L'oecuménisme, un doux rêve ?

Doyenné du Haut-Grésivaudan / soirées « La Foi en Question »
24 janvier 2012, salle St Didier au Touvet

Ce qui nous rassemble ce soir, comme annoncé, c’est cette question de l’œcuménisme. Au cœur, ou plutôt en finale de cette semaine annuelle de prière pour l’unité des chrétiens dont vous entendez parler chaque année ! Unité des chrétiens… Œcuménisme… c’est un sujet très vaste – je vais forcément créer des frustrations car je ne pourrai pas parler de tout et il y aura forcément des raccourcis dans ce que je vais dire, pas trop de d'erreurs ou de caricatures j'espère...

Pour certains d’entre nous, le mot « œcuménisme » évoque je déjà un certain nombre de choses, plus ou moins précises sans doute ; et sans doute que cela évoque peut-être des rencontres, mais aussi des questions ; cela peut même évoquer chez certains d’entre vous une histoire douloureuse peut-être, qu’elle nous touche personnellement ou qu’elle concerne nos Eglises, de façon plus générale, dans ce qu’elles ont eu à traverser depuis des siècles et que nous nous trimbalons parce que nous sommes aujourd’hui héritiers de cette histoire là et de ces histoires de famille qui ont marqué et façonné nos propres façons de vivre en Eglise aujourd’hui.

L’œcuménisme, est-ce un doux rêve ? J’ai conscience du titre un peu provocateur de cette intervention et de cette soirée. Et vous vous doutez bien que je ne l’ai pas choisi complètement par hasard. Je sais que certains sont venus parce que ce questionnement les intéressait, mais je sais aussi que d’autres, qui sont là, ont trouvé ce titre gênant, dérangeant… D’autant plus si on oublie de lire le point d’interrogation à la fin du titre ! De façon un peu plus « plate », en tout cas moins provocante, j’aurais pu donner comme titre à mon intervention : « L’œcuménisme aujourd’hui, une histoire, des enjeux et des questions… »

Pour répondre à cette question, il faut déjà qu’on se redise brièvement ce que signifie ce mot « œcuménisme », pour délimiter ensemble de quoi on va essayer de parler ce soir. Ce mot « œcuménisme » signifie un peu rapidement dans notre jargon d’Eglise la recherche de l’unité des chrétiens. Les médias ou certains sites sur internet l’utilisent de façon plus large, par analogie, pour parler du dialogue interreligieux ; mais ce ne sera pas mon propos ce soir. Je me limiterai à la question de l’œcuménisme comme chemin ou comme recherche de l’unité des chrétiens. Je le précise tout de suite – parce que ça va sans dire mais ça va mieux en le disant – il ne s’agit pas de dialogue interreligieux entre différentes familles chrétiennes parce que nous appartenons à la même famille religieuse, même si nos confessions, nos spiritualités, nos façons de vivre en Eglise sont différentes. Nous croyons tous, tous les chrétiens, au même Dieu, le Dieu de Jésus-Christ Seigneur et Sauveur.

Comme je ne sais pas ce que nous avons tous ou chacun en tête – ce sera ma 1ère partie – je vous fais un petit rappel des différentes confessions chrétiennes. Grosso modo il y a trois « mondes », trois grands « mouvements » dans la famille chrétienne : les chrétiens d’Orient, et notamment ceux qu’on appelle les Orthodoxes, qui sont présents pour certains dans nos pays d’Europe suite aux aléas de l’histoire (chez les Orthodoxes, vous avez par exemple les orthodoxes russes du Patriarcat de Moscou, ou ceux de ce qu’on appelle l’Eglise russe hors-frontières, ou ceux encore qui sont rattachés au Patriarcat de Constantinople ; vous avez aussi les orthodoxes grecs, ceux du Patriarcat de Constantinople ; vous avez les Arméniens apostoliques, les assyriens, etc.) – les Orthodoxes, donc – ; face à ce « monde » là, il y a ceux qu’on pourrait appeler les chrétiens d’Occident, même si le désir missionnaire, le désir d’évangélisation, les a poussé à s’implanter dans le monde entier ; ces chrétiens d’Occident qui se divisent en deux « mondes » : les catholiques d’un côté, et tous les chrétiens issus de la Réforme de l’autre côté, ceux qu’on appelle les Protestants – et dont il faudrait toujours qu’on en parle au pluriel parce qu’il y a plein de façons d’être « protestant », et il y a beaucoup d’Eglises de tous styles et en tout genre : les luthériens, les réformés ou calvinistes, les évangéliques, les anglicans, les méthodistes et bien d’autres…

Si aujourd’hui nous parlons d’œcuménisme et de recherche de l’unité des chrétiens, c’est parce qu’au cours des siècles nous nous sommes séparés et divisés, vous le savez. Les motifs sont nombreux, pas toujours très clairs, imbriqués les uns dans les autres ; ils ont pu être théologiques – nos conceptions de Dieu, de Jésus Christ et de l’Esprit Saint –, ils ont pu être ecclésiologiques, ces motifs de division – nos conceptions de l’Eglise et de comment elle doit fonctionner, institutionnellement, et pourquoi –, et puis il y a eu des motifs politiques. C’est souvent assez mêlé.

On peut déplorer tout ça, et on aura raison, mais si on y regarde de près, c’est en fait comme dans toutes les familles : un jour il y a une histoire ou une incompréhension, ça entraîne une brouille ou une dispute ; soit on arrive à se dire les choses, à se comprendre et même à se pardonner, et on alors peut continuer la route ensemble, soit on n’y arrive pas et nos chemins divergent, quand ils ne s’opposent pas ou quand ils n’entrent pas en conflit pour défendre son point de vue et sa vérité. On pourrait dire qu’entre les chrétiens c’est bien la même chose qui s’est produite au cours des siècles. Malheureusement. Et d’autant plus malheureusement que c’est en complète contradiction avec l’Evangile ! Je vous cite deux versets de l’évangile de Jean qui sont assez significatifs, deux phrases de Jésus, une à ses disciples, juste après le lavement des pieds, et une à Dieu son Père, dans sa grande prière finale avant son arrestation :

- A ses disciples il dit : « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on reconnaîtra que vous êtes mes disciples… » (Jn 13,35).

