Chris.D.+

L'ecclésiologie, pour travailler à l'unité

20 Décembre 2012, 17:39pm

Publié par Christophe Delaigue

Cet article-interview paraît aujourd'hui dans "France Catholique", suite au prix reçu la semaine dernière. Bientôt un autre à venir, sur le site du journal "La Vie"...

 

Créé en décembre 1987, le Conseil d'Églises chrétiennes en France (CÉCEF) – qui réunit les responsables des familles ecclésiales (anglicane, arménienne, catholique, orthodoxe, protestante) – a fêté ses vingt-cinq ans le 13 décembre 2012. A cette occasion, le Prix 2012 du CÉCEF pour un travail universitaire de recherche a été remis au P. Christophe Delaigue, prêtre diocésain grenoblois, pour son mémoire « Le Pape, Évêque de Rome, successeur de Pierre, patriarche d’Occident ? ». Le lauréat explique aux lecteurs de France Catholique son parcours, son travail universitaire et son engagement pour l’unité des chrétiens.

Propos recueillis par Anne Kurian.

Quelle est votre histoire avec l'œcuménisme ?

P. Ch. Delaigue – J’ai grandi dans une famille catholique pratiquante, où je voyais notamment mon père qui avait ce souci de la rencontre de l’autre et qui participait à des rencontres œcuméniques, dans notre petite ville de Vienne (en Isère). Dans mon parcours personnel, la communauté de Taizé a beaucoup compté et marque encore le chrétien et le prêtre que je suis. De Taizé j’ai appris la prière, la simplicité de la foi, et le désir de l’unité dans la rencontre de l’autre, la communion et l’échange de dons. Ce souci de la rencontre et de la connaissance de l’autre m’a poussé à demander à mon évêque, alors que j’étais au séminaire en cursus théologique de maîtrise, à partir un semestre pour étudier à la faculté de théologie protestante de Genève. Mon évêque actuel, Mgr Guy de Kerimel, m’a demandé en 2006 de suivre des cours à l’Institut Supérieur d’Etudes Œcuméniques, à l’Université catholique de Paris, conscient sans doute de cette « fibre », ce qui m’a conduit à préparer ce travail de master aujourd’hui récompensé.

Comment avez-vous choisi votre sujet « Le Pape, Évêque de Rome, successeur de Pierre, patriarche d’Occident ? »

J’ai voulu me plonger dans l’ecclésiologie, qui est un enjeu majeur des dialogues œcuméniques, et je souhaitais travailler plutôt la rencontre avec l’Orient et notamment l’orthodoxie parce que je connaissais moins. Enfin, je trouvais que cette question de la papauté et de la tension entre primauté et collégialité est une question essentielle et actuelle, dans l’Eglise catholique comme dans les débats théologiques œcuméniques. Preuve en est le dialogue actuel entre l’Eglise catholique et les Eglises orthodoxes, sur cette question-là justement ; preuve en est aussi toute la question autour de la Communion anglicane aujourd’hui et du rôle de son primat au service d’une communion entre des Eglises locales très autonomes et très marquées culturellement les unes par rapport aux autres.

Pouvez-vous nous parler de votre mémoire ?

Le point de départ de mon travail a donc été cette question de la papauté et de la tension entre primauté et collégialité. Très vite j’ai croisé la question historique et œcuménique des patriarcats et celle de la disparition en mars 2006 dans l’Annuaire pontifical du titre de « patriarche d’Occident ». Ma question a été de savoir si cette suppression, d’un titre œcuménique que nous partagions avec les Eglises orthodoxes, est dommageable pour la recherche de l’unité des chrétiens ou, au contraire, si elle permet d’ouvrir de nouveaux chemins œcuméniques. Pour travailler cela je me suis penché sur l’ecclésiologie des premiers siècles et notamment la mise en place des patriarcats, pour relire ensuite les chemins ecclésiologiques en Occident d’un côté et en Orient d’un autre côté, après la rupture de 1054. Ceci afin de comprendre quelles peuvent être nos incompréhensions réciproques aujourd’hui. Une de mes conclusions est que la disparition de ce titre pourrait permettre de nouveaux chemins œcuméniques, si Benoît XVI est fidèle au théologien Ratzinger qui travaillait ces questions-là dans les années 1970 ; et que ces nouveaux chemins pourraient nous aider à recevoir aujourd’hui, dans l’Eglise catholique, les intuitions de Vatican II quant à la collégialité. Ce qui pourrait alors permettre d’avancer dans la reconnaissance des autres Eglises et communautés ecclésiales, y compris dans une ecclésiologie de communion qui se cherche encore mais qui est une des thématiques transversales centrale dans les textes de Vatican II. Rappelons-nous à ce sujet le synode extraordinaire des évêques de 1985 qui a justement essayé de travailler à une ecclésiologie de communion.

