L'Eglise et sa mission

Formation des futurs diacres permanents des diocèses de Grenoble-Vienne, Valence et Viviers.

9 février 2014, chez les Clarisses de Voreppe.

On m’invite ce matin à vous parler de l’Eglise et de la mission. Vaste sujet, surtout pour le peu de temps qu'on nous donne ! Je vais essayer de répondre à la commande en m’appuyant en partie sur ce que le concile Vatican II en dit, même si le concile a beaucoup écrit là dessus, et les derniers papes aussi !

Juste un rappel : sur les 4 grands textes conciliaires qu’on appelle des Constitutions, les 4 textes majeurs du concile, deux sont consacrés à l’Eglise :

  • Lumen Gentium (un texte théologique sur l’Eglise)
  • Gaudiem et Spes, « l’Eglise dans le monde de ce temps » : une sorte d’actualisation du 1er texte sur les rapports de l’Eglise avec le monde et les questions qui le traversent (en tout cas celles de l’époque) ; un texte important qui définit ce que l’Eglise peut apporter au monde mais pourquoi aussi elle doit être à l’écoute de ce monde, dans ce qu’il vit – ses attentes et ses aspirations comme ses cris et ses joies – et dans ce qu’il porte de bon et de beau qui peut aider l’Eglise à vivre pleinement sa mission. Pour vous donner le ton, je vous lis juste les premières lignes de ce texte qui nous disent déjà quelque chose de la mission : « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. Leur communauté, en effet, s’édifie avec des hommes, rassemblés dans le Christ, conduits par l’Esprit Saint dans leur marche vers le Royaume du Père, et porteurs d’un message de salut qu’il faut proposer à tous. La communauté des chrétiens se reconnaît donc réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire. »

Ces deux textes conciliaires, ces deux Constitutions, sont vraiment complémentaires et ils se déclinent ensuite dans plein d’autres textes du concile Vatican II qu’on appelle des décrets ou des déclarations. Je pense par exemple au texte sur l’œcuménisme, ou celui sur les différentes religions, je pense aussi, évidemment, à celui sur l’activité missionnaire de l’Eglise, je pense également à ceux sur les évêques et les prêtres mais aussi celui sur les laïcs, et je pense enfin à celui sur la liberté religieuse.

Le concile Vatican II c’est un concile ecclésiologique. L’Eglise prend le temps de s’arrêter et de se redire qui elle est, comment elle vit, à quoi elle sert, quelle est sa mission et donc comment être présente au monde de façon ajustée à ce XXème siècle dans lequel elle se trouve.

L’enjeu de ce concile c’était vraiment de refonder ce qu’est l’Eglise au regard des appels de Jésus dans l’évangile, au regard des développements historiques au cours des siècles, au regard aussi de ce que le monde renvoie à l’Eglise de ce qu’elle donne à voir d’elle-même et de ce qu’elle a à dire à ce monde dans les questions qui le traversent et qui sont les siennes.

Le concile Vatican II n’a que 50 ans à peine, et comme l’a dit Jean-Paul II au début du nouveau millénaire, ce concile est comme une boussole pour nous, dans ce qu’il a mis en mot et dans les appels qu’il adresse à l’Eglise et au monde, des appels qu’on a encore à entendre et à incarner concrètement dans notre vie de chaque jour, aujourd’hui encore, 50 ans après. Benoît XVI a beaucoup insisté lui aussi sur l’importance de ce concile pour nous aujourd’hui.

Je vous ai dit que c’est un concile ecclésiologique – c’est-à-dire qui parle de l’Eglise – mais c’est un concile ecclésiologique parce qu’il est d’abord christologique – le fond de tout ce qui est dit dans ces textes c’est la question de savoir qui est Jésus et à quoi il nous appelle – et c’est un concile missionnaire : il nous parle de l’Eglise dans ce qu’elle a à vivre et à apporter aux hommes et aux femmes de notre temps.