- Et sa prière : « Qu’ils soient un… afin que le monde croit… » (Jn 17,21).

L’enjeu de l’œcuménisme, l’enjeu de la recherche de l’unité des chrétiens, c’est bien de répondre à cet appel de Jésus. Ne pas nous satisfaire de nos divisions. Certes, nous n’y sommes pour rien, directement, nous sommes héritiers de tout cela. Mais nous ne pouvons pas pour autant rester dans l’indifférence. Et ce qui nous est demandé, ce que l’œcuménisme comme chemin et comme recherche de l’unité des chrétiens nous propose c’est de vouloir nous reconnaître comme frères et sœurs, en Jésus Christ, nous reconnaître comme fils et filles d’un même Père.

Vous allez me dire : ok, on a qu’à le décider. Ok… Sauf que ce n’est pas si simple. Pour deux raisons :

(1) Est-ce que nous le voulons vraiment ? Je vois bien combien nous sommes attachés les uns et les autres à ce que nous sommes, à notre différence, à ce qui nous a façonnés. Y compris si notre Eglise nous agace ou si nous ne comprenons pas tout de ses exigences et de ses pratiques – je ne parle pas que pour l’Eglise catholique, c’est pareil dans chacune de nos confessions. Nous sommes attachés à plein de choses qui disent notre identité. Et nous nous sommes même construit, je vais y revenir, en opposition à l’identité de ceux avec qui nous nous divisions. Je fais une aparté : c’est tellement vrai ce que je suis en train de vous dire que ça fonctionne pareil à l’intérieur de nos communautés ou de nos paroisses ; on tient à son identité propre, à ce qui nous a construits, à ce qu’on a mis en place petit à petit ; et c’est compliqué d’imaginer qu’on pourrait vivre les choses un peu différemment. Si ça se passe comme ça entre nos communautés, dans une même Eglise, à plus forte raison entre Eglises qui se sont divisées et opposées au cours des siècles…

(2) 2ème raison – c’est complètement lié à ce que je viens de dire – : il y a des blessures lourdes entre nos Eglises et une histoire longue d’opposition ou d’ignorance les uns des autres. On ne peut pas faire aujourd’hui comme si cela n’avait pas existé. Et il nous faut prendre le temps de nous comprendre dans ce qui nous paraît important, nous comprendre dans ce qui fait nos spécificités, tout simplement pour mieux nous écouter, mieux nous entendre, et nous reconnaître comme étant du Christ, les uns et les autres, avec nos richesses propres, nos spiritualités propres et malgré le péché qui a marqué l’histoire de nos Eglises.

Je vous ai dit tout à l’heure que les chrétiens peuvent se répartir en trois « mondes » ou trois « familles ecclésiales » assez distincts. Si nous voulons nous comprendre mieux, il faut voir d’où nous venons. Concrètement il y a eu, dans l’histoire de l’Eglise, deux grandes divisions, et même deux types différents de divisions :

(1) Tout d’abord – je le disais tout à l’heure – entre l’Orient et l’Occident. Je vous rappelle que l’Eglise est née à Jérusalem, après la mort et la résurrection de Jésus. L’Eglise est née en Orient. Et elle s’est développée petit à petit dans tout l’Empire romain – je vous rappelle également que la Palestine de l’époque, ou Israël, comme vous voulez, était un pays occupé par les Romains. Les chrétiens se sont multipliés et organisés, souvent à partir des grandes villes de l’Empire de l’Orient jusqu’à l’Occident, grosso modo le pourtour méditerranéen. Les communautés, d’abord cachées parce que persécutées, se sont organisées avec des responsables d’Eglise, souvent un conseil des Anciens, comme dans le modèle juif, et un responsable de communauté qu’on pourrait appeler l’épiscope, c’est-à-dire celui qui veille. Quand l’Empire est devenu chrétien, après la conversion de Constantin, on a calqué l’organisation de l’Eglise sur celle de l’Etat, avec des évêques dans les grandes cités et des responsables locaux dans les petites communautés. Des structures se sont mises en place pour que l’unité et la communion entre les communautés ou Eglises locales, soit possible et qu’elle soit effective. C’est le fait de se rassembler pour l’eucharistie présidée par un évêque ou un de ses collaborateurs qui faisait qu’on était une Eglise et qu’on était en communion avec les autres Eglises, par la célébration de la même eucharistie et par le fait que les évêques se reconnaissaient mutuellement.
Les premières divisions dans l’Eglise sont des querelles théologiques entre communautés, des façons différentes de comprendre qui est Dieu, qui est Jésus, qui est l’Esprit Saint. Pour définir ensemble ce qui serait conforme à l’évangile et à ce qui a été transmis par les apôtres, on a réuni des synodes ou des conciles qu’on a appelés « œcuméniques », c’est-à-dire, mot à mot, qui concerne ou qui rassemble toute la « maison », ou « toute la terre habitée » et connue, c’est-à-dire les Eglises ou plutôt les communautés chrétiennes de l’Empire.
On place la 1ère grande division, entre l’Orient et l’Occident, autour de l’année 1054 – c’est une date plus symbolique que réelle car elle n’arrive pas par hasard et elle n’est que le début d’un éloignement progressif qui trouve une sorte de point culminant dans le début des années 1200 avec les croisades et le sac de Constantinople par les chrétiens latins. En tout cas, une division par éloignement réciproque, pour des causes théologiques et politiques. En 1054 on s’est séparé à cause de l’ajout d’un mot dans le Credo, un ajout qui a été décidé unilatéralement par l’Occident, sans doute sous pression de l’empereur, une décision qui n’a pas été prise par un concile alors que le Credo est le fruit de plusieurs conciles d’évêques et donc de toute l’Eglise. C’est une division par rupture de communion : en Orient on considère que l’Eglise d’Occident, les Eglises liées à l’Eglise de Rome, sont dans l’erreur sur des questions de foi et que qu’elles sont également dans l’erreur sur des questions ecclésiologiques – à l’époque, l’évêque de Rome prend de plus en plus de place dans les décisions qui concernent la vie des Eglises, ce qui heurte les responsables d’Eglises en Orient, ceux qu’on appelle les patriarches d’Orient – ; on considère donc que les Eglises d’Occident sont dans l’erreur et que du fait qu’elles refusent de le reconnaître alors on rompt le dialogue ; on les laisse vivre leur vie de leur côté en espérant qu’elles se rendront compte de leur erreur et qu’elles reprendront contact. Là dessus vous malheureusement s’ajouter, je l’ai dit, les croisades et le dialogue n’est franchement plus possible. Pendant des siècles on va s’ignorer et même se caricaturer les uns les autres, affirmant de part et d’autre qu’on est la vraie Eglise et qu’il faut que les uns acceptent de devenir comme les autres, et inversement, c’est pareil de chaque côté. On va s’excommunier allégrement… Et il faudra attendre la fin du concile Vatican II, il y a à peine 50 ans, pour que soient levées les excommunications réciproques et qu’on décide de reprendre officiellement le dialogue entre nos Eglises catholique et orthodoxes.
Une division, donc, qui est une séparation, une rupture de communion, un éloignement progressif qui va entraîner une ignorance de l’autre – et des caricatures. Mais on garde la même façon de comprendre et concevoir l’Eglise : des communautés qui célèbrent l’eucharistie et qui sont présidées par un évêque.

