12 Novembre 2015
« Que fait Dieu quand je souffre ? »
Intervention à l’invitation de la pastorale santé de la paroisse St François d’Assise le 12 novembre 2015 à la Maison paroissiale. [Reprise de la conférence de carême du 26 mars 2015 au lycée St Marc de Nivolas-Vermelle].
Cette question, « Que fait Dieu quand je souffre ? », est une question que beaucoup de gens se posent et qu’on entend très souvent. J’en ai été témoin pendant plusieurs années, au tout début de mon ministère, comme aumônier d’hôpital dans des établissements de soins de suite, avec notamment des services de cancérologie et des unités de soins palliatifs. Et j’en suis témoin dans tout un tas de rencontres, que ce soit en paroisse ou en famille ou avec des amis. C’est aussi une question à laquelle j’ai été confronté dans mon chemin de vie et de foi, avec mes proches mais aussi dans mon histoire personnelle. C’est enfin une question qui traverse d’une façon ou d’une autre la vie de celles et ceux avec qui je chemine depuis 5 ans maintenant dans la Communauté de l’Arche de Jean Vanier à Grenoble (pour ceux qui ne connaissent pas, je rappelle que ce sont des communautés de vie avec – pas pour mais bien avec – des personnes touchées par l’expérience du handicap mental).
Cette question je vais essayer d’y répondre avec ce que je suis, ces expériences dont je viens de parler mais aussi ma foi, et du coup avec ce qui nourrit ma foi en Dieu à savoir ce livre de la Bible dans lequel nous apprenons à découvrir et comprendre petit à petit qui est Dieu, comment il se rend présent à son peuple et plus largement comment il veut se faire connaître de tous, quel est son projet pour nous et comment il agit dans nos vies…
Quand je pose cette question « Que fait Dieu quand je souffre ? », quand je l’entends, j’ai deux choses qui me viennent spontanément :
Cette question renvoie à l’expérience du silence de Dieu et d’une certaine façon au non-sens d’un silence apparent de Dieu…
Est-ce donc que Dieu ne peut rien et donc qu’il ne sert à rien ? Est-ce donc que Dieu n’existerait pas et que tout ça ce sont des histoires, de belles histoires mensongères pour je ne sais quelle consolation un peu rapide ? Sans trop en dire sur moi, ce sont exactement les questions que je me suis posé à 11 ans quand l’épreuve de la souffrance mais tombée dessus après un accident de sport à l’école : si Dieu ne fait rien alors qu’on me dit qu’il m’aime, qu’il est tout puissant et qu’il prend soin de nous, si Dieu me laisse souffrir, est-ce que ce n’est pas la preuve qu’il n’y a pas de dieu puisque c’est l’expérience immédiate que j’en ai ? Et s’il n’existe pas c’est donc qu’on me ment ? Et si on me ment pour ça est-ce qu’en fait on ne me ment pas aussi pour tout le reste ou tout un tas de chose de la vie ?
A l’inverse, si je veux bien croire que Dieu existe, quand même, malgré tout, est-ce que ça veut dire que Dieu est impuissant, qu’il ne peut rien pour nous ? Mais alors à quoi sert-il ? C’est qui ce Dieu ?
Dans nos Bibles, les évangiles sont traversés par cette même question, depuis l’épisode des tentations du Christ jusque sur la croix où Jésus va mourir – je vous rappelle que le cœur de notre foi chrétienne, ce qu’on fête chaque année à Pâques et même chaque dimanche, c’est le mystère de la mort et de la résurrection de Jésus, Jésus qui est mort en croix, Jésus qui a traversé cette question de la souffrance. A plusieurs reprises dans nos Bibles, dans les évangiles, et dès les tentations du Christ, on entend : Si tu es la Fils de Dieu, alors saute dans le vide et il enverra ses anges pour te porter ! Si tu es la Fils de Dieu, alors fais des miracles ! « Si tu es le Fils de Dieu, sauve-toi toi-même ! » etc. C’est une question récurrente adressée à Jésus et donc à Dieu : montre donc ta puissance ! On dit à Jésus : « Ton Dieu fera-t-il quelque chose pour toi, d’autant que toi tu es son Fils ! » Et on se dit que si Dieu ne fait rien pour son propre Fils alors pour nous ça ne risque pas non plus…
Ça me fait penser à l’épisode de la résurrection de Lazare, au ch. 11 de l’évangile de Jean. C’est l’évangile qu’on a entendu lundi dernier pour la messe des défunts de l’année – et c’est l’évangile qu’on entend à la fin du carême pour les messes où des catéchumènes vivent leur dernière étape des scrutins – : à deux reprises Marthe et Marie disent à Jésus qui est leur ami – le texte insiste – : « Si tu avais été là notre frère ne serait pas mort »…
C’est vraiment une question qui rejoint les nôtres quand nous sommes dans l’épreuve, dans le non-sens de la souffrance… Pourquoi ? Que fait Dieu ? Où est-il ? Existe-t-il ?
