La vie... la mort... et après ?

Mercredi 18 avril 2007

Introduction

Lors de notre précédente conférence, nous avons essayé de penser une spécificité du christianisme vis-à-vis des grandes religions du monde. Ou plutôt, nous avons essayé de nous laisser interroger par la place du christianisme dans notre monde et notre société. Le contexte pluraliste dans lequel nous vivons nous oblige sans cesse à mettre des mots sur notre foi, il nous oblige à expliciter en quoi le message de la religion à laquelle nous appartenons a quelque chose de spécifique, quelque chose qui fait vivre et qui concerne l’homme d’aujourd’hui.

Pour nous chrétiens, il est une question qui relève bien de la spécificité de notre foi ; c’est celle de la résurrection, la résurrection que nous avons fêtée il y a quelques jours, à Pâques. La question qui est derrière, c’est celle du sens de la vie, c’est-à-dire sa signification mais aussi sa direction – j’y reviendrai. Cette question du sens de la vie n’est pas propre aux chrétiens ; elle est l’affaire de toutes les grandes religions et même de tous les systèmes de pensée – du moins d’un certain nombre. Et la résurrection est une réponse, une réponse de foi. Et c’est une réponse aujourd’hui remise en cause, contestée, parce que nous ne savons pas toujours quoi mettre derrière cette notion et parce que nous sommes parfois attirés par d’autres réponses – je pense par exemple au « succès » d’une certaine croyance en la réincarnation.

Il y a quelques mois, paraissait un numéro du Monde des religions sur « Les catholiques français ». On pouvait y lire que seulement 10% des catholiques français interrogés croient en la résurrection contre 8% qui préfèrent croire en la réincarnation. 53% disent croire en quelque chose après la mort mais ils ne savent pas quoi. 10% croient donc en la résurrection après la mort. Et dans ce même sondage, on annonçait aussi que seulement 58% des catholiques français interrogés croient en la résurrection du Christ ; je trouve que c’est un peu effrayant vu qu’il s’agit là du cœur de la foi chrétienne.

La question de l’après-mort est une question existentielle, elle est propre à l’humanité et elle est présente dans un certain nombre de civilisations – pour ne pas dire toutes. Elle nous dit notre questionnement sur la recherche du bonheur et sur le sens de notre vie. Parce que deux options s’ouvrent à nous et même trois : soit la vie s’arrête avec la mort et du coup la question du sens de ce qui nous arrive se pose de façon cruelle pour nous aujourd’hui – pensez à tout ce mal qui nous entoure et toutes ces horreurs dont l’homme est capable – ; soit il y a quelque chose après la mort et alors il y a éventuellement un sens à tout ça ; mais du coup la question se déplace : quel sens pour après ou quel sens pour aujourd’hui ; c’est-à-dire : la vie est-elle attente de ce qui doit venir ; ou bien a-t-elle sa valeur propre en lien avec ce qui doit venir…

Ces questions sous-tendent les différentes réponses que nous pouvons apporter et celles que les religions ou les systèmes de pensée ont essayé de donner. C’est ce que nous allons voir maintenant au travers de la réponse chrétienne puis de la réponse hindouiste et bouddhiste. Mais avant de nous y pencher, j’aimerais dans un premier temps laisser résonner pour nous les termes du titre de cette conférence à savoir cette opposition qui est faite entre « vie » et « mort ». Qu’est-ce qu’on met derrière chacun de ces mots ? Et puis comment est-ce qu’ils « jouent » ensemble ou plutôt fonctionnent ensemble ?

1. La vie… La mort…

Première question que je me suis posé : qu’est-ce que la vie ? Si nous devions la définir chacun, je pense que ce serait intéressant de voir nos points de départ et nos approches. Ils seraient sans doute différents selon notre histoire, nos croyances ou notre foi… Spontanément je me suis dit : la vie je trouve que c’est un mystère ! Nous sommes en vie, voilà, c’est tout ! De fait, nous sommes nés – et comme dirait Sartre, je crois : nous n’avons rien demandé – nous sommes là et nous devons vivre. Vivre en sachant que de toute façon nous allons mourir. En même temps, j’ai envie de rajouter que la vie c’est ce « quelque chose » qui nous dépasse, ce « quelque chose » qui nous traverse. Nous l’avons reçue, de nos parents, et nous pouvons la transmettre, notamment à nos enfants. La vie est un donné qui ne fait que traverser notre existence, une existence qui est faite de plein de choses, des évènements, des rencontre, des joies, mais aussi des épreuves, des difficultés, des désirs de mort peut-être, etc. La vie est un mystère qu’en fait il nous est bien difficile de mettre en mots…

Pour la mort, je me disais que spontanément c’est presque plus simple ! La mort c’est la fin de la vie (on parle d’ailleurs dans les hôpitaux et notamment dans les unités de soins palliatifs de l’accompagnement des mourants en fin de vie ; pensez aussi à l’association J.A.L.M.A.V. : Jusqu'A La Mort, Accompagner La Vie). La mort, c’est finalement la quasie seule certitude de notre vie : nous savons que nous allons mourir un jour. Ceci étant, j’ai dit tout à l’heure que la vie est un mystère ; j’ai envie de dire la même chose de la mort : nous la savons comme inéluctable mais qu’en connaissons-nous en fait ? A l’instant de notre mort, que va-t-il se passer ? Comment la vie s’arrête-t-elle ? Que sentons-nous ? Je repensais à ce qu’on dit assez facilement quand on a failli passer très près de la mort : les personnes qui ont fait cette expérience disent avoir vu défiler leur vie en instant… J’aime dans cette expression le fait que la mort nous apparaît comme ce qui nous permet de nous rendre compte de la vie, de la valeur de la vie.