(2) La 2ème grande division dans l’histoire de l’Eglise est d’un autre ordre. Et elle est interne à l’histoire de l’Occident. C’est la division du XVIème siècle avec le mouvement de la Réforme : Luther, Calvin et bien d’autres. C’est la séparation entre les catholiques et ceux qu’on appelle les « protestants » – au passage j’en profite pour vous rappeler que « protestants » ça ne veut pas dire ceux qui protestent, mais ceux qui attestent de leur foi, ceux qui osent confesser leur foi devant les autres.
Cette division n’est pas une séparation comme avec l’Orient. On pourrait dire que c’est un éclatement de l’Occident, une sorte d’implosion, pour des questions théologiques, au départ – est-on sauvé par la foi seule en Jésus Christ, ou par nos œuvres ? – et pour des questions ecclésiologiques – le rôle du pape notamment ou plutôt la question de son autorité et du pouvoir temporel qu’il a acquis au cours des siècles –, puis pour des raisons politiques. Luther n’a jamais voulu fonder une nouvelle Eglise. Il voulait juste que son Eglise, l’Eglise catholique, l’Eglise d’Occident, se purifie et retrouve un mode de vie et de fonctionnement moins politique et plus évangélique. C’est devenu un éclatement politique quand Luther a trouvé le ralliement des princes allemands : sont devenus Protestants les chrétiens dont le roi ou le prince devenait protestant – en gros, tout le Nord de l’Europe et une partie de l’Europe de l’Est.
Avec cet éclatement qui va entraîner des guerres douloureuses – en France et en Isère notamment cela a été très dur, on parlait même de « guerres de religions » – on change carrément de modèle d’Eglise. On quitte la conception du rassemblement des croyants autour de l’eucharistie et d’un évêque pour envisager un modèle d’Eglise centré autour de la Parole de Dieu et organisé de façon plus démocratique, sans distinction entre les personnes si ce n’est celle de la charge qui est due à des fonctions différentes au service de tous dans des communautés qui sont plus autonomes les unes par rapport aux autres. On pourrait dire qu’on change de « monde », qu’on change d’Eglise, ce qui, je le redis, n’était pas le désir premier de Luther. Il voulait juste aider son Eglise à se réformer. Le problème c’est que les uns et les autres se sont crispés sur leurs conceptions, ils les ont durcies et même ils les ont construites en les opposants, au risque que ça devienne parfois des idéologies, de part et d’autre. Vous rajoutez là-dessus le pouvoir politique qui s’en mêle, les répressions pour ceux qui ne croient pas comme l’a décidé le prince ou le roi… Et ça nous donne des siècles de blessures et d’incompréhension…

Je vous redis mes deux phrases de Jésus de tout à l’heure, dans l’évangile de Jean :

- « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on reconnaîtra que vous êtes mes disciples… »

- « Qu’ils soient un… afin que le monde croit… »

On voit bien, au regard de ce trop rapide survol historique, que l’œcuménisme c’est loin d’être gagné… Il y en a eu des siècles de divisions et d’oppositions. Il faudra du temps pour soigner tout cela, parce que ça nous marque, qu’on le veuille ou non, et ça a forgé et façonné nos identités respectives. L’œcuménisme, est-ce un doux rêve ? En tout cas c’est une urgence, au nom de l’évangile, au nom de l’appel à aimer et à pardonner !

Je passe maintenant à mon deuxième temps, l’œcuménisme en tant que tel, l’œcuménisme comme chemin et comme recherche de l’unité, l’œcuménisme comme enjeux – au pluriel – et comme questions – au pluriel aussi.
Pour l’Eglise catholique, le tournant œcuménique, si je peux dire comme cela, c’est le concile Vatican II. Il y a avec Vatican II un engagement œcuménique irrévocable, un engagement de l’Eglise catholique dans la recherche d’une unité des chrétiens sur laquelle on ne pourra pas revenir. Je crois que Jean Paul II l’a affirmé à plusieurs reprises, notamment dans sa lettre encyclique de 1995 Ut unum sint – « Que tous soient un ». Il l’a même fait inscrire dans le Code de droit canon de 1983 – et à ma connaissance nous sommes la seule Eglise ou la recherche de l’unité des chrétiens soit inscrite comme constitutive de ce qu’elle est comme Eglise.