Alors la question pour nous ce matin, au regard de ce qu’on vous a déjà dit de l’Eglise, ce sera de se demander : qu’est-ce que le Christ en attend ? Et, du coup, la question qui est liée ça va être celle de savoir comment l’Eglise doit être en rapport avec le monde, qu’est-ce qu’elle a à lui apporter et qu’est-ce qu’elle a aussi à entendre et à apprendre de lui ?

Qu’est-ce que l’Eglise ? L’Eglise, étymologiquement, c’est le rassemblement de ceux qui sont appelés. Appelés par qui ? Appelés par Jésus Christ. Et appelés à quoi ? Appelés à être ses disciples et ses témoins dans le monde.

A la messe de l’Ascension, nous entendons chaque année dans la 1ère lecture ce bout de texte qui nous dit bien cela. Jésus qui dit à ses apôtres : « Vous allez recevoir une force, celle de l’Esprit Saint. Alors vous serez mes témoins jusqu’aux extrémités de la terre ». L’Esprit Saint promis par Jésus et donné à qui le demande et s’y ouvre, l’Esprit Saint nous permet de passer du statut de disciples à celui de témoins.

Le disciple c’est quoi, c’est qui ? Le disciple c’est quelqu’un qui suit un maître. L’Eglise c’est donc le rassemblement de ceux qui veulent suivre Jésus comme le maître de leur vie. Mais ça n’est pas un en soi. Nous ne sommes pas chrétiens pour nous-mêmes, parce que ça nous aide à vivre et que ça donne du sens à notre vie et à notre recherche de bonheur. C’est important mais ça ne suffit pas. Nous sommes chrétiens pour vivre de Jésus Christ et pour le vivre concrètement dans le monde. Nous sommes appelés à devenir ses témoins, ses témoins en actes. Preuve en est, ce que Jésus dit à ses disciples et à ses apôtres après sa résurrection :

  • Mt 28, 19-20 : « Allez, de toutes les nations faites des disciples en les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit et en leur apprenant à garder mes commandements. Et moi je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des temps ».
  • Mc 16, 14-20.

L’Eglise est forcément missionnaire. Sinon ce n’est pas l’Eglise de Jésus Christ. Si elle n’est pas missionnaire c’est l’association ou l’amicale des amis de Jésus, ça n’est plus l’Eglise. C’est déjà pas mal, peut-être, mais ça ne suffit pas. Et en même temps, c’est inséparable, l’Eglise si elle veut être missionnaire elle doit être vraiment l’Eglise de Jésus Christ, c’est lui qui doit être le centre ou le cœur de notre vie, notre vie personnelle et en Eglise. L’Eglise est forcément, du coup, une Eglise qui prie et qui célèbre, et une Eglise qui se met à l’écoute de la Parole de Dieu parce que la Parole de Dieu ce sont ces textes où j’apprends à découvrir qui est Dieu et comment il est présent à ce monde, ce sont ces textes où je découvre que Dieu est venu nous rejoindre et que sa Parole c’est en fait quelqu’un, Jésus, qui a quelque chose à nous dire à nous aussi aujourd’hui de Dieu mais aussi de ce qu’il attend de nous dans ce monde dans lequel nous vivons.

Je fais une pause pour qu’on soit bien d’accord… Quand je parle de l’Eglise, de qui est-ce que je parle ? Je l’ai déjà dit, mais je préfère insister. L’Eglise c’est le rassemblement de ceux qui sont appelés, l’Eglise c’est la communauté des disciples de Jésus Christ, ceux qui le suivent, l’Eglise c’est donc chacun de nous, du fait de notre baptême et de notre confirmation, l’Eglise c’est chacun de nous du fait de notre désir de vivre à sa suite, du fait de notre désir de faire du Christ et de son message une boussole pour notre vie, un guide.

Tout ce que je vais dire sur l’Eglise et tout ce que le concile dit de l’Eglise c’est donc de nous que ça parle. Le pape François insiste beaucoup là dessus dans son Exhortation apostolique sur l’évangélisation… L’Eglise, vous le savez, ce n’est pas que les prêtres, les diacres, les évêques, les cardinaux et le pape. C’est bien chacun de nous, au titre de notre baptême.