Ceci dit, vous remarquez que nous n’arrêtons pas d’opposer la mort à la vie – c’est bien ce que nous faisons quand nous disons de la mort qu’elle est la fin de la vie. Je ne suis pas sûr que cette opposition soit très juste. Je ne suis pas sûr qu’en fait ça ne voile pas les choses. Parce que si nous opposons la mort à la vie, alors la question de l’après ne se pose plus ! Pour illustrer ce propos, je vous lis un texte d’une dame qui s’appelle Christiane Singer ; c’est extrait d’une conférence qu’elle a prononcée il y a quelques années à un congrès sur l’accompagnement des mourants et c’est publié dans un de ses livres qui s’appelle Où cours-tu ? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi ?[1] Dans son chapitre intitulé « Les deux sœurs » – c’est le texte de sa conférence – elle écrit :

Le tout premier jour où je suis allée à l’école, je me souviens avoir monté la rue de Paradis avec ma grande sœur, la main dans la main.

Cette forte image : deux sœurs qui marchent en se tenant par la main me vient à l’arraché et par surprise quand je dis : la vie et la mort.

Elles aussi vont ensemble et sont impossibles à penser l’une sans l’autre : émouvants, inséparables, la vie et la mort.

De même que je suis nue sous mes vêtements, je sais que je suis promis à la mort, pourtant l’énigme reste entière.

Qui est ce « je » promis à la mort depuis l’heure de ma naissance ? Et qui est en moi, celui ou celle qui lui échappe obstinément depuis le début des temps ?

Que le paquet ficelé et scellé de mon identité, de mes qualités diverses, soit voué au trépas ne fait pas de doute. Mais cette vie, cette vie qui m’a traversé de manière unique et singulière, comme elle traverse de manière unique et singulière tous les êtres vivants, qui en suspendrait la coulée ?

L’erreur fondamentale de nos pensées binaires est d’opposer la mort et la vie. La vraie paire d’antonymes est naissance et mort, le passage du commencement et le passage de la fin. Et ce qui passe par ces deux portes et qui s’y engouffre, c’est, dans les deux cas, la vie.

Ontologiquement la mort est comme la naissance, inhérente à la vie – et non son opposé. Souvent de nos jours tout ce qui est hostile à la vie est appelé mort. (…)

Peu à peu dans la conscience contemporaine la mort devient le mal absolu, le vide-poche de tout ce qui est haïssable, l’ennemi numéro un. Il n’est que de voir à quel point elle est considérée comme l’échec absolu dans les services hospitaliers. (…)

Certes, si je la place face à la vie, ce fleuve torrentiel, la mort apparaît stagnation, marais putride. Or il ne faut pas la placer face à la vie, mais l’y inclure. C’est surtout cette intuition première que je voulais rendre sensible : la vie, la mort vont ensemble, main dans la main. (…)

Une question harcelante, impossible à éluder : Faut-il vraiment la mort pour que le prix de la vie apparaisse ? Faut-il que je te perde pour savoir combien je t’aimais ? (…)

Main dans la main.

Les deux sœurs. (…)

A la première « naissance d’en bas » – à la première surgie hors du ventre des femmes – succédera un jour – en fin de pèlerinage, en fin de quête – et dans la logique de l’Eros divin, la « naissance d’en haut » (Jn 3,7). « J’ai mis devant toi la vie et la mort. Choisis la vie et tu vivras ! » L’Invitation de Dieu à Moïse ! (…)

« Choisis la vie et tu vivras. »

Que tu vives ou que tu meures, choisis la vie !

Ce que je retiens de ce long passage c’est le fait qu’il ne faille pas opposer la mort à la vie. La mort n’est pas que la fin de la vie. Et comme je le disais tout à l’heure, quand je laissais un peu résonner ce mot « vie », celle-ci est de l’ordre de ce qui nous traverse : elle nous traverse dès notre naissance, elle nous traverse quand nous donnons naissance, elle nous traverse encore quand nous mourons… Et puis nous pourrions ajouter que nous avons tout au long de notre vie des signes de la mort qui arrive et qui approche, ne serait-ce que par la vieillesse qui nous gagne et la maladie qui s’introduit dans notre vie…

La vie… La mort… Après… Nous voyons bien qu’il y a là un mystère que notre conscience humaine ne peut pas complètement rationaliser. Nous ne pouvons qu’apporter des réponses à nos questions et à notre quête de sens et de bonheur. Les religions essayent elles-aussi d’apporter leur réponse, elles essayent de nous aider à mettre des mots…

2. La résurrection

Je vous disais tout à l’heure combien la résurrection ne va pas de soi, même dans les milieux catholiques. Si nous faisions maintenant un sondage, nous risquerions d’être étonnés, c’est sûr. Sauf que les sondages ne sont pas intéressants car ils ne permettent pas aux questions de se poser. Je vous dis cela car il me semble que ce qui serait intéressant c’est plutôt de laisser émerger ce que le mot « résurrection » fait résonner et advenir en nous en terme de convictions, de croyances, de questions et de doutes. Que voulons-nous dire quand nous affirmons croire ou ne pas croire en la résurrection des morts ou déjà en la résurrection de Jésus. Que mettons-nous derrière le mot « croire » et derrière celui de « résurrection » ?

Je vous propose un petit parcours en deux étapes, un petit parcours qui parte de la résurrection de Jésus (A) – ce qu’on en sait, ce qu’on peut en dire et ce qu’elle signifie pour la foi – et qui aille à la nôtre (B) – que veut-on dire par résurrection des morts, résurrection des corps ou de la chair ? et en quoi cela nous concerne-t-il ? Ensuite, nous irons voir du côté de la croyance en la réincarnation pour voir ce qu’en disent l’hindouisme et le bouddhisme et pour pouvoir ainsi confronter résurrection et réincarnation.