A Vatican II l’Eglise a été définie comme le peuple de Dieu, le Corps du Christ, le Temple de l’Esprit Saint, dans laquelle nous entrons par le baptême et dans laquelle, dit le concile, il y a égale dignité de tous les baptisés. Et le même concile affirme que nous reconnaissons le baptême des chrétiens non catholiques. Tous, donc, quelque soit notre appartenance à l’Eglise, quelles que soient nos Eglises d’appartenance, nous avons égale dignité car nous sommes du Christ, et nous sommes appelés, tous et même ensemble, à témoigner du Christ dans notre monde, à vivre de lui, à vivre son message. Certes nous ne sommes pas encore en pleine communion, certes nous ne sommes pas d’accord sur tout et loin de là, mais nous nous reconnaissons déjà comme frères et sœurs dans le Christ. C’est un progrès dans l’histoire de l’Eglise catholique, je me permets d’insister. Et c’est très nouveau, c’est récent ; à peine 50 ans ; pas étonnant du coup, que nous avancions lentement et qu’il faille du temps pour passer de la méfiance à la confiance, de l’ignorance de l’autre au désir de se connaître et de se comprendre. Nous sommes un peuple, un peuple en marche, comme le peuple d’Israël au désert, et donc un peuple qui avance petit à petit et qui doit, qui est appelé, à se convertir, se purifier, à devenir lui-même, à devenir toujours plus le peuple de Dieu, fidèle aux appels de son Seigneur…

Alors l’œcuménisme, est-ce un doux rêve ? C’est en tout cas un beau rêve et c’est surtout un appel. Celui du Christ – dans l’évangile de Jean – et en plus, pour nous catholiques, celui du concile Vatican II. C’est un appel pour nos responsables d’Eglises mais aussi et peut-être tout autant pour chacun de nous. On ne peut pas tout attendre d’en haut ni tout attendre des autres. L’Eglise – et c’est Vatican II qui le redit avec force – l’Eglise c’est chacun de nous, c’est le peuple des baptisés. A nous de relever les manches et de vouloir avancer, concrètement, localement ! L’œcuménisme officiel de l’Eglise catholique avec les Orthodoxes, par exemple, après Vatican II, a commencé par ce que Paul VI t le patriarche Athénagoras avaient appelés le « dialogue de la charité ». Pas seulement un dialogue théologique mais aussi des rencontres et un partage de ce qui fait notre vie chrétienne. C’est aussi l’intuition d’une sorte de mouvement œcuménique actuel qu’on appelle le Forum Mondial et qui se développe beaucoup dans les Eglises du Sud. L’urgence de la rencontre et du vivre ensemble, pas pour gommer nos différences, je vais y revenir, mais pour se reconnaître comme frères et sœurs et passer de la méfiance de l’autre à la confiance parce qu’on se connaît.

Je reviens à Vatican II. Vous vous doutez bien que ça n’arrive pas comme ça par hasard ou d’un coup de baguette magique ; et nous voyons bien aussi que, si Vatican II a commencé à ouvrir des portes, elles ne sont encore qu’entrebâillées. A peine 50 ans, c’est court pour se retourner et pour faire siens les appels.

On pourrait dire de Vatican II qu’il est le fruit du XXème siècle, pour l’œcuménisme notamment mais plus largement pour tout ce qu’il a ouvert dans son apport au monde, aux autres chrétiens et aux autres religions. Vatican II est un fruit de l’œcuménisme lui-même et des autres traditions chrétiennes qui ont commencé à s’y engager avant l’Eglise catholique. Et puis c’est surtout le fruit de rencontres de personnes qui n’ont pas voulu se satisfaire des divisions et des blessures du passé, des personnes qui ont voulu aller à la rencontre de l’autre et de sa propre tradition pour mieux se comprendre et se connaître.

On peut dire que le mouvement œcuménique naît à la fin du XIXème siècle, et plutôt dans le « monde » protestant. Deux dates sont à retenir et même trois :

(1) 1910 : la conférence mondiale missionnaire d’Edimbourg, qui concerne les Eglise issues de la Réforme. Il y a eu deux décisions importantes : à la fois donner leur autonomie aux nouvelles Eglises, les Eglises naissantes, dans les pays dits de mission, c’est-à-dire les pays colonisés ; et, parallèlement, adopter ce qu’on pourrait appeler une stratégie commune en tout cas unifiée par rapport à l’évangélisation, en veillant et en travaillant à ne pas se faire concurrence entre Eglises et donc à se reconnaître les uns et les autres comme des Eglises du Christ, quelles que soient les sensibilités propres des pasteurs et des communautés. Je vous rappelle qu’à cette époque là on est en plein « réveil » protestant avec beaucoup de petites Eglises qui naissent, y compris dans les vieux pays de chrétienté, qui sont des Eglises plus charismatiques et pentecôtistes ; et que le monde Protestant se morcelle. Il y avait don un enjeu d’évangélisation à ne pas se faire concurrence et à essayer de marcher ensemble. On peut dire que c’est la naissance du mouvement œcuménique.

(2) Deuxième date à retenir : 1919. C’est la 1ère fois que le mot « œcuménisme » semble utilisé de façon officielle pour parler d’une recherche d’unité entre les Eglises. Ce mot nous vient d’un évêque luthérien, Söderblom. Alors qu’est en train de se créer la Société des Nations, il propose que soit créé, pareillement, une sorte de Conseil des Eglises qu’il appelle Conseil œcuménique, qui rassemblerait des responsables de toutes les Eglises, tous ceux qui se réclament du Christ. Je vous rappelle juste que ça n’arrive pas par hasard en 1919 : nous sommes au lendemain de la 1ère guerre mondiale, qui est née dans l’Europe chrétienne ; et ce sont des chrétiens, baptisés, qui se sont entretués. C’est comme s’il y avait une prise de conscience que ça ne va pas, qu’il faut se réveiller. C’est prophétique. Je rajoute que pour Söderblom ce mot « œcuménique » évoque très clairement l’unité des chrétiens du monde au service d’une unité de l’humanité à construire et à faire advenir. Si les chrétiens ne vivent pas unis comment le monde pourrait-il trouver son unité et donc la paix ? C’est la question qui se pose. A cette époque là, n’oublions pas que c’est l’Occident qui dirige le monde avec tout un tas de pays colonisés qui n’ont – pour dire vite – qu’à suivre et qu’à obéir.
Cette intuition de Söderblom d’une unité des chrétiens au service de plus de fraternité humaine ce sera la même plus tard pour un frère Roger de Taizé, après la seconde guerre mondiale. Quand frère Roger lance ses rencontres européennes de Taizé, dans les années 70, il a cette conviction forte que la paix dans cette Europe qui a donné deux guerres mondiales absolument horribles, la paix en Europe pourra permettre de faire grandir plus de paix dans le monde et qu’il n’y aura pas de paix véritable et durable en Europe si ce n’est pas la préoccupation des jeunes et des chrétiens et donc des jeunes chrétiens qui se rassemblent, qui se rencontrent et qui prient ensemble. Et c’est bien ce qui se vivait, à petite échelle, à Taizé, depuis les années d’après-guerre.

