19 Février 2025
Mercredi de la 6ème semaine du Temps Ordinaire
Gn 8,6-13.20/22 / Ps 115 / Mc 8,14-21
J’ai toujours été intrigué par ce récit de guérison, cette guérison en deux temps.
Et en méditant ces lectures, ce matin, je me suis dit que cette guérison en deux temps c’est un peu pareil que ce qui s’est joué pour la Création avec Noé et le Déluge : Dieu y va par étapes, comme s’il se mettait au pas de l’homme, ou plutôt : comme s’il apprenait à faire avec l’homme et sa capacité à entrer dans son projet…
J’ai été frappé dans la 1ère lecture quand on nous dit, à propos du sacrifice qu’offrit Noé au sortir de l’Arche : « Le Seigneur respira l’agréable odeur, et il se dit en lui-même : Jamais plus je ne maudirai le sol à cause de l’homme : le cœur de l’homme est enclin au mal dès sa jeunesse, mais jamais plus je ne frapperai tous les vivants comme je l’ai fait. »
Il y a eu un premier acte de Création puis Dieu a dû s’y reprendre à cause du mal et de la violence des hommes, et il se dit que maintenant il sent que c’est bon – ça sent bon, dit le texte –, qu’il faudra apprendre à faire autrement – et ça veut dire apprendre à faire dans ce réel-là des hommes capables du mal, et à faire avec.
Il a fallu laver à grandes eaux pour s’y reprendre, et maintenant on ne l’y reprendra plus, il faut maintenant qu’un chemin se fasse pour l’humanité telle qu’elle est, et pour Dieu avec elle.
Dieu se met au pas de l’homme. Et va lui permettre d’apprendre en retour à entrer dans le rythme et même le temps de Dieu.
C’est ce que nous voyons aussi dans ce récit de guérison. Avec quelques similitudes.
Cette guérison, pareil, elle se fait donc en étapes. Comme pour nous dire d’abord que ça n’est pas magique : c’est une acte de Création et c’est pas à pas que nous nous laissons guérir et sauver par le Seigneur.
Cet homme avait sans doute le désir d’être guéri, mais tout autant la foule, c’est elle qui a supplié Jésus, pas lui ! On veut un miracle ! Lui aussi voulait sans doute être guéri, mais, au fond, sommes-nous toujours prêts à laisser vraiment de côté ce que la maladie vient dire de notre vie, comment elle nous fait exister, comment elle nous positionne par rapport aux autres ? Et sommes-nous vraiment prêts à nous laisser conduire par le Seigneur comme il voudra et où il voudra, avec les étapes qu’il permettra, et au rythme qui sera le sien !
À la fois Dieu se met au pas de l’homme : il le guérit progressivement, comme avec douceur, pour qu’il accueille pleinement ce salut qui vient ; et en même temps c’est un appel pour l’homme aveugle à se laisser faire vraiment, patiemment, à laisser Dieu faire son œuvre comme il veut et dans le rythme et le temps qui sont les siens. Lui seul, Dieu, sait par quelles étapes, peut-être, nous avons besoin de passer.
Mais cette guérison est bien œuvre de Création et de salut ; il s’agit d’ouvrir un chemin nouveau, un chemin de vie où l’on puisse se tenir debout et contempler, se tenir en vivant qui peut envisager le monde et celles et ceux qui sont là. Exister sous le regard de l’autre en le faisant exister désormais sous son propre regard. Être un vivant.
Et c’est bien l’appel qui nous est adressé à tous : devenir des vivants, quelles que soient nos épreuves, nos paralysies ou nos aveuglements. Et apprendre là à nous laisser conduire, consentir à laisser faire son œuvre de vie en nous…
J’ai été frappé encore – et je terminerai par là – par l’attente des deux fois 7 jours après le Déluge et sans doute le silence des 7 derniers jours avant que tous puissent sortir de l’Arche. Sept jours pour laisser toute chose s’amuser et 7 jours comme une re-Création lente et silencieuse qui donne d’entendre et contempler intérieurement la vie qui reprend, contempler intérieurement ce qui vient de ce que Dieu vient de faire. Tel un long sabbat.
Notre aveugle guéri lui aussi – qu’on appelle désormais « homme et non plus « aveugle » –, notre homme guéri, qui peut désormais reprendre la route, le chemin d’une vie nouvelle, Jésus lui demande pourtant de ne pas retourner au village, ce village où la foule l’attend, ce village où l’on va le presser de toute part pour qu’il raconte, qu’il dise ce qui s’est passé, on va le questionner, essayer de comprendre.
Non, ne pas retourner au village, dit Jésus, mais faire retour chez lui, dans sa maison – et donc en lui, en sa demeure intérieure ?! – ; faire route seul, sans doute, et donc en silence, tel un sabbat demandé ; et là lui sera donné de recueillir ce que Dieu a fait, et voir l’œuvre de Dieu et la vie qui se sont frayé un chemin en lui.
Et là, en chemin, dans le silence du cœur, pourra jaillir la louange et l’action de grâce, celle du psalmiste et la nôtre en cette eucharistie : « Comment rendrai-je au Seigneur tout le bien qu’il m’a fait ? J’élèverai la coupe du salut, j’invoquerai le nom du Seigneur » … Amen.