A. La résurrection de Jésus

St Paul affirme que si Christ n’est pas ressuscité alors notre foi est vaine et que c’est parce que Christ est ressuscité que nous sommes appelés nous aussi à la vie éternelle. Je commence donc par la résurrection de Jésus.

Nous avons plusieurs problèmes avec la résurrection de Jésus. Il y en a un qui est de l’ordre du langage et des mots. Et à celui-ci se superpose la question de savoir si la résurrection est un événement historique ou non – au passage, et même si je ne développe pas, notez que se pose souvent pour nous la question de savoir s’il faut que quelque chose soit historique pour qu’il soit vrai…

Quand on ouvre les évangiles, nous découvrons une surprise de taille. C’est que les premiers chrétiens n’ont pas eu recours à un seul langage pour dire le mystère de Pâques mais à plusieurs. Et comme le dit l’exégète suisse et protestant Daniel Marguerat dans son petit livre Résurrection, une histoire de vie, cette surprise « est sans aucun doute l’indice d’une intensité particulière dans l’événement vécu par les premiers chrétiens. Tout se passe comme si, devant l’indicible de la résurrection, les mots s’étaient dérobés. Comme si le vocabulaire avait échoué à exprimer cette irruption de l’au-delà dans le temps. Alors, les premiers chrétiens ont accumulé les mots. Ils ont combiné plusieurs langages dans l’espoir que, chacun étant inadéquat à dire la réalité de Pâques, ils parviendraient tous ensemble à donner une idée de l’événement stupéfiant. »[2]

On peut distinguer trois sortes de langages : le langage de l’éveil, celui de l’exaltation et enfin celui de la vie. Celui de l’éveil et du relèvement est celui des plus anciennes confessions de foi. Il marque la continuité de l’avant avec l’après : c’est le même homme Jésus qui est mort et que Dieu a ressuscité, a relevé, réveillé d’entre les morts. Si ce langage dit bien la continuité, il a du mal à marquer ce qui est de l’ordre du différent entre l’avant et l’après : et comme le dit Daniel Marguerat, « la vie du Ressuscité n’est pas une réanimation, pas un supplément de vie offert à qui serait mort trop tôt »[3]. C’est le langage de l’exaltation qui va permettre de dire cette différence. Mais ce qui est intéressant avec le langage de l’éveil c’est qu’il est aussi utilisé dans les récits de miracles, ce qui nous dit quelque chose de la résurrection qui n’est pas que de l’ordre de l’au-delà : quand Jésus guérit dans les évangiles, c’est déjà la puissance de sa résurrection qui est à l’œuvre. Et puis autre point intéressant avec ce langage, c’est que c’était celui de la tradition juive pour dire son espérance en une vie qui ne s’arrête pas avec la mort. Jésus s’inscrit bien dans cette attente d’un certain nombre de croyants du peuple d’Israël. Pour eux, la résurrection était une question de justice liée aux guerres du IIème siècle avant Jésus Christ et aux persécutions : Dieu, disait-on, ne pouvait pas ne pas récompenser ceux qui avaient été jusqu’au martyre au nom de leur foi. La résurrection n’est donc pas pour eux la réponse à la question qui est la nôtre de savoir ce que deviennent les morts ; elle n’était pas non plus en soi une aspiration à survivre à notre trépas : c’était une question de justice et une réponse à l’inquiétude causée par le triomphe apparent du mal et par l’apparente passivité de Dieu.

Le langage de l’éveil est celui que nous utilisons le plus couramment aujourd’hui. Mais aux premiers siècles, il était corrigé ou plutôt équilibré par celui de l’exaltation que l’on trouve déjà de façon très présente dans les Psaumes. C’est le vocabulaire de l’arrachement au monde, du changement de condition. Ce langage veut nous dire que le Ressuscité ne partage plus la vie des hommes comme avant mais celle de Dieu, et que Pâques nous révèle ce qui avant restait encore de l’ordre du caché. Nous avons deux exemples assez significatifs de ce langage avec la célèbre Hymne aux Philippiens que nous entendons le dimanche des Rameaux et avec le récit de l’Ascension, dans l’évangile de Luc. Je vous lis cette Hymne aux Philippiens – c’est au chapitre 2, aux versets 6 à 11 :

6

Le Christ Jésus, lui qui était dans la condition de Dieu,
il n'a pas jugé bon de revendiquer son droit
d'être traité à l'égal de Dieu ;

7

mais au contraire, il se dépouilla lui-même
en prenant la condition de serviteur.
Devenu semblable aux hommes
et reconnu comme un homme à son comportement,

8

il s'est abaissé lui-même
en devenant obéissant jusqu'à mourir,
et à mourir sur une croix.

9

C'est pourquoi Dieu l'a élevé au-dessus de tout ;
il lui a conféré le Nom
qui surpasse tous les noms,

10

afin qu'au Nom de Jésus,
aux cieux, sur terre et dans l'abîme,
tout être vivant tombe à genoux,

11

et que toute langue proclame :
« Jésus Christ est le Seigneur »,
pour la gloire de Dieu le Père.

J’en viens au troisième langage, le plus repérable mais le plus ambigu : celui de la vie. Il est ambigu parce qu’il insiste beaucoup, comme le remarque Daniel Marguerat « sur la condition actuelle de vivant et se pose (…) en antithèse de la mort. Mais il ne dit pas de quelle qualité, de quelle nouveauté est la vie de résurrection. Il occulte le fait que cette vie reçue de Dieu au travers du trépas est radicalement autre. (…) Pâques n’est pas une réanimation de cadavre (…) : c’est l’introduction dans une vie complètement différente. »[4] Remarquez que dans le Nouveau Testament ce langage de la vie n’est jamais utilisé seul. Il est toujours en complément d’un des autres.