(3) Je reviens à Söderblom. Son intuition sera à l’origine de la création du Conseil Œcuménique des Eglises, en 1948 C’est la troisième date que je voulais que vous reteniez. 1948. On est dans l’après deuxième guerre mondiale. On voit que ça a mis du temps. Mais il y a eu pas mal de choses entre deux, notamment la création du mouvement « Life and Work » en 1925 et « Faith and Order » en 1927. On peut dire que le Conseil Œcuménique des Eglises c’est la fusion de ces deux mouvements : à la fois théologique et en même temps éthique et pratique.
Le Conseil Œcuménique des Eglises n’est pas une super-Eglise mais une sorte de libre association d’Eglises. J’ai trouvé cette définition qu’on peut retenir si vous voulez : c’est « une association fraternelle d’Eglises qui confessent le Seigneur Jésus Christ comme Dieu et Sauveur, selon les Ecritures, et s’efforcent de répondre ensemble à leur commune vocation pour la gloire du seul Dieu Père, Fils et St Esprit » . Toutes les Eglises n’en sont pas membres, même si beaucoup d’Eglises issues de la Réforme et d’Eglises évangéliques sont entrées au Conseil Œcuménique des Eglises. Un certain nombre d’Eglises orientales et d’Eglises orthodoxes sont également membres même s’il y a eu une sorte de crise interne il y a quelques années et que certaines ont failli quitter ; le problème, à ce moment là, était celui de la représentativité numérique des Eglises : est-ce qu’une petite Eglise de quelques centaines de membres a autant de poids qu’une Eglise de plusieurs milliers ou même millions de fidèles ? Combien de représentants par Eglises et sur quels critères ?
A ce jour, l’Eglise catholique n’est pas membre du Conseil Œcuménique des Eglises. Pour trois raisons au moins :
- d’abord elle n’était pas engagée dans l’œcuménisme en 1948, je l’ai dit ça viendra avec le concile Vatican II ; 1ère raison…
- il y avait cette question ensuite de la représentativité numérique et du poids à avoir dans les débats et votes du Conseil. Nous représentons encore aujourd’hui la majorité des chrétiens dans le monde…
- et puis – 3ème et principale raison – nous ne sommes pas d’accord sur la définition ou la compréhension de ce qu’est une Eglise. Selon els critères du concile Vatican II, nous ne pouvons pas dire de toutes les Eglises issues de la Réforme ou des Eglises évangéliques qu’elles sont des Eglises au regard de la conception que nous en avons – à savoir une structure hiérarchique ministérielle épiscopale et les sacrements, pour dire vite. Nous reconnaissons les Eglises orthodoxes et plus largement les Eglises d’Orient comme des Eglise sœurs – car elles ont gardé la structure ecclésiale des premiers siècles avec l’épiscopat, l’eucharistie et les sacrements – mais nous préférons parler de communautés ecclésiales à propos des Eglises issues de la réforme – en tout cas la majorité des Eglises issues de la Réforme.
Par contre, si l’Eglise n’est pas membre à part entière du Conseil Œcuménique des Eglises, nous sommes membres à part entière du département théologique du Conseil Œcuménique, « Foi et Constitution », et nous avons un observateur permanent aux assemblées du Conseil Œcuménique. Parce que depuis Vatican II ça nous intéresse la recherche de l’unité des chrétiens et donc les autres chrétiens et donc ce qu’ils vivent, partagent et décident ensemble !
Et aujourd’hui nous sommes peut-être, en tout cas il me semble, la seule Eglise à être en dialogue officiel avec toutes les Eglises ou familles d’Eglises.

C’était donc mes trois dates. 1910, 1919 et 1948. Vous voyez, c’est donc très récent le mouvement œcuménique. Je rajoute que parallèlement à ce mouvement officiel, il y a eu des personnalités qui ont eu des intuitions et qui ont vécu des rencontres qui ont permis de faire avancer l’idée œcuménique dans les Eglises. S’il n’y en avait qu’une à citer en France, c’est celle de l’abbé Paul Couturier, un prêtre lyonnais à qui on doit la semaine de prière annuelle pour l’unité des chrétiens. Sa démarche elle commence par quelque chose qui pourrait nous paraître presque anecdotique : sa rencontre d’un prêtre orthodoxe, russe je crois, en exil sans doute, qui n’avait pas le matériel pour célébrer la liturgie ; Paul Couturier a aidé sa petite communauté à trouver des vêtements liturgiques, puis il a appris à les connaître ; parallèlement il a aussi décidé et appris à connaître des protestants ; ça l’a amené à aider par exemple le tout jeune frère Roger qui s’installait à Taizé. Et de fil en aiguille il a aidé l’Eglise catholique à entrer dans le mouvement œcuménique.

Beaucoup trouvent aujourd’hui que le mouvement œcuménique piétine un peu. Et c’est vrai, pour une part, notamment parce qu’on a beaucoup avancé en 40 ans, à la fois en connaissance concrète, localement, mais aussi de façon très officielle et notamment sur beaucoup de questions théologiques. Cet espèce de piétinement est une chance je crois pour retrouver ou redécouvrir ce qui était le cœur ou le fondement de la démarche de l’abbé couturier, ce qu’on pourrait appeler un œcuménisme spirituel qu’on pourrait résumer brièvement en 4 points :

1. Jésus a exprimé son désir d’unité dans une prière ; ce n’est pas un commandement mais une prière ; il nous est donc proposé de participer à la prière de Jésus, de façon personnelle, sans doute, mais aussi communautaire.
2. L’unité est un don ; ce n’est pas nous qui la fabriquerons, à notre image à nous, mais nous la recevrons de l’Esprit Saint.
3. Le chemin de la réconciliation et de la communion que nous avons à vivre est forcément, et pour chacun donc pour toutes nos Eglises, un chemin de conversion.
4. Tout est dit dans la prière du Notre Père où nous disons tous, dans chacun de nos Eglises, « Notre Père », avec ce mot « notre » qui nous engage. Une prière, du coup, où tous les mots sont à peser et à prier ! Le Groupe des Dombes, qui est un groupe français avec des théologiens et des prêtres et pasteurs qui sont catholiques et protestants réformés et luthériens, vient de sortir son dernier document justement sur le Notre Père.

