons envisager un retour vers la pleine communion.

Je le redis, ce document est court, certains peuvent le trouver un peu rapide, sans nouveauté pour qui connaît ces sujets. Son intérêt est ailleurs : non seulement c'est une belle synthèse mais voilà que nous sommes capables de dire ensemble ce que nous comprenons de ce qui a été vécu au premier millénaire, au-delà de nos réinterprétations de l'histoire qui servent toujours ce que nous voulons défendre de ce que nous sommes devenus et à quoi nous tenons dans chacune de nos Eglises. Arriver à écrire ensemble ce qui doit être notre mémoire commune c'est permette que nous avancions réellement et résolument ; lentement, c'est vrai, mais sûrement. Si nous n'étions pas capables d'écrire ensemble ce qui nous était commun, comment arriver alors à nous comprendre sur ce qui nous a séparé et sur les chemins que chacun ont pu prendre, parfois en opposition à l'autre, mais aussi au gré des évènements de l'histoire, de part et d'autre ?

Voilà qu'il nous faut encore travailler, nous pencher maintenant sur le deuxième millénaire, pour une compréhension commune des évolutions de nos ecclésiologie respectives. Ce sera tout le travail de la commission mixte internationale pour les années qui s'ouvrent. Et d'étape en étape, de document en document, c'est la pleine communion qui peut d'envisager, petit à petit, dans la patience et la persévérance.

Pour celles et ceux qui veulent lire le Document de Chieti en français c'est ici ! Mais attention, une erreur de traduction s'est glissée dans le texte à la fin du n°16 : non pas “une autre interprétation que celle des Ecritures et des Pères” mais : “une autre interprétation des Ecritures et des Pères”.

Et pour celles et ceux qui voudraient approfondir les éléments qui sont synthétisés dans ce texte, en ses aspects historiques notamment mais aussi géo-politiques et ecclésiologiques, vous pouvez toujours vous plonger dans mon livre ci-dessus mentionné ou dans d'autres études référencées dans la bibliographie !

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