Homélie dimanche 15 septembre 2019

24ème dimanche du Temps Ordinaire / Année C

Ex 32,7-11.13-14 / Ps 50 (51) / 1Tm 1,12-17 / Lc 15,1-32

 

Les trois textes, ce soir, nous parlent tous de la miséricorde de Dieu. Et dans l’évangile qu’on vient d’entendre, Jésus veut attirer notre attention sur le fait que cette miséricorde elle s’accompagne d’une joie à laquelle Dieu voudrait nous associer.

Il me semble qu’on le connaît bien ce récit qu’on appelle « du fils prodigue », et en le méditant avec les deux autres petites paraboles qui vont avec je me disais : en fait ça nous parle du désir de Dieu pour nous. Pour nous qui sommes là et pour celles et ceux qui sont ailleurs.

Le constat de départ c’est que nous sommes tous les fils et les filles bien aimés du Père. Même si tous ne le reconnaissent pas. C’est ce que Jésus est venu révéler. Il y a un Dieu qui est là, qui existe, qui est présent, un Dieu qui veut sauver tous les hommes et n’en perdre aucun, un Dieu qui nous aime comme un Père, un Dieu qui nous aime comme le Père de cette parabole.

Certains de ses enfants ont décidé de vivre sans lui. Et le Père les laisse libres. Car aimer, aimer pour de vrai, ça va jusque-là, jusqu’à laisser l’autre décider de ce qu’il veut vivre et le laisser faire ses expériences de vie. Et certains – peut-être est-ce le cas dans notre histoire – certains ont pu faire retour vers Dieu dans une situation difficile qui semblait sans issue, un peu comme un ultime recours, et là nous avons peut-être découvert Dieu qui nous attendait, là nous avons peut-être fait l’expérience d’une Présence aimante, quoi que nous ayons vécu avant, une Présence aimante qui était là.

Peut-être que pour d’autres nous nous étions juste éloignés un peu, parce que la vie nous emmenait ailleurs ou parce que nous nous étions laissé séduire par je ne sais quelle frénésie du moment, et tout à coup nous avons pris conscience qu’il nous manquait quelque chose. Et ce fut comme un retour…

Ce que Jésus nous dit c’est que quoi qu’il arrive de nos éloignements et de nos retours, et que quoi qu’il arrive du rejet apparent de Dieu de celles et ceux qui nous entourent, eh bien Dieu les attend, Dieu nous attend, Dieu guette leur retour, leur conversion, Dieu les aime, et Dieu sera en joie de les savoir en désir de lui, en marche vers lui. Et si de fait ils découvrent que Dieu existe ou que Dieu est là et qu’il les attend, qu’il les aime, alors il y aura de la joie, vraiment. Et plus que cela : Dieu veut que nous, nous qui sommes ici, avec lui nous entrions nous aussi dans cette joie qui est de l’ordre du salut, cette joie qui est de l’ordre de la vie plus forte que tout et plus forte que les chemins de mort que nous empruntons parfois…

Dans cette parabole du père et des deux fils, on s’arrête souvent sur le fils qui est parti, et on aime moins regarder la figure du fils aîné. Et l’air de rien, avec ce que je viens de vous dire, je suis en train de pointer du doigt que nous qui sommes ici, nous qui sommes plutôt du côté des pratiquants et donc des présents dans la maison du Père, peut-être que nous sommes ce fils aîné qui a du mal à entrer dans la joie de son Père…

Pourquoi je dis cela ? Il me semble qu’on a vite fait de juger celles et ceux qui nous entourent. Y compris de façon inconsciente, sans vouloir juger en tant que tel. Mais nous mettons les gens dans des cases, nous trouvons que nous avons beaucoup de chance de connaître Dieu et d’avoir une super paroisse ici à St Jo – ce qui est vrai ! – et nous pouvons nous désoler que nos amis ou d’autres ne veulent pas en être parce qu’ils se disent non croyants ou parce qu’ils se sont éloignés de tout ça. Nous ne savons peut-être pas grand-chose des causes de leur éloignement, ni même de ce qui habite leur cœur et du retour qu’ils sont peut-être en train de vivre…

Je pensais aussi à la plupart de nos paroisses, les paroisses « normales » de nos diocèses, un peu vieillissantes et vivant sur leurs habitudes, avec plein de bonnes volontés mais où parfois on se sent dérangé par des nouveaux qui arrivent ou par des jeunes qui ont envie de faire plein de choses mais autrement et à qui on a peur de laisser de la place, parce qu’on est là depuis longtemps, on est chez nous, même si on se fatigue à faire tourner la « boutique ». On a du mal alors à se réjouir, à entrer dans cette joie du Père, on réagit comme le fils aîné, celui qui a oublié qu’il était lui aussi un fils bien aimé et pas juste un ouvrier qui fait bien son boulot parce qu’il faut le faire.