L’abbé Couturier ajoutait que l’œcuménisme spirituel passerait par un œcuménisme d’amitié et de rencontre. Tout simplement avancer sur des chemins de « fraternisation » entre nous pour que l’unité par la fraternité réelle puisse grandir. Qui dit se rencontrer dit apprendre à se connaître et pour cela entendre chacun dans son histoire propre, d’où tous les dialogues théologiques qui ont lieu depuis 40 ans et dont certains avancent réellement même si les questions débattues nous paraissent parfois un peu loin du concret de chaque jour. Je suis persuadé que ça a son importance quand même, car c’est en partie sur des questions théologiques qu’on s’est divisé au cours des siècles. Il faut donc qu’on comprenne et qu’on se comprenne.

Le problème de tous ces dialogues théologiques c’est celui de savoir comment ils sont reçus par nos Eglises. Y compris de façon très officielle, par exemple par nos évêques, pour l’Eglise catholique. Est-ce que ces questions, ces débats et ces avancées sont prioritaires ou au moins assez haut placées dans la liste des choses importantes de leur pastorale d’évêques ou est-ce que ça passe après d’autre préoccupations plus concrètes ou plus directement locales et intra-ecclésiales ou confessionnelles ? Je pense qu’il y a là une vraie question… Et quand je dis ça, je ne juge personne, je constate juste que souvent ça passe après le reste… C’est considéré comme des questions extérieures à la vie de l’Eglise. Et c’est pareil, d’ailleurs, dans d’autres Eglises. On est tous pris par la gestion quotidienne de nos propres communautés, à plus forte raison dans le contexte actuel, d’où l’impression soit de retours en arrières soit de replis identitaires. Et tout cela pourrait donner l’impression parfois que l’œcuménisme c’est peut-être un doux rêve…

Parmi les avancées concrètes que je voulais quand même soulever, c’est tout ce qui touche à la Parole de Dieu. On redécouvre aujourd’hui dans l’Eglise catholique l’importance de la Parole de Dieu. Très concrètement, on le doit à nos frères et sœurs de la Réforme. Et quand le concile Vatican II dit à propos des prêtres que leur ministère premier c’est l’annonce de la Parole, c’est presqu’une petite révolution ; on ne dit pas d’abord que c’est le culte et la célébration des sacrements ; en tout cas, dans le culte et les sacrements, la Parole de Dieu retrouve toute sa place : désormais elle y est à chaque fois et en plus dans la langue des gens qui sont là. On baigne dedans depuis plusieurs années alors on n’y fait même plus attention. Mais ça c’est une réelle avancée œcuménique. Et dire, aujourd’hui, que ce n’est pas parce qu’on n’a pas de messe régulière dans un village qu’on ne peut pas se rassembler quand même de temps en temps autour de la Parole de Dieu, c’était quasiment impensable il y a 50 ou 100 ans. Du coup, méfions-nous quand on dit de l’œcuménisme que ça tâtonne ou que ça n’avance pas beaucoup ; parce qu’en 50 ans ça a avancé beaucoup plus qu’en quatre ou cinq siècles. Et il faudra du temps encore pour que ça avance petit à petit. C’est normal. Et l’urgent c’est sans doute de prier pour que nous recevions de Dieu lui-même des chemins d’unité à vivre. Que ce ne soit pas notre histoire à nous, nos œuvres humaines, mais bien l’œuvre de Dieu.

Ce que je vous dis là, ça n’empêche pas, évidemment, qu’il y ait de réels tâtonnements et même des difficultés. Je pense à la question très concrète par exemple de l’hospitalité eucharistique ou à celle de la reconnaissance du baptême. En même temps il faut bien voir que lorsqu’on avance par exemple avec tels ou tels protestants – vous mettez bien au pluriel s’il vous plaît –, qu’est-ce que ça produit pour notre dialogue avec d’autres ; quand on avance avec les Eglises orientales sur nos compréhensions de l’Eglise et des sacrements, qu’est-ce qui se passe avec les Eglises issues de la Réforme ? C’est loin d’être très simple. Parce que on est – je le disais tout à l’heure – dans trois « mondes » très différents ! A cause des siècles qui nous séparent, à cause aussi de la diversité interne à chacun de ces mondes et à cause blessures qu’il y a entre nous. Et les avancées d’un côté appellent des réajustements d’un autre côté et vice-versa. Et du coup ça ne pourra avancer que très lentement. La question c’est juste de savoir si nous voulons avancer et si nous voulons bien, du coup, prendre le temps de nous rencontrer, d’apprendre à nous connaître et à nous comprendre, et si nous acceptons de prier ensemble. Le reste viendra après…

Parmi les difficultés, aujourd’hui, j’en relève quand même plusieurs. En tout cas des choses qui bouleversent les équilibres œcuméniques qui s’étaient mis en place au cours du XXème siècle :

(1) Les questions éthiques aujourd’hui sont de vraies questions œcuméniques et même interreligieuses. Nous sommes par exemple beaucoup plus proches des évangéliques que des réformés pour tout ce qui concerne les questions de défense de la vie, de la naissance à la mort, et même chose pour tout ce qui touche à la sexualité et au mariage. Pareil avec les orthodoxes. Il faut reconnaître qu’il y a aujourd’hui un libéralisme protestant dans certaines Eglises qui n’est pas compris des autres. Ce n’est pas un jugement ; c’est juste un constat de quelque chose qui rend le dialogue compliqué.