Nous voyons bien avec ces trois langages combien les mots ont manqué et combien ils nous manquent pour dire cet indicible de la résurrection de Jésus. Tout simplement parce que les mots sont toujours inadéquats, nous le savons bien, pour dire ce que nous ressentons mais aussi parce que personne en fait ne peut dire non plus de quelle ordre elle a été, la résurrection de Jésus. Cela nous amène du coup et maintenant à nous poser la question de l’historicité et de la véracité de cet événement.

Que se passe-t-il au soir ou au matin de la résurrection ? Nous ne savons pas. Nous ne savons qu’une chose : le tombeau a été retrouvé ouvert et vide. Et encore, cela est déjà de l’ordre du récit évangélique, même si c’est reconnu par la plupart des historiens. Historiquement nous ne pouvons affirmer qu’une seule chose : un homme nommé Jésus est mort et ses disciples ont affirmé ensuite l’avoir vu ressuscité. C’est tout. Il n’y a pas de preuve historique de la résurrection de Jésus. Mais attention, ceci n’empêche pas qu’on puisse dire qu’il y a quand même un événement historique de la résurrection de Jésus : c’est le P. Varillon qui disait – et là je cite une retraite qu’il prêcha dans l’été 1972 – : « la résurrection du Christ est à la fois et indivisiblement, c’est-à-dire sans pouvoir séparer l’un de l’autre, un fait historique et un événement pour la foi. Je dirai plus exactement : elle est un événement pour la foi qui comporte un fait historique. Car s’il n’y avait pas de fait historique on ne pourrait pas parler d’événement. Mais qu’est-ce qui est historique ? Ce qui est historique c’est le témoignage des apôtres. Des hommes, qui avaient vécu avec Jésus, qui l’avaient tenu pour le Messie, ont proclamé l’avoir vu. »[5] Voilà ce qui est historique : ce sont les témoignages. La résurrection, elle, ne peut pas être historique en soi. Elle est un événement pour la foi. Un autre jésuite, le P. Bernard Sesboüé va un peu plus loin. Il dit dans son livre Croire que si la « résurrection de Jésus n’est pas historique, parce qu’elle n’est pas justiciable, dans sa réalité positive, de la preuve historique, critique et scientifique », on peut toutefois dire qu’elle « est ‘transhistorique’ (…) en tant qu’il s’agit d’un événement qui a une inscription dans l’histoire du côté de son avant » et parce qu’elle a ensuite laissé des « traces durables (…) dans l’histoire ». Et il ajoute : « L’ensemble des traces de la Résurrection, si elles ne sont pas des preuves, sont néanmoins des signes capables d’être rassemblés en un faisceau convainquant pour celui qui croit. »[6]

Il n’y a donc aucune preuve. Personne n’a assisté à la résurrection de Jésus ; il n’y a pas eu de témoins de l’acte ‘résurrection’. Comme dit le P. Varillon, « Jésus ne s’est pas montré ressuscitant, il a appris aux siens à le reconnaître ressuscité. C’est différent. »[7] D’ailleurs, s’il y avait une ou des preuves de la résurrection, serions-nous libres de croire ou de ne pas croire ? Dieu nous laisserait-il libre de guider notre vie comme nous le voulons, c’est-à-dire avec ou sans lui ? La non-preuve de la résurrection de Jésus est la garantie de notre liberté et donc de notre foi possible. Nous ne pouvons que croire, et nous pouvons croire parce que nous ne pourrons jamais savoir – entendez savoir avec exactitude, savoir de façon rationnelle, historiquement prouvée et vérifiable !

Ceci dit, fallait-il pour autant que Jésus ressuscite ? Etait-ce une nécessité ? C’est-à-dire, si le Christ n’était pas ressuscité, est-ce que cela changerait quelque chose ? Je crois personnellement que cela changerait tout ! Si Jésus n’est pas ressuscité alors la vie n’a pas eu le dernier mot, la vie n’est pas victorieuse du mal et de la mort. Alors tout n’est que non sens. A quoi bon vivre, quel est le sens, quelle est la signification de notre vie et quelle en est la direction ?

Fallait-il que Jésus ressuscite ? Je le crois même si j’ai envie de rajouter que je n’en sais rien. Ce que je sais c’est que depuis des siècles des croyants font l’expérience de la présence du Christ à leur côté et à ce qu’ils vivent, dans ce qu’ils vivent, et que cette expérience qui est une expérience de foi les met en route et même les relève, les réveille de l’endormissement de leur vie. La résurrection est à l’œuvre. Le premier témoin de cela, pour nous, a été l’apôtre Paul. Paul persécutait les chrétiens qui se réclamaient du Christ Ressuscité jusqu’au jour où lui-même, sur le chemin de Damas, a fait cette expérience forte et bouleversante de la présence du Christ Ressuscité. Sa vie en a été changée, retournée. Et il est devenu et s’est dit témoin du Ressuscité, lui qui pourtant ne l’a jamais vu de son vivant à lui le Christ. En ce sens nous sommes bien comme Paul ; nous n’avons jamais vu le Christ mais il nous est donné de pouvoir croire.

B. La résurrection des morts

C’est Paul, je vous le disais tout à l’heure, qui affirme que si Christ n’est pas ressuscité alors notre foi est vaine et que c’est parce que Christ est ressuscité que nous sommes appelés nous aussi à la vie éternelle. J’en viens donc à la résurrection pour nous. Et je commence par vous relire quelques versets de St Paul, c’est au chapitre 15 de sa Première lettre aux chrétiens de Corinthe :

[…] Nous proclamons que le Christ est ressuscité d'entre les morts ; alors, comment certains d'entre vous peuvent-ils affirmer qu'il n'y a pas de résurrection des morts ?

Mais, s'il n'y a pas de résurrection des morts, le Christ, lui non plus, n'est pas ressuscité. […]

Et si le Christ n'est pas ressuscité, votre foi ne mène à rien, vous n'êtes pas libérés de vos péchés ; et puis, ceux qui sont morts dans le Christ sont perdus.