Alors qu’est-ce que nous en dit le concile…

L’Eglise, dit-il, c’est d’abord un mystère. On vous en a déjà parlé je suppose. Qu’est-ce que ça veut dire ? L’Eglise est et est appelée à être le reflet en ce monde de Dieu et donc de ce mystère qu’est la Trinité (relations et communion de personnes). Ça veut dire aussi que l’Eglise ça nous dépasse. Nous ne sommes pas l’Eglise du seul fait de notre volonté. L’Eglise est d’abord le fruit d’un désir de Dieu pour notre monde. Et ça remonte très loin dans l’histoire, bien avant Jésus. Dès Abraham et Moïse, Dieu s’est constitué un peuple, un peuple en marche, un peuple qui apprend à se découvrir voulu par Dieu et accompagné par lui, un peuple qui va apprendre à faire route avec ce Dieu qui lui confie une mission : être le témoin de l’existence et de la présence de Dieu, du Dieu unique. Ce peuple il va avoir du mal parfois à être ce témoin que Dieu attend de lui, c’est un peuple à la nuque raide, qui doute et qui récrimine contre Dieu, un peuple aussi qui oublie Dieu ou qui se détourne de lui au profit d’idoles diverses et variées ; c’est un peuple qui apprend à vivre ce que Dieu lui propose, laborieusement et lentement. Et dans ce peuple vont se lever des prophètes qui vont parler au nom de Dieu pour réveiller le peuple de se endormissements et lui rappeler qui il est et ce que Dieu attend de lui.

De ce peuple Dieu fait surgir celui que les prophètes ont annoncé et qui vient pour ouvrir des chemins de salut et de libération. C’est Jésus que ses disciples vont reconnaître comme le Fils de Dieu, son envoyé, celui qu’il a promis. Jésus vient ouvrir les frontières et supprimer les murs de séparation entre les hommes, il vient comme élargir le peuple à l’ensemble des nations et annoncer que Dieu non seulement aime son peuple et compte sur lui mais plus encore veut offrir son salut à tous les hommes. Et que désormais ce n’est plus seulement Israël qui sera témoin de cela mais l’ensemble de ceux qui voudront le suivre et que St Paul dans ses lettres va appeler le Nouvel Israël. C’est ainsi que Paul parle de l’Eglise, les communautés chrétiennes, celles et ceux qui se reconnaissent du Christ et qui décident de vivre à sa suite.

Le concile Vatican II redit tout cela, avec de très belles images. Il dit de l’Eglise qu’elle est un peuple en marche, en pèlerinage. Et reprenant des images de Paul, le concile ajoute que l’Eglise est le Corps du Christ, et le Temple de l’Esprit. Ces deux affirmations sont très intéressantes. Elles disent ce que nous avons à vivre. Le Corps du Christ, ça veut dire sa présence, sa présence concrète. Nous sommes les uns et les autres la voix, les mains et les pieds du Christ en ce monde. C’est notre mission ! Pour le dire autrement, Dieu n’a pas d’autre solution pour être présent et agissant dans le monde que de l’être par nous. C’est pour cela que nous sommes invités et appelés à nous nourrir de la présence du Christ ressuscité, par exemple dans l’eucharistie, mais aussi par la prière et le partage de la Parole. Parce que nous ne sommes pas en soi ou de nous-mêmes cette présence agissante du Christ. C’est à recevoir de Dieu lui-même. C’est pour cela qu’à la messe nous prions pour que le pain et le vin deviennent le corps et le sang du Christ, puis pour que nous qui allons communier au corps et au sang du Christ nous soyons un seul corps et un seul esprit dans le Christ. Par notre communion au corps du Christ nous devenons le Corps du Christ. Et ça, c’est sous l’action de l’Esprit Saint, l’action de Dieu lui-même que nous prions pour cela.