(2) Un autre point qui bouleverse les équilibres œcuméniques des dernières décennies, ce sont ce que je vais appeler les changements de rapports de force dans le monde : concrètement aujourd’hui il y a plus de chrétiens issus des Eglises du Sud que des Eglises du Nord. Et ce sont majoritairement des chrétiens issus d’Eglises pauvres qui ont été colonisées par les pays de la vieille Europe. Et donc, concrètement, ils sont majoritairement évangéliques. Et ils ne se retrouvent pas dans nos débats très occidentaux. C’est pour eux notamment, et à l’initiative d’Eglises du Sud, que le Conseil Œcuménique des Eglises a lancé il y a quelques années un mouvement qui s’appelle le Forum Chrétien Mondial. Des lieux et des temps de rencontre entre chrétiens, pas pour parler théologie, pas non plus pour d’abord faire des choses ensemble, mais juste pour se rencontrer et se dire qui est le Christ pour nous, chacun, et comment nous le vivons dans nos Eglises et dans nos pays avec les épreuves et difficultés qu’ils traversent et qui jouent forcément sur le quotidien des Eglises et des croyants ; tout simplement se partager qui est le Christ et qu’est-ce que ça change sa présence et son salut pour ce que ces communautés et ces Eglises ont à vivre.

(3) Un autre bouleversement : c’est celui de la montée de l’islam et plus largement la question du dialogue interreligieux. Là aussi ça joue différemment qu’on soit dans les pays occidentaux ou qu’on soit chrétien dans un pays majoritairement musulman ; et ça joue différemment qu’on soit une Eglise qui a des habitudes et des désirs de dialogue ou qu’on soit de jeunes Eglises évangéliques tout feu tout flamme qui veulent annoncer Jésus Christ à tous même si ça doit aller jusqu’au martyre par fidélité à Jésus et à l’évangile. Je caricature, mais à peine… !

(4) La dessus vous rajoutez, chez nous par exemple, en France, l’écart générationnel entre une génération de personnes qui ont œuvré au concile Vatican II et à plus d’œcuménisme et les jeunes qui trouvent que l’important c’est de se retrouver, que nos histoires c’est du passé et que on ne va pas ressasser nos guerres de religions et nos débats théologiques pendant des siècles.

(5) En même temps, et ça peut paraître paradoxal, une chose encore qui bouscule les équilibres qui avaient été trouvés c’est le repli identitaire qu’on retrouve dans toutes les Eglises – je pense surtout à l’Occident –, un repli identitaire qui est lié à au moins deux choses : (1) une société occidentale en perte de repères avec du coup le désir fort – peut-être plus ou moins inconscient, en tout cas chez les jeunes – le désir fort de points de repères marqués, clairs, et d’une identité forte ; et (2) la montée de l’islam qui pousse nos Eglises à s’affirmer et à défendre leur positionnement dans la société…

Dernier point avant de passer à quelques mots de conclusions : juste quelques avancées de ces dernières années. En théologie un texte d’accord a été signé il y a une douzaine d’années maintenant entre l’Eglise catholique et les Eglises luthériennes sur la question théologique qui était le point de départ de Luther, la doctrine de la justification par la foi. Je ne rentre pas dans les détails, réassurez-vous. Le problème c’est que depuis ce débat de Luther il y a eu au cours des siècles d’autres questions qui sont apparues, et donc qu’il va falloir là aussi du temps pour les résoudre petit à petit ! En tout cas la question qui a entraîné l’éclatement de l’Occident, nous sommes aujourd’hui d’accord. Ce n’est franchement pas rien !

Autre chantier œcuménique qui avance, avec le monde orthodoxe cette fois-ci, c’est celui de la collégialité des évêques et donc des synodes et même des conciles et leur articulation à un ministère de communion, en l’occurrence celui que devrait exercer le pape comme évêque de Rome. C’est un travail qui avance et c’est sans doute une des seules questions aujourd’hui qui nous empêche d’être pleinement en communion entre catholiques et orthodoxes et donc de pouvoir reconnaître pleinement nos ministères et la validité de nos sacrements. Le problème, actuellement, c’est que les orthodoxes, entre eux, ont du mal à se mettre d’accord parce que ces histoires là font ressortir des questions internes à leur vie ecclésiale et à leur histoire en Orient. Ça prend donc du temps. Et l’Eglise catholique joue le rôle, sans le vouloir et pour une part, de médiateur…

Dans le monde protestant, il y a des chemins d’unité qui progressent. Je pense en France à deux choses : la future Eglise unie qui rassemblerait à partir de 2013 luthériens et réformés dans une même famille ecclésiale avec des synodes communs, des ministres pasteurs communs, des formations théologiques communes. Je pense aussi à la création du CNEF, le Conseil National des Evangélique des France, qui regroupe tout un tas d’Eglises ou de familles d’Eglises évangéliques en une seule fédération. C’est nouveau, ça a tout juste un an ; l’enjeu c’est d’avancer ensemble, avec des orientations communes ; et ça veut donc dire se reconnaître entre Eglises évangéliques parfois très différentes, parfois concurrentielles, même en France. Ceci dit, le revers de la médaille c’est que quelques Eglises évangéliques qui étaient membres de la Fédération Protestante de France, avec les Réformés et les Luthériens, quittent cette structure là. Bon… Là aussi il faudra du temps pour trouver des équilibres. Mais on ne peut pas dire que ça n’avance pas. Je rajoute un mot sur la création du CNEF parce que la démarche a été intéressante par rapport à ce que je vous disais tout à l’heure de l’œcuménisme spirituel : les premières rencontres ont été des rencontres de jeûne et de prière – c’était trop difficile d’envisager autre chose – ; le processus a ensuite permis un partage – sans débats – de ce que chacun croit et vit – un peu la démarche du Forum Chrétien Mondial dont je vous parlais tout à l’heure – ; puis petit à petit, en reprenant les choses dans le jeûne et la prière, les Eglises ont pu se dire, faire des demandes pardons et des reconnaissances de fautes ; et aujourd’hui, pratiquement toutes les Eglises dites évangéliques, en tout cas beaucoup, ont signé leur adhésion au CNEF. Les anglicans qui sont en phase d’implosion à cause de la question de l’ordinations ou non de ministres ouvertement homosexuels, on a pris cette méthode là pour essayer d’avancer petit à petit ; ils voyaient bien que le dialogue était impossible aujourd’hui et c’était une façon d’avancer quand même tout en se donnant le temps, même si des Eglises qui sont membres de la communion anglicane décident d’autoriser quand même de telles ordinations… Prier, jeûner et s’écouter jusqu’au bout ; pour pouvoir avancer un jour, petit à petit.