Si nous avons mis notre espoir dans le Christ pour cette vie seulement, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes. […]

L'un de vous peut demander : « Comment les morts ressuscitent-ils ? avec quelle sorte de corps reviennent-ils ? » -

Réfléchis donc ! Quand tu sèmes une graine, elle ne peut pas donner vie sans mourir d'abord ;

et tu ne sèmes pas le corps de la plante qui va pousser, tu sèmes une graine toute nue : du blé ou autre chose.

Et Dieu lui donne un corps comme il le veut : à chaque semence un corps particulier. […]

Il en sera de même quand les morts ressusciteront. Ce qui est semé dans la terre est périssable, ce qui ressuscite est impérissable ;

ce qui est semé n'a plus de valeur, ce qui ressuscite est plein de gloire ;

ce qui est semé est faible, ce qui ressuscite est puissant ;

ce qui est semé est un corps humain, ce qui ressuscite est un corps spirituel ;

puisqu'il existe un corps humain, il existe aussi un corps spirituel.

Dans le Credo, la foi de l’Eglise, nous affirmons à la suite de St Paul que nous croyons à la résurrection des morts – dans le Symbole des Apôtres, nous parlons même de la ‘résurrection de la chair’ ; nous reprenons là le vocabulaire de l’évangile de Jean pour qui la ‘chair’ c’est ‘toute la personne’. Dans le sondage du journal Le Monde des religions, je vous rappelle que seulement 10% des catholiques français interrogés affirmaient croire en la résurrection des morts. Je vois au moins deux raisons à cela : il nous faut savoir ce que l’on met derrière le mot « résurrection » et puis ce que l’on met derrière le mot « croire ». Nous avons vu que la notion de ‘résurrection’ est dite dans le Nouveau Testament par plusieurs langages qui se complètent car elle est justement indicible en soi ; et nous venons de voir que croire ce n’est finalement pas de l’ordre de savoir – et je dis souvent que croire ce n’est pas comprendre, ce n’est pas tout comprendre ; c’est faire confiance, c’est essayer de faire confiance ; alors, petit à petit il nous sera donné de comprendre un peu.

Quand l’Eglise nous invite à croire en la résurrection des morts elle veut d’abord affirmer que la résurrection de Jésus ne le concerne pas que lui ; c’est aussi pour nous. Sinon ce n’est pas très intéressant. Cela concerne le sens de notre vie – la signification et la direction. En préparant cette intervention et en méditant pour Pâques sur ce mystère de la résurrection, je repensais à quelques mots de notre évêque, il y a un an, lors des funérailles des quatre jeunes lycéens d’Allevard. Ce jour là il a eu une toute petite phrase qui est passée un peu inaperçue mais que le journaliste du Dauphiné Libéré, lui, a noté : notre évêque a dit – je cite quasiment de mémoire : « Nous sommes tous appelés à la vie – là, nous sommes dans le registre du sens – eux qui nous ont quitté – c’est le sens de la résurrection que nous fêtons ces jours-ci – et nous qui restons et qui allons devoir continuer à vivre, malgré tout »… Cet appel à la vie et la vie plus forte que tout, c’est la Bonne Nouvelle de l’Evangile que Jésus ne cesse d’annoncer sur les routes de Judée et de Galilée. S’il est vraiment ressuscité et qu’il veut pour nous la vie, cette vie que même la mort ne peut pas arrêter, alors nous sommes appelés nous aussi à ressusciter comme lui, avec lui. Si de par notre baptême nous sommes fils et filles de Dieu, comme lui, alors comme lui le Père ne va pas nous laisser au pouvoir des ténèbres et de la mort. C’est la Bonne Nouvelle de l’Evangile, la Bonne Nouvelle que nous sommes appelés à répandre autour de nous. Le mal et la mort n’ont pas le dernier mot : ni pour Jésus ni pour nous. C’est pour demain, sans doute – pour l’au-delà –, mais aussi et déjà pour aujourd’hui, pour chaque jour !

Ceci dit, après notre mort, si nous sommes bien appelés, effectivement, à ressusciter, comment allons-nous ressusciter ? Allons-nous vraiment ressusciter avec nos corps comme nous l’affirmons dans le Credo ou bien est-ce seulement notre âme qui ne va pas disparaître comme nous avons plutôt tendance à le croire en fait et à le dire autour de nous ?

Depuis des siècles et même avant le christianisme les hommes croient en l’immortalité de l’âme. Ce n’est donc pas une spécificité des chrétiens. L’idée est bien que la mort n’a pas le dernier mot sur nous, sur qui nous sommes. C’est l’éternelle question de l’humanité : après la mort, « ne reste-t-il vraiment rien de l’homme ? La personne tout entière a-t-elle disparu ? Est-ce que l’amour et l’intelligence, le fruit de toute une vie, se trouvent effacés d’un seul coup quand l’homme meurt ? »[8] Cette idée de l’immortalité de l’âme part du constat qu’il y a dans l’homme une dimension vivante (l’âme) qui semble animer la matière (le corps), avec cette dimension aussi que l’on a eu tendance à oublier, cette dimension spécifique de l’homme comme être humain qu’est sa dimension spirituelle (l’esprit). Nous voyons que notre corps est soumis à la corruption, à la dégradation – je ne pense pas spontanément au péché mais bien à notre vieillissement, tout simplement… Aussi certains philosophes grecs ont très vite pensés que l’âme se détachait du corps au moment de la mort, le corps en tant qu’enveloppe charnelle, parce que l’âme était pour eux l’essence de la personne, ce qui justement ne peut pas mourir, disaient-ils, ce qui reste.