Le concile comme St Paul disent d’ailleurs que nous sommes le Temple de l’Esprit. Ça veut dire quoi ? L’Esprit c’est la présence de Dieu, c’est son amour qui le relie à Jésus et que Jésus nous promet, c’est ce qui nous connecte à Dieu et c’est aussi ce qui est déposé en chaque homme, comme le dit le concile, car au jour de la Création, Dieu a déposé son souffle de vie en l’homme et donc en chacun. Être le Temple de l’Esprit, ça veut dire que nous sommes ce lieu où Dieu est présent. Le Temple pour Israël c’était son lieu de culte mais plus encore c’était ce lieu, au cœur de Jérusalem, pour rappeler et signifier la présence de Dieu au milieu de son peuple et donc pour les nations. Être le Temple de l’Esprit ça veut dire devenir les uns et les autres, ensemble, le signe de la présence de Dieu au milieu de ce monde. C’est notre mission. Et concrètement ça va passer par plusieurs choses :

  1. notre façon d’associer Dieu à notre vie ; on pourrait appeler ça la dimension cultuelle ;
  2. notre façon d’annoncer que Dieu existe et qu’il est présent à notre monde ;
  3. notre façon de vivre concrètement l’évangile et l’appel à aimer.

Je ne résiste pas à vous citer Jean Vanier, le fondateur de communautés de l’Arche, qui a dit ici à Grenoble, il y a quelques années lors d’un rassemblement de jeunes : ce que Dieu attend de nous ce n’est pas juste que nous disions au gens que Jésus les aime, mais c’est que nous les aimions concrètement, au nom de Jésus et de l’évangile.

Ces trois points disent notre mission, une triple mission, une mission de transformation du monde et de salut pour le monde :

  1. Être témoins de la présence de Dieu au milieu du monde, par cette dimension cultuelle qui veut aussi dire faire monter votre Dieu les cris du monde (et donc les écouter !) : il s’agit non seulement lui confier ce que nous vivons mais tout autant ce que vivent ceux qui nous entourent et qui ne connaissent pas forcément Dieu, et il s’agit de puiser auprès de Dieu les forces dont nous aurons besoin pour les deux autres missions qui nous sont données.
  2. La deuxième mission c’est celle d’annoncer la Bonne Nouvelle du Salut et d’annoncer Jésus Christ. Je pense à St Paul dans une de ses lettres aux chrétiens de Corinthe qui dit : « Malheur à moi si je n’annonce pas l’évangile ». C’est la dimension d’évangélisation au sens d’annonce explicite. Si je crois que Dieu veut sauver tous les hommes, si je crois que Jésus est ressuscité et qu’il peut donner sens à ce que vivent et traversent les uns et les autres et si je crois que sa Parole est parole de vie parce que je l’ai expérimenté pour moi, alors comment ne pas vouloir partager tout cela à d’autres ? La condition c’est bien quand même que je l’ai expérimenté… Ma parole ne sera audible que parce qu’elle sera vraie et elle ne sera vraie que parce que je la vis et que ça n’est pas que des grandes idées. J’aime bien à ce propos là une phrase du rituel de l’ordination diaconale, au moment de la remise de l’évangéliaire au nouveau diacre : « Attache-toi à croire ce que tu auras proclamé, à enseigner ce que tu auras cru et à vivre ce que tu auras enseigné ».
  3. C’est ma transition avec la troisième dimension de notre mission : vivre ce que nous annonçons, le vivre concrètement. Qu’est-ce que nous avons à annoncer ? Le Christ qui est présent à nos côtés, le Christ qui veut relever chacun, le Christ qui a besoin de nos mains d’hommes et de femmes pour prendre soin des uns et des autres et qui a besoin de nos voix pour s’adresser aujourd’hui à ceux qu’il veut rencontrer, le Christ qui nous appelle donc à entrer en dialogue avec ceux qui nous entourent et à entendre le cri des pauvres, des pécheurs et des malades, le Christ enfin qui nous appelle à retrousser nos manches et à vivre le commandement de l’amour. « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on reconnaîtra que vous êtes mes disciples » dira Jésus à ses apôtres au soir du lavement des pieds (Jn 13).