Dans l’Eglise catholique, le chantier actuel c’est celui de la réception du concile Vatican II. Les 50 ans que nous allons fêter à partir du mois d’octobre vont être l’occasion de voir qu’elles ont été les avancées depuis, les mises en œuvre concrètes qui ont été réalisées ou pas encore, les questions qui demeurent, et puis ce qui a changé depuis qu’il faudrait imaginer différemment. C’est dans ce contexte là qu’il y a toute la question des catholiques lefebvristes, ceux qui n’ont pas reconnu le concile Vatican II notamment à cause des textes sur l’œcuménisme, les autres religions et la liberté de conscience ; il y a des pourparlers, actuellement, pour voir quels chemins on peut aussi construire avec eux, parce qu’ils sont eux aussi chrétiens, au sens où ils se réclament du Christ, appelés comme nous à la conversion… La question ce sera évidemment jusqu’où on peut aller, qu’est-ce qui est négociable ou pas ; mais il y a sans doute les mêmes enjeux et les mêmes chemins à trouver pour se comprendre que dans nos relations œcuméniques avec les autres Eglises. Mais là aussi, sans doute qu’il faut qu’on ne se précipite pas trop, c’est encore très récent, et même encore à vif…


Quelques mots très brefs de conclusion parce qu’il faut bien que je m’arrête. L’œcuménisme est-il donc un doux rêve. Je pense que vous aurez compris que c’est un beau rêve, en tout cas une belle aventure. On rêverait sans doute que tout se règle vite ; mais on ne balaye pas d’un revers de manche des siècles de séparation. Et puis aller vite pourquoi ? Pour dire que tout est pareil et tout se vaut ? Pourquoi pas, mais est-ce vraiment respecter l’autre que de lui dire : fait bien comme tu veux ? Aller vite pour trouver une mode ou un modèle de vie ecclésiale qui aille à tout le monde ? Moi je veux bien, mais quel modèle d’unité nous est commun aujourd’hui entre ces trois « mondes » dont je vous parlais dès le début de cette intervention ? Le protestantisme est finalement très morcelé et affirmer que le principe d’unité c’est la Parole de Dieu, est-ce que c’est si évident à vivre ? L’orthodoxie, de son côté, vit des choses compliquées en ce moment avec l’éclatement des Eglises suite à la chute du communisme et la montée des nationalismes qui sont une conséquence assez évidente, en tout cas naturelle, de la liberté retrouvée… L’orthodoxie affirme une certaine autonomie des Eglises avec comme principe d’unité le concile rassemblant tous les évêques, sauf que la question c’est quand même de savoir qui convoque et préside ce concile – pendant des siècles ça a été le rôle de l’empereur… Enfin, du côté catholique, quel modèle d’unité ? Pendant longtemps on a pensé les choses comme un retour des autres Eglises dans l’Eglise catholique – on a d’ailleurs aujourd’hui tout un tas d’Eglises catholiques orientales, avec leur rite propre et leur fonctionnement hiérarchique et institutionnel propres, mais c’est régulièrement un sujet de discorde avec les Eglises orthodoxes – ; la question aujourd’hui, du côté catholique et du côté d’un modèle d’unité à trouver, c’est celle de la place et du rôle du pape comme ministre de communion, à la fois dans l’Eglise catholique mais aussi, du coup, entre les Eglises, du moins ou déjà avec les Eglises qui ont gardé une structure épiscopale, c’est-à-dire les Eglises orientales et orthodoxes, certaines Eglises luthériennes et l’Eglise anglicane…

Vous voyez que les choses ne sont pas simples… Vers quelle unité avancer ? Quelle unité qui respecte les diversités légitimes et qui ne balaye pas l’histoire comme si rien ne s’était passé ? Mais quelle unité qui ne balaye pas non plus ou qui ne blesse pas ce qui marque nos identités respectives ? Et du coup, quel principe d’unité pour que celle-ci soit réalisable et effective ?

L’enjeu et sans doute la chance de ce doux rêve d’une recherche de l’unité des chrétiens c’est de rester un peuple en marche, appelé encore à se convertir et à entendre les appels de l’évangile !

En tout cas, comme je n’ai pas les réponses à toutes les questions que je viens de poser et pour toutes celles qui se poseront encore et qu’à mon avis vous ne les avez pas non plus, je vous propose de finir cette intervention en vous lisant la prière pour l’unité de l’abbé Paul Couturier ; vous pouvez même la prendre comme une prière, si vous voulez. Vous allez peut-être être étonnés du vocabulaire de la douleur, vous verrez ; entendez-le juste comme le fait de se laisser toucher intérieurement par nos divisions, ne pas y rester indifférent ou insensible. Je vous partage donc ces quelques mots de prière parce que je trouve que c’est finalement très actuel :

Seigneur Jésus, qui, à la veille de mourir pour nous, as prié pour que tous Tes disciples soient parfaitement un, comme Toi en Ton Père et Ton Père en Toi, fais-nous ressentir douloureusement l’infidélité de notre désunion.
Donne-nous la loyauté de reconnaître et le courage de rejeter ce qui se cache en nous d’indifférence, de méfiance et même d’hostilité mutuelle.
Accorde-nous de nous rencontrer tous en Toi, afin que, de nos âmes et de nos lèvres, monte incessamment Ta prière pour l’unité des chrétiens, telle que Tu la veux, par les moyens que Tu veux.
En Toi, qui es la charité parfaite, fais-nous trouver la voie qui conduit à l’unité dans l’obéissance à Ton amour et à Ta vérité.
Amen.

[Chrisotphe Delaigue, 24 janvier 2012]

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