Je crois que ça vient interroger notre rapport au Père, notre rapport à Dieu, et ça vient aussi interroger notre rapport à notre pratique et à nos engagements… Pourquoi est-ce que nous sommes là ? Le plus important dans tout ce que nous vivons ensemble, c’est quoi ? Est-ce que c’est d’être bien entre nous, ce qui serait déjà pas mal mais qui peut nous enfermer sur nous-mêmes, ou est-ce que c’est de découvrir qui est Dieu et comment il nous accompagne, comment il vit avec nous et comment il nous appelle à vivre à sa suite ?

Je crois que nos paroisses – et donc notre paroisse – doivent être des lieux d’amitié et de réelle fraternité, dans nos différences, des lieux où on apprenne à se réjouir de l’autre qui vient ou qui revient, quelle que soit son histoire, et donc des lieux où on s’aide à vivre dans l’amour de Dieu qui pardonne et qui veut relever, quelles qu’aient pu être les conneries de notre vie. Vivre une amitié qui relève et qui fasse entrer dans l’amitié que Jésus veut vivre avec chacun de nous, une amitié qui nous rende plus forts aussi pour élargir notre regard et notre accueil à celles et ceux qui en ont besoin. Et quel que soit leur besoin. Ce que le pape François appelle l’« amitié sociale » (cf. Christus vivit).

Car le fils qui revient, celui qui n’était plus là, c’est peut-être aussi celui que je croise et qui fait un chemin en apparence différent du mien, c’est peut-être telle ou telle personne marginalisée qui me dérange dans mon petit côté bourgeois, c’est peut-être telle ou telle personne en situation de migration qui vient bousculer notre société et notre capacité à accueillir l’autre au nom de la fraternité humaine, c’est peut-être également telle ou telle personne qui vit d’une autre religion et qui cherche pourtant de façon sincère à suivre et à connaître Dieu, et c’est peut-être encore telle personne qui a fait des choses terribles dans sa vie et qui veut juste qu’on ne la réduise pas qu’à cela, qui veut avoir le droit de vivre et d’avancer, et pour cela d’être aidée et tout simplement aimée…

Et je suis frappé dans cette parabole que ce fils aîné ne parle pas de son frère en disant « mon frère » mais en l’appelant « ton fils ». Il ne le voit plus comme son propre frère. Et ça nous guette tous de voir l’autre autrement que comme un frère, déjà en humanité. On voit souvent et spontanément l’autre qui débarque comme quelqu’un qui est différent et donc qui nous dérange. Or Dieu l’aime. Comme Dieu m’aime et Dieu veut que j’en vive, que je sois le fils bien sage qui est là poliment tous les dimanches et qui fait tout ce qu’il faut pour bien faire ou que je sois ce fils qui vit parfois des choses un peu chaotiques mais qui veut pourtant compter sur la force de l’amour de Dieu pour m’en sortir petit à petit.

Je me disais d’ailleurs, à ce propos, que nous sommes parfois les deux fils en même temps, et que le fils aîné en nous doit apprendre à aimer le « fils prodigue » que nous sommes aussi. Et que ça vaut pour tous…

Alors qu’est-ce qu’on va retenir de tout cela ? …

Que Dieu nous aime. D’abord. Mais vous allez me dire qu’on le sait. Que Dieu aime sans conditions, qu’il accueille et veut accueillir chacun. Et que ce qui compte d’abord ça n’est pas ce qui a fait notre vie, si elle est belle ou bien en règle, non, mais c’est le désir de vivre et d’avancer… Dieu aime sans conditions. Et c’est parce que nous nous sentirons accueillis avant d’être jugés, que nous pourrons avancer et reprendre vie, et que nous pourrons en être témoins pour d’autres…

On va retenir encore que Dieu nous aime tellement qu’il guette notre retour. A tous, en fait. Car nous sommes tout autant le fils cadet que le fils aîné. Et que quoi que nous vivions, y compris nos difficultés à accueillir l’autre comme un frère, le Père veut que nous entrions dans sa joie, sa joie de Père. 

Il veut tellement que nous entrions dans cette joie qu’il ne se contente d’ailleurs pas d’attendre que nous revenions, il sort à notre rencontre, il part à la recherche de la brebis qui s’égare. Et là il a besoin de nous, nous qui sommes là, il a besoin de nous pour cela. Que nous soyons sa présence qui part chercher l’autre, quel qu’il soit et quoi qu’il vive…

Alors dans cette eucharistie demandons-lui sa force pour cela et de voir comment rejoindre celles et ceux qui s’éloignent ou qui partent mais aussi celles et ceux que la vie va mettre sur notre route. Et puis confions-lui nos propres éloignements, parfois, demandons-lui qu’il nous renouvelle de son amour qui sauve, qu’il dépose en nous cette joie qui est la sienne et dans laquelle il veut que nous entrions.

Et je prie ce soir pour que, dans cette eucharistie, nous fassions ou refassions cette expérience de nous sentir aimés et de nous savoir aimés du Père, que nous soyons assurés que Jésus est là avec nous, comme il l’a promis, et que ça nous donne une joie profonde… Amen.

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