Trois missions qui sont complémentaires, trois missions que nous avons à vivre à notre mesure évidemment, selon nos charismes et dans la complémentarité de ce que nous sommes les uns et les autres. Certains d’entre nous seront plus des priants, d’autres seront plus des évangélisateurs, d’autres enfin seront plus dans l’aide concrète ou la présence aux autres et aux plus pauvres. Ce sont trois dimensions complémentaires à notre vie chrétienne et ce sont trois dimensions indissociables à la vie de l’Eglise. L’Eglise n’est l’Eglise que si elle est une Eglise (1) qui prie et qui célèbre, (2) qui annonce son Seigneur et (3) qui vit concrètement l’appel à aimer et à relever ceux qui soufrent ou qui sont exclus, quelle que soit leur histoire, leur foi et même le mal qu’ils aient pu faire… Mais tout cela nous ne pouvons le vivre les uns et les autres qu’en nous nourrissant de la présence du Christ et qu’en demandant à l’Esprit Saint qu’il nous souffle ce que nous sommes en mesure de vivre concrètement, selon nos charismes. Et pour nous aider à cela, l’Eglise est organisée avec des ministères qui sont au service de la vie des communautés, de l’annonce de la Parole et du discernement des appels du Seigneur aujourd’hui (je ne vous refais pas le cours de la dernière fois, je vous laisse y retourner de vous-mêmes !).

Une fois que j’ai dit tout ça, vous allez me dire, ok, mais comment être présent au monde. On voit dans l’histoire de l’Eglise que ça n’a pas toujours été pareil et que ça n’a pas toujours été évident. Les premières communautés chrétiennes étaient des communautés persécutées mais qui avaient du zèle et de l’audace – on peut lire ça dans les Actes des Apôtres - ; puis le monde est devenu chrétien avec la conversion de l’empereur Constantin et le risque ça a été de vouloir convertir tout le monde de force, au nom de cette idée très honorable que Dieu veut sauver tous les hommes et donc il faut faire en sorte que tous soient chrétiens pour que tous soient sauvés – je caricature, mais c’est pour vous faire comprendre. Au milieu du XXème siècle on était plutôt dans ce qu’on appelait une pastorale de l’enfouissement : tout le monde était culturellement chrétien mais ceux qui vivaient activement leur foi faisaient le choix de le faire de façon cachée, avec cette idée que ce qui compte ce n’est pas tant d’annoncer Jésus Christ en paroles que de vivre de l’évangile, tout simplement. Le risque c’était d’en rester à un humanisme bienveillant… et de ne pas aller jusqu’au témoignage…

Aujourd’hui on a conscience qu’il faut tenir ces trois dimensions de la mission de façon inséparable et complémentaires. On le dit dès le baptême quand le prêtre ou le diacre fait l’onction de St Chrême sur le front du nouveau baptisé : « Désormais tu participes avec le Christ à sa dignité de prêtre de prophète et de roi ». Sa dignité et sa mission. Le prêtre c’est la dimension cultuelle, le prophète c’est l’annonce de la Parole et la dimension royale c’est la dimension de permettre à chacun d’être à sa place ou de trouver sa place, c’est aussi prendre soin de l’autre.

Mais comment annoncer Jésus Christ aujourd’hui dans un monde très déchristianisé et en plus un monde pluri-religieux ? Quand le concile se réunit dans les années 1960, ce ne sont pas des questions complètement nouvelles mais c’est sans doute une des premières fois où on accepte de les poser vraiment et de regarder en face les questions que ça pose et que ça entraîne. Et le concile n’a pas répondu à tout, il a ouvert des pistes. Je pense par exemple à la question du dialogue œcuménique ou à celui du dialogue interreligieux, le concile fait des avancées énormes mais ne fait qu’ouvrir des portes qu’il faut maintenant explorer et travailler.

En tout cas, ce que nous dit le concile c’est que nous devons entrer en dialogue avec le monde. On ne peut pas faire autrement. Le pape François ne cesse de nous le redire depuis un an. On ne peut pas être fermés sur nous-mêmes au risque de ne pas être missionnaires et donc de ne plus être vraiment l’Eglise de Jésus Christ. Le pape François ne cesse de nous dire qu’il faut aller aux périphéries… Se centrer – sur le Christ – nous décentre, a-t-il dit à plusieurs reprises…