Qu'y avez-vous découvert qui vous paraît aujourd'hui particulièrement important ?

Ma principale découverte, si on peut parler ainsi, est que nous avons à relire notre histoire et l’histoire de nos ecclésiologies, pour nous comprendre nous-mêmes, pour comprendre l’autre avec qui nous sommes en dialogue, et pour pouvoir nous reconnaître et avancer ensemble. Sans nous en rendre compte, nous rencontrons l’autre avec des caricatures des uns et des autres, y compris de notre propre ecclésiologie que souvent nous simplifions ; mais c’est en connaissant les chemins historiques par lesquels nous sommes passés que nous pourrons comprendre quelles sont les intuitions réelles et les fidélités à l’évangile qui nous ont construit de part et d’autre.

Votre mémoire peut-il permettre d'avancer vers la réconciliation, sur le sujet délicat de la primauté de Rome ?

En toile de fond il y a tout le débat de l’interprétation de Mt 16, la primauté de Pierre et la succession à Pierre. En Occident nous en avons fait une certaine lecture, qui a pu être maximalisée voire « idéologisée » pour des raisons historiques et politiques qui peuvent se comprendre et se défendre. En Orient, si l’évêque de Rome, comme responsable de l’Eglise du martyre de Pierre et de Paul, est de ce fait reconnu comme ayant une primauté à assurer qui est un service de la communion entre les Eglises locales et même régionales (les patriarcats par exemple), on refuse que celle-ci soit de juridiction (le pouvoir de dire le droit) ce qui s’est pourtant fortement développé en Occident avec une forte tendance centralisatrice que Vatican II a voulu rééquilibrer. Mon travail se veut une relecture de ces deux « histoires » et ecclésiologies pour comprendre ce qui les sous-tend et mieux appréhender ce qui pourrait nous permettre de dialoguer aujourd’hui.

Que faites-vous à Grenoble dans l'équipe diocésaine à l'œcuménisme ?

A Grenoble je suis tout d’abord prêtre en paroisse. Je suis aussi au service diocésain à l’œcuménisme, appelé avec la responsable et une équipe à porter ce souci de l’unité des chrétiens dans notre diocèse, à la fois dans la rencontre des autres Eglises et la connaissance mutuelle et à la fois dans l’accompagnement des paroisses à ne pas oublier cet appel de Vatican II. Concrètement cela passe par exemple par des formations. J’anime notamment cette année quatre soirée de « conversations catholiques et évangéliques » au Centre théologique de Meylan-Grenoble, avec deux pasteurs évangéliques et un théologien laïc catholique. Notre travail comme service diocésain est « relié » à celui du CECEF, lui-même en lien avec les instances supranationales, dans la mesure où la responsable diocésaine est elle-même en lien avec les autres délégués à l’œcuménisme de toute la France par le biais de rencontres nationales ou provinciales. A Grenoble, les Eglises membres du CECEF sont aussi organisées en une Commission des Eglises chrétiennes de Grenoble et son agglomération, instance de rencontre où nous préparons ensemble la prière annuelle pour l’unité, où nous partageons la vie de nos Eglises, instance également où nous travaillons théologiquement cette année nos conceptions de l’œcuménisme, de l’unité et de la communion, sur 6 rencontres prévues avec des théologiens de nos familles confessionnelles.

Que conseillez-vous à tout baptisé pour agir en vue de l'unité visible ?

La première chose est de prier. Prier chacun pour que l’Esprit nous souffle les chemins à trouver et à vivre et qu’il convertisse nos cœurs au désir de l’unité. Et prier ensemble en apprenant à nous reconnaître d’abord comme frères et sœurs dans le Christ, comme le rappelle avec force Vatican II dans Unitatis et redintegratio. Ensuite vivre ensemble tout ce qui nous est possible, dans la dimension « socio-caritative » déjà, mais aussi dans le simple partage de nos joies et de nos peines. L’enjeu est vraiment de décider de nous reconnaître comme frères et sœurs. Ensuite nous pourrons partager nos richesses respectives au sens de nos talents, nos spécificités, pour appréhender sereinement ce qui nous divise encore ou ce qui nous différencie. Parce que lorsque l’amitié et la fraternité existeront réellement et localement, là où nous vivons, alors nous pourrons dialoguer réellement et entendre ensemble, dans la prière, quels chemins d’unité nous souffle l’Esprit pour que nous œuvrions et recevions l’unité telle que Dieu la veut.