Quand le christianisme affirme la résurrection des corps il veut déjà dire que nous sommes appelés à ressusciter dans ce qui fait toute notre personne. Pas que notre âme. Et Justin, un penseur chrétien du IIème siècle affirmait vers l’an 150 : « Si le Sauveur n’annonçait la vie éternelle que pour l’âme, que nous apporterait-il de neuf par rapport à Pythagore, Platon et les autres ? En réalité, Il est venu apporter aux hommes une espérance nouvelle, extraordinaire. N’était-ce pas extraordinaire, nouveau, que Dieu promette non pas de conserver l’immortalité à l’immortalité, mais de rendre immortel ce qui était mortel ? » Justin pense au corps comme enveloppe charnelle. Et il l’affirme d’autant plus que si le Christ est vraiment Dieu qui vient nous rejoindre dans notre condition corporelle alors le corps est appelé à la vie, il n’est pas que l’enveloppe de l’âme, il n’est pas que désirs et pulsions. Affirmer la résurrection des corps c’est affirmer la valeur de notre corps, y compris dans sa dimension charnelle de désirs et de plaisir ; affirmer la résurrection des corps c’est affirmer que nous ne sommes rien sans notre corps. Et comme le dit le P. Varillon dans un de ses livres célèbres, Joie de croire, joie de vivre : « Le corps, c’est quelqu’un : mon corps, c’est moi. »[9] Notre corps n’est pas une chose dont notre âme devrait se libérer, notre corps c’est ce qui nous permet d’être au monde, c’est ce qui nous permet d’être en relation, c’est donc ce qui nous permet de vivre et d’être nous-même. Affirmer la résurrection des corps, c’est affirmer que nous ressusciterons, comme le Christ, dans ce qui fait toute notre personne. Parce que nous avons de la valeur aux yeux de Dieu, parce que nous ne sommes pas rien, parce que notre vie dans tout ce que nous avons été n’est pas rien.

Se pose alors la question du comment ? Quelle forme aura notre corps ressuscité ? Nous n’en savons évidemment rien du tout. Nous savons juste que les disciples de Jésus qui témoignent l’avoir vu après sa mort nous disent l’avoir vu avec un corps, avec son corps – il apparaît par exemple à Thomas avec ses plaies qu’il lui montre – mais qu’en même temps ils ne l’ont jamais reconnu tout de suite. C’est comme si c’était son corps sans être son corps ; c’est comme si c’était lui sans être lui. C’est pour cela que St Paul parle de « corps spirituel ». Mais on ne peut pas tellement en dire plus…

Parmi toutes les questions que nous nous posons, il y en a encore une qui revient très souvent : comment va se passer la résurrection ? Où allons-nous aller ? Comment cela va-t-il se faire ? Là aussi, il n’y a guère de réponses… Seulement des images dont il nous faut faire attention de ne pas nous y enfermer. Ces images que l’Eglise a utilisées voulaient nous aider à nous représenter un peu les choses. Et elles voulaient essayer de concilier les différents témoignages des évangélistes, les différentes mises en mots de ce que nous appelons les récits d’apparitions… Mais le risque c’est que nous en fassions des certitudes ou des articles de foi. Le risque aussi c’est que ces images nous bloquent dans notre désir de représentations des choses et qu’elles nous éloignent finalement du sens de la résurrection.

J’en dis qu’en même mais brièvement quelques mots. Ces images ce sont celles du paradis, de l’enfer et du purgatoire – on pourrait rajouter les limbes. Le paradis, nous voyons assez bien, je ne développe pas. L’enfer, c’est déjà plus compliqué parce que nous imaginons un lieu de perdition avec du feu, des diables, et tout ce que vous voulez. Je ne sais pas ce qu’est l’enfer, mais intellectuellement je le défends. Pour moi, l’enfer c’est la condition de ma liberté totale. Je m’explique : jusqu’au bout je suis libre d’aimer ou de ne pas aimer Dieu ; je suis libre de l’accepter ou de le refuser, le rejeter ; pour moi l’enfer c’est le « lieu » pour ceux qui dans le face à face avec Dieu décideraient de ne pas vouloir vivre éternellement avec lui. Intellectuellement je crois donc qu’il y a quelque chose qui doit s’appeler l’enfer ; je ne sais pas comment c’est ni ce qui s’y passe – peut-être que c’est tout simplement la mort comme fin de toute vie – ; et dans ma foi je crois, j’espère que c’est un « lieu » vide, que l’amour de Dieu nous fera vouloir le reconnaître et vivre de cette vie qui nous est promise… J’en viens au purgatoire… Je ne sais pas quelles représentations vous en avez mais moi j’ai beaucoup de mal. L’idée c’est qu’au moment de notre mort doit se jouer quelque chose d’une « purification » de ce que nous aurons été si nous voulons vivre avec le Seigneur. Est-ce un lieu ou un temps, je ne sais pas trop… Le Cardinal Lehmann – qui est président de la conférence des évêques d’Allemagne et qui est aussi un grand théologien – a écrit en 1980 un article dans la revue Communio où il explique que « Le purgatoire n’est pas, comme on l’imagine souvent, un lieu, mais un état, un processus de purification de l’âme face à face avec Dieu. »[10] Notre problème c’est que nous voulons tout comprendre et que nous voulons nous représenter les choses ; du coup nous avons fait du purgatoire un lieu – ou un temps – et notre imagination y a mis du feu – ce n’est pas complètement par hasard ; c’est parce que l’image du feu est présente dans les évangiles. Mais Karl Lehmann note que c’est « le regard de Dieu » qui doit être « un feu purificateur »[11]. Derrière cette image du purgatoire c’est bien cette idée qui est présente, cette idée que notre vie est loin d’être parfaite et que nous sommes sans doute appelés à être purifiés, à être « ajustés » à qui est Dieu. Je ne vous en dis pas plus… Encore un mot quand même sur les limbes : ce lieu a été « inventé » – je fais exprès d’utiliser ce verbe – pour répondre à une question qui à l’époque était existentielle – je crois que c’était au Moyen-Âge – à savoir : si le baptême donne le salut – c’était la théologie de l’époque – que se passe-t-il pour les enfants qui sont morts sans être baptisés ? Sont-ils privés de salut ? L’Eglise a répondu par cette image des limbes pour dire une justice de Dieu qui sans doute ne doit pas exclure de son Royaume ceux qui n’ont pas pu être baptisés mais qui n’y sont pour rien. C’était finalement une question de justice. Mais avec des images et des mots tâtonnants parce que nous ne pouvons ni dire ni savoir avec exactitude ce qui se passera après notre mort. Pour en finir avec les limbes, Benoît XVI a récemment demandé à la Commission Théologique Internationale d’y réfléchir et celle-ci a décidé qu’il n’était pas opportun théologiquement d’en parler encore. Les limbes n’existent donc plus ! Le concept n’existe plus ! L’Eglise reconnaît que cette image n’était pas des plus appropriées.