Mais entrer en dialogue ça veut dire quoi ? On peut croire qu’il faut entrer en dialogue comme on entre en combat parce que le monde serait mauvais – j’appelle ça les nouvelles croisades, mais est-ce que c’est vraiment du dialogue ? – ou alors on peut décider de se mettre vraiment à l’écoute de ce que vivent ceux qui nous entourent pour y entendre là où nous pouvons les rejoindre, y entendre aussi ce qu’ils vivent déjà de l’Evangile, souvent sans le savoir, et y entendre leur quête de sens, leur besoin d’être libéré ou d’être relevé. Rappelez-vous les premiers mots de Gaudium et Spes

Pour être en dialogue il faut mettre nos pas dans ceux mêmes de Jésus. Qui est Jésus ? Il est celui par qui Dieu vient rejoindre notre monde, non pas pour condamner le monde, dit l’évangile de Jean, mais pour que le monde par lui soit sauvé (Jn 3,17). Jean XXIII, au début du concile, dira que l’Eglise ne doit pas jouer aux prophètes de malheurs mais doit se mettre à l’écoute de ce monde en aimant ce monde tel qu’il est. Et c’est parce que je vais décider de voir ce monde avec des yeux qui aiment et donc avec un regard positif que je pourrai y discerner ce qu’il y a de bon et de beau mais aussi, du coup, ce qui est à convertir sans doute mais tout autant à soigner et à relever. Alors je pourrai agir et nous pourrons agir en Eglise comme Jésus.

Et comment a-t-il fait ? Il est allé à la rencontre de tous, même les pharisiens et les publicains, même les samaritains, mêmes les pécheurs et les malades. Être ses disciples et ses témoins c’est décider de nous mettre en route, comme lui, là où nous vivons, là où nous travaillons, et d’apprendre à entrer en relation avec les uns et les autres. Jésus n’a jamais assené de vérités ou de grandes idées sur ce qu’il faudrait que les uns et les autres vivent. Il a invité à la conversion, c’est sûr, mais d’abord et surtout il disait à chacun : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Ensuite, il laissait libre. Il a même dit à ses disciples, quand il les a envoyé en mission deux par deux, de ne pas insister si on ne les accueillait pas favorablement ; c’est en Mc 6,7-13.

Je reviens à ce que nous dit le concile :

  • Dans la Constitution conciliaire Dei Verbum, sur la Révélation et la Parole de Dieu, il y a cette phrase du concile qui est très importante pour comprendre l’Eglise et sa mission : « Il a plu à Dieu, dans sa bonté et dans sa sagesse, de se révéler lui-même et de faire connaître le mystère de sa volonté, par lequel les hommes ont accès auprès du Père par le Christ, la Parole faite chair, dans l’Esprit Saint et sont rendus participants de la nature divine. Ainsi, par cette Révélation, le Dieu invisible, dans son amour surabondant, s’adresse aux hommes comme a des amis et est en relation avec eux, pour les inviter à la vie en communion avec lui et les recevoir en cette communion. » C’est au n°2 de Dei Verbum.
  • La Constitution sur l’Eglise, Lumen Gentium, va aller un peu plus loin et nous dire dans son numéro 1 que « le Christ est la lumière des nations » (Lumen Gentium) et, deuxième chose, que « l’Eglise est, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain ». L’Eglise a donc cette mission de vivre du Christ et de le refléter dans le monde, c’est-à-dire d’en renvoyer l’image, pour permettre une communion croissante des hommes et des femmes entre eux, et une communion croissante des hommes et des femmes avec Dieu. Refléter ça veut dire renvoyer cette image du Christ qui peut nous éclairer, son image telle qu’il nous éclaire et qu’il veut éclairer tout homme, mais aussi refléter son image comme dans un miroir, à partir de ce que le monde porte déjà du Christ. Le monde va nous aider à affiner notre compréhension de Dieu et notre témoignage, parfois même nous déplacer de nos certitudes. Le concile dit à plusieurs reprises qu’il y a des « Semences du Verbe » présentes dans le cœur de tout homme de bonne volonté et donc dans le monde (le Verbe c’est le Christ qui est la Parole de Dieu). Notre mission c’est de recueillir ces semences et les faire germer et éclore (accueillir le Royaume de Dieu déjà en croissance).
  • Comment me mettre à l’écoute de cela sans décider d’entrer en relation avec ce monde comme Dieu lui-même l’a fait, c’est-à-dire en voulant s’adresser aux hommes comme a des amis – je reprends les mots de Dei Verbum – et en voulant vivre une communion avec eux. Donc partager ce qui fait leur vie. Nous avons donc à être du monde, nous avons à être pleinement insérés dans le monde, pas à rester seulement entre nous. Et être du monde comme avec des amis, ça veut dire avec un regard et une attitude aimante, écoutante, intéressée et désireuse que nous avancions ensemble dans une sorte d’« échange de dons » (c’est une expression qu’utilisait Jean-Paul II pour parler de l’œcuménisme, mais il me semble que ça vaut aussi pour le dialogue que doit vivre l’Eglise).

