16 Février 2024
Vendredi après les Cendres
Is 58,1-9a / Ps 50 (51) / Mc 9,14-15
Nous sommes vendredi – vendredi de Carême – et donc la liturgie nous invite à fixer notre regard sur la Croix. Le Christ qui meurt par amour à cause des péchés des hommes, le Christ qui meurt par amour pour nous libérer de l’emprise du péché et de la mort. Notre péché et celui du monde.
Alors oui, nous sommes en deuil – pour reprendre les mots de l’évangile. Nous sommes en deuil, alors même que nous sommes dans ce temps paradoxal entre d’une part la venue du Christ Jésus et sa mort, et d’autre part l’attente de son retour en Gloire et pourtant sa Présence autrement en nos vies, depuis sa résurrection.
Ce temps de l’attente, qui se double de ce temps de pénitence et de renouvellement qu’est le Carême, c’est un temps à réorienter, un temps pour réorienter notre vie, en fixant la Croix et en guettant là cette lumière de la Résurrection qui va jaillir comme l’aurore – pour reprendre les mots du prophète Isaïe.
Mais fixer la Croix ce n’est pas attendre passivement en se réfugiant dans la prière et en se lamentant sur l’état du monde. Fixer le Croix c’est s’en remettre au pardon de Dieu pour tous nos manquements à ses appels. Voilà pourquoi jeûner, car nous avons conscience de notre péché. Et plus encore nous avons conscience de l’écart qui se creuse dans notre vie entre nous et Dieu, et il nous faut de ce fait là creuser en nous le désir et la faim de son salut, pour mendier son pardon et sa miséricorde.
Alors nous jeûnons. Et c’est bon, puisque le Christ lui-même nous y a appelé mercredi par sa Parole. Mais c’est bon si ce n’est pas un en-soi, si ce n’est pas qu’une case à cocher, si ce n’est pas d’abord un effort pour être surtout en règle avec une décision personnelle ou communautaire – qui peut en plus être vécu comme un bienfait personnel si la gourmandise est mon « péché mignon » ! Non ! Ce jeûne va-t-il dilater notre être de l’intérieur, va-t-il élargir nos horizons spirituels concrets, nous ouvrir à une faim plus grande de Dieu et par là-même à un désir plus grand de nous faire proche de l’autre ?
Car nous le savons, mais il est bon de nous le redire et le réentendre, aimer Dieu et aimer son prochain c’est semblable (cf. Mt 22,37-39). Et le chemin sur lequel le Christ nous appelle et veut nous entraîner à sa suite c’est bien ce chemin de l’amour en actes, la miséricorde du Père, cette « aumône » à laquelle nous sommes aussi appelés. Et là est le jeûne véritable dont nous parle le prophète Isaïe. Là est ce jeûne qui va toucher le cœur de Dieu et l’émouvoir – pour reprendre l’expression du prophète Joël que nous entendions mercredi en finale de la 1ère lecture.
Et c’est frappant, je trouve, ce qu’Isaïe nous dit de ce jeûne qui plaît à Dieu, c’est frappant d’y entendre et d’y contempler déjà ce que le Christ a vécu très concrètement en son incarnation, ce qu’il nous a donné en exemple, ce qu’il nous appelle à vivre à sa suite pour que se continue sa mission d’annonce en actes du salut et de résurrection.
Je ne vous les relis pas, mais nous reconnaissons dans la liste d’Isaïe les appels que Jésus rassemblera en Mt 25 : l’amour en actes sur lesquels nous serons jugés.
Alors, dit le Seigneur, si nous vivons cela, si nous mettons en pratique la Parole de Dieu en ses appels, « alors [notre] lumière jaillira comme l’aurore et [nos] forces reviendront vite »…
Nos forces reviendront… Une question m’est venu : nous sentirions-nous faibles et pas tellement capables, parfois, de vivre tout cela ? Raison de plus pour nous arrêter, pour faire plus grande place au Seigneur, pour lui demander qu’il vienne établir sa demeure en nous, et pour cela de creuser de la place en nous. N’est-ce pas le sens du jeûne ? Un jeune indissociable aussi de la prière. Pour laisser le Seigneur nous rejoindre, nous renouveler, et nous conduire sur des chemins.
Alors nous pourrons aimer comme lui et avec lui. Aimer mieux, aimer en actes le frère qui est là. Être et devenir « miséricordieux comme le Père est miséricordieux » (cf. Lc 6,36)…
Que ce temps de Carême soit un temps béni pour cela, pour nous laisser refonder et renouveler par le Seigneur – le Seigneur qui veut, qui peut et qui vient déjà refaire nos forces en son eucharistie et nous conduire en son pardon. Amen.