Nous voyons bien avec tout cela combien il nous est difficile de mettre des mots, et combien nous pouvons être piégés par les images.

3. Résurrection et réincarnation[12]

J’en viens maintenant à une autre réponse d’une autre religion, avec la réincarnation. Cette notion de réincarnation connaît aujourd’hui une sorte d’engouement assez étonnant dans notre monde occidental. Sans doute à cause d’un certain attrait de la culture asiatique mais aussi du fait qu’il nous est difficile de mettre des mots sur la résurrection ou de nous la représenter. Même si je trouve personnellement que la croyance en la réincarnation n’est guère plus exprimable concrètement.

Pour comprendre, il nous faut déjà savoir que la conception occidentale de la réincarnation n’est pas tout à fait la même qu’en Orient. Le modèle oriental est un modèle pessimiste : pour l’hindouisme la réincarnation est un malheur : elle n’est pas une libération mais une nécessité de purification. Et bien loin d’être une chance elle est le signe d’un emprisonnement dans un processus indéfini. Pour l’hindouisme, l’être humain obéit à la loi universelle du karma qui est l’ensemble de ses désirs, ses ambitions et ses actes. S’il a mal vécu, l’homme est enfermé dans un cycle répétitif d’existences, le samsâra. Il ne pourra y échapper qu’au prix d’une ascèse spirituelle très grande ou d’une vie de désintéressement absolu, de compassion et de charité. Et le P. Seboüé nous dit non sans humour que « S’il fallait comparer la réincarnation à un aspect du christianisme, ce n’est pas à la résurrection, mais plutôt à un purgatoire qui risque de se changer en enfer. Le correspondant de la résurrection serait plutôt le nirvana », le bonheur éternel.

Le modèle occidental de la réincarnation est plus positif. Mais il est beaucoup plus tardif et il s’est répandu à partir du XIXème siècle. La réincarnation y est comprise ou présentée comme une voie de salut et de libération. L’idée qui et derrière c’est que l’échec d’une première vie n’est pas définitif. L’âme qui a mal vécu pourra s’unir à un nouveau corps et retrouver une chance. Par contre, la mort du coup est relativement niée ; loin d’être un passage à l’éternel elle n’est qu’un relais. Et dans une existence nouvelle, chacun pourra repérer ses méfaits et réussir sa vie. De plus, la réincarnation apporte une réponse au mal que nous subissons : celui qui souffre paie une dette antérieure. Le P. Sesboüé note que ce modèle occidental « est caractéristique d’une époque où l’on a de plus en plus de mal à s’engager de façon stable » et – là c’est moi qui ajoute – à se reconnaître responsable de nos actes. Il note également que dans ce modèle, on comprend la réincarnation comme s’inscrivant dans une évolution progressive qui, pourquoi pas, pourrait déboucher un jour sur la résurrection. C’est pour lui de l’ordre d’un « syncrétisme, une croyance typiquement postchrétienne qui donne lieu à une doctrine souple et variable. » Tout simplement parce que ce modèle occidental reprend « un schéma oriental et antique, mais en y intégrant des éléments venus de la tradition chrétienne ».

« Selon la logique de la réincarnation, nous dit il, la personne humaine n’est pas une réalité définitive, irréductible. Elle n’est qu’une figure transitoire, la manifestation temporelle d’un grand Tout, l’énergie du monde, dont elle est issue et avec lequel elle doit fusionner à nouveau. (…) Cette conception de l’homme est solidaire d’une conception de Dieu » qui dans le bouddhisme n’est finalement pas non plus reconnu comme une personne, quelqu’un à qui l’on peut s’adresser. Il n’y a pas de relation personnelle de l’homme avec son Dieu et l’issue de l’existence est la perte de soi dans le grand Tout.

Une fois que je vous ai dit tout cela à très grand traits, on voit que la résurrection et la réincarnation ne sont pas conciliables… Ce sont deux conceptions du monde qui divergent. La conception de l’histoire n’y est pas du tout la même : l’une est cyclique et indéfinie avec l’idée d’un retour éternel. Elle inscrit l’histoire dans une loi cosmique de rétablissement de l’équilibre, de compensation et d’harmonie. L’autre est linéaire et s’avance vers un accomplissement dans le Royaume de Dieu. Elle propose un terme, un achèvement.

De plus, la réincarnation n’offre pas de salut au corps qui est vu comme une enveloppe interchangeable. Nous sommes là en plein dans la dualité corps-âme dont le christianisme veut justement nous faire sortir – au nom d’une idée hautement positive du corps. Par ailleurs, la réincarnation remet en cause l’identité et l’unicité de la personne en tant qu’elle est un sujet irremplaçable devant Dieu capable d’engager son destin par un acte de liberté absolue.

Conclusion

La vie… la mort… et après… ?