Ça ne veut pas dire, évidemment qu’il faut épouser toutes les idées du monde, vous vous en doutez. Ne soyons pas naïfs, notre monde ne vit pas de l’évangile, pas toujours et pas complètement, l’actualité ne cesse de nous le dire – nous non plus d’ailleurs… Et c’est bien pour cela que nous avons une mission et que nous avons une parole et une présence à tenir. L’enjeu c’est de faire grandir la paix et la communion, et nous croyons que c’est le Christ qui peut offrir cela au monde. Mais si nous voulons avoir une parole qui soit audible et entendable, il nous faut, je le redis, désirer entrer en dialogue avec ce monde et non pas le diaboliser ou le juger ou n’y voir que ce qui ne va pas.

Paul VI dans son encyclique Ecclesiam suam qu’il a écrite pendant le concile, justement quand nos textes sur l’Eglise se réfléchissaient, nous donne les conditions du dialogue (8 exactement) : il dit qu’il faut le faire avec (1) douceur et (2) confiance, avec (3) clarté aussi et avec (4) une certaine prudence pédagogique (ces expressions sont de Paul VI aux n°83-85) ; il ajoute (5) qu’il faut s’adapter à l’autre avec qui je dialogue dans un climat (6) d’amitié et de (7) service, tout en ayant une parole qui soit (8) en fidélité à l’évangile et en vérité – nous ne tomberons pas dans le relativisme, dit-il au n°92, si nous nous sommes pleinement fidèles à la doctrine du Christ.

Je vais m’arrêter là même si il y aurait sans doute plein d’autres choses à dire et à développer. Avant qu’on se mette en petits groupes pour lire ensemble des extraits de l’Exhortation apostolique du pape François, juste deux convictions conclusives et une citation biblique :

  1. Dialoguer avec le monde c’est se mettre à l’écoute du monde tout en étant à l’écoute de l’Evangile pour y discerner ce que Vatican II appelle les signes des temps et pour assurer, du coup, une présence au monde ajustée qui soit en même temps une annonce du salut au cœur de ce que vivent et traversent ceux qui nous entourent.
  2. L’enjeu de notre vie chrétienne il sera toujours de nous laisser nous même rejoindre déjà par le Christ ressuscité pour ensuite rejoindre le monde et tout homme dans ce qu’il est et dans ce qu’il porte, le rejoindre pour le « ressusciter » lui aussi, le relever, lui donner d’être vivant et debout, et même, pourquoi pas, lui faire découvrir Jésus Christ et le faire entrer en communion avec Dieu ; si nous arrivons jusque là, alors il pourra devenir lui aussi, à sa mesure, témoin et acteur de cette résurrection pour ceux qu’il rencontrera, et ainsi de suite…

Mon mot de la fin, ce sera pour le prophète Michée. Un petit verset où il s’adresse au peuple d’Israël et qui résume bien, je trouve, l’attitude que nous devons avoir dans notre rapport au monde ; je suis au chapitre 6,8 : « On t’a fait connaître ce que le Seigneur attend de toi : pratiquer la justice, aimer avec bonté et marcher humblement avec ton Dieu ». Il me semble que ce verset pourrait être comme une charte pour notre dialogue avec ceux qui nous entourent, pour vivre l’évangile et la rencontre.

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