Que dire pour conclure ? Sans doute pas grand chose. Que l’après, comme la vie et comme la mort, est aussi un mystère. Un mystère qui appelle une confiance. Un mystère qui est vrai – je le dis comme cela – parce qu’il fait sens et qu’il donne sens non seulement à la vie mais aussi à la mort Il leur donne une signification mais aussi une direction. Nous sommes tendus vers un but. C’est un mystère qui nous permet de sortir une fois de plus de notre désir de toute puissance sur nous-même et sur le monde. Nous ne pouvons pas savoir ce qu’il y aura, ce qui se passera. Nous ne pouvons que croire, nous ne pouvons que faire confiance en ceux qui nous ont précédés et qui eux aussi ont pressenti qu’il y aurait peut-être un après.

C’est un mystère mais qui dans la confiance du cœur peut être appréhendé un peu. Si Christ est ressuscité alors Christ est présent à ce que nous vivons. Par son Esprit. Alors il chemine bien à nos côtés – c’est l’expérience qu’il nous arrive de faire. Et si Christ est Ressuscité, alors oui nous pouvons le prier.

Si nous acceptons de vivre cette confiance là, si nous voulons bien croire en la résurrection, alors nous sommes invités chaque jour à discerner dans notre vie la résurrection qui est déjà à l’œuvre, imperceptiblement peut-être mais déjà là…

Par contre, c’est vrai, nous ne pourrons jamais convaincre quiconque par des preuves ou des certitudes. Nous ne pourrons jamais que témoigner humblement de ce qui nous habite. Et c’est déjà énorme, c’est déjà une grande mission…

Je termine en laissant à nouveau la parole à Christiane Singer que j’ai cité au tout début de cette intervention. Christiane Singer s’est éteinte il y a quelques jours [le 4 avril dernier] suite à quelques mois terribles de traversée de la maladie – elle avait un cancer. Au fur et à mesure de ses dernières semaines de vie elle a tenu un journal qui va justement être publié demain. Le journal La Vie en a partagé quelques extraits dans son dernier numéro de jeudi dernier. J’y ai appris sur elle qu’elle était chrétienne, comme je l’avais deviné dans ses écrits, mais empreinte en même temps du judaïsme de son père mais aussi de la culture zen qu’elle a pratiqué et qui l’a ouverte à l’intériorité, lui permettant du coup de retrouver sa foi catholique qu’elle tenait de sa mère.

En guise d’ouverture sur ce mystère qu’est la vie – entendez de façon indissociable : le mystère de la vie, de la mort et de l’après – en guise d’ouverture, donc, je vous lis quatre petits extraits des derniers jours de son journal :

Vendredi 15-Samedi 16 [novembre]

Depuis hier me revoilà à l’hôpital à cause de violents saignements de la vessie : expérience pénible de martyre et d’abandon cette nuit ; cette sonde épaisse qui m’empalait vivante. Il y avait quelque chose de terrifiant dans ma corporalité, de destructeur, d’horrifiant ; j’ai hurlé dans mon cœur pour appeler à l’aide le Christ : Sauve-moi ! Fais un miracle ! (…) ; j’ai mendié comme une malheureuse. Oui, pour la première fois, j’ai supplié qu’un miracle se produise ; la nuit a été lente et difficile. Me voilà au matin. J’ai senti sur la langue le miel du petit déjeuner : surprise inattendue, c’était bon.

Mercredi 20 décembre

Ma dernière prière : ne soyez pas déçus que la mort ait en apparence vaincu ; ce n’est que l’apparence, la vérité est que tout est VIE, je sors de la vie et j’entre en vie. Ah comme je sers dans mes bras tous ceux que j’ai eu le bonheur de rencontrer sur cette Terre ! (…) Je ne suis qu’une VIVANTE qui voyage entre les mondes.

Lundi 22 janvier

A l’instant où montent ces paroles, « Le corps du Christ », fortement articulées, mes yeux s’ouvrent : entre le prêtre et moi se tient le Christ. Mon assentiment est total. Aucune représentation ne m’eut jamais donné ce que je suis en train de vivre. (…) Depuis, ce Christ m’habite de sa haute vibration comme du ruissellement d’une fontaine.

(derniers mots)

Jeudi 1er mars 2007. Du fond du cœur, merci.[13]

[1] Christiane Singer, Où cours-tu ? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi ?, Albin Michel, 2001, « Les deux sœurs », pp.141-149.

[2] Daniel Marguerat, Résurrection, une histoire de vie, Ed. du Moulin, 2001, pp.7-8.

[3] Daniel Marguerat, Résurrection, une histoire de vie, Ed. du Moulin, 2001, p.9.

[4] Daniel Marguerat, Résurrection, une histoire de vie, Ed. du Moulin, 2001, pp.20-21.

[5] François Varillon, La Pâque de Jésus, Bayard éditions – Le Centurion, 1999, p.145.

[6] Bernard Sesboüé, Croire, Droguet et Ardent, 1999, pp.306-307.

[7] François Varillon, La Pâque de Jésus, Bayard éditions – Le Centurion, 1999, p.145.

[8] Le catéchisme hollandais – une introduction à la foi catholique, Privat, 1968, p.594.

[9] François Varillon, Joie de croire, joie de vivre, Le Centurion, 1981, p.177.

[10] Karl Lehmann, « Le Purgatoire », Communio, n°V, 3, mai-juin 1980, p.30.

[11] Karl Lehmann, « Le Purgatoire », Communio, n°V, 3, mai-juin 1980, p.34.

[12] Cette partie est très largement inspirée de Bernard Sesboüé, Croire, Droguet et Ardent, 1999, pp.326-329.

[13] Christiane Singer, Derniers fragments d’un long voyage, Albin Michel, 19 avril 2007. Extraits cités dans le supplément « Les Essentiels » de La Vie, n°3215, 12 avril 2007.

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