Il y a une douzaine de jours je crois, à la messe de semaine, la 1ère lecture de ce jour là nous a donné à entendre un extrait du livre de la Sagesse, au chapitre 2, où l’auteur écrit sa confiance en Dieu qui sauvera le juste quoi qu’il arrive, Dieu qui interviendra en sa faveur, Dieu qui le libèrera des ennemis. Si ce Dieu existe bien, alors que fait-il ? Comment ?
Ces questions, et cette question qui nous rassemble ce soir de savoir « Que fait Dieu quand je souffre ? » posent en fait plusieurs questions :
Cette dernière question me fait penser à deux choses : une dame que j’ai rencontré un jour quand j’étais aumônier d’hôpital et une phrase d’évangile qui revient plusieurs fois et qui choque parfois. Cette dame à qui je pense, elle était paralysée des jambes depuis une dizaine d’années ; un jour elle entre dans la chapelle de l’hôpital et elle lit sur le mur cette phrase de Claudel que nous avions affichée et qui dit quelque chose du style : « Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance mais la traverser avec nous » ; et pour elle ce fut une douche froide, un drame ; pourquoi ? Tout simplement parce qu’elle ne comprenait pas pourquoi elle était dans cet état là et elle voulait croire que Dieu pourrait faire quelque chose pour elle, jusqu’à croire que Dieu l’avait punie de je ne sais quoi et qu’un jour il lèverait la punition et qu’elle pourrait donc remarcher. Eh bien non…
Et la phrase d’évangile c’est quand on nous dit à plusieurs reprises : « Il fallait que le Christ souffrit tout cela, qu’il meurt et qu’il ressuscite ». Il fallait… ?! Est-ce que ça veut dire que Dieu le veut et donc le permet au sens fort c’est-à-dire y pousse ? Ce que ça veut dire, je crois, c’est que Jésus, s’il est vraiment homme, pas seulement et vraiment Dieu, ne pouvait pas ne pas traverser l’épreuve du mal et de la souffrance et qu’il ne pouvait pas ne pas mourir, tout simplement car ça traverse toute vie humaine ; si Jésus n’avait pas souffert et n’était pas mort il n’aurait pas été homme pour de vrai, il n’aurait pas été homme jusqu’au bout, et sans doute qu’il ne pourrait pas du coup nous sauver du mal et de la mort – j’y reviendrai tout à l’heure.
Je pense aussi à un chant plutôt vieux je pense qui reprend des mots de St Paul qui écrit dans une de ses lettres quelque chose du style : si nous mourons avec le Christ avec lui nous vivrons et si nous souffrons avec lui avec lui nous règnerons… Il faudrait donc souffrir ? Ce serait ça la porte étroite dont Jésus parle dans les évangiles pour qui veut advenir avec lui au salut et au bonheur promis ? Mais quel est le sens de tout cela ? Je comprends que certains refusent Dieu, ce Dieu là … ! Moi aussi … !
Le thème de cette intervention, la question que ça pose c’est donc d’abord et avant tout, en fait, celle du mal et celle du sens ou du non sens de ce mal. Ça pose ensuite la question de savoir qui est Dieu et par conséquence de savoir comment il est présent aujourd’hui et comment il agit dans le monde et dans l’histoire et donc dans notre vie à chacun…
Pour moi, j’ai commencé à la dire, ce ne sont pas d’abord des questions théologiques abstraites, des questions philosophiques et spéculatives, mais c’est une question existentielle et d’expérience. Comme vous, je fais le constat dans ma vie et dans celle de ceux que je rencontre que se pose en nous et autour de nous cette question du mal et de la souffrance. Qui n’est pas d’ailleurs une question mais qui est une expérience, une expérience parfois terrible et douloureuse…
C’est un constat : dans ma vie il y a du mal… Il y a ce mal qui me tombe dessus, par exemple la maladie, mais aussi ce qui est de l’ordre des forces de la nature et de la création – pensez aux cyclones et aux tremblements de terre… Il y a aussi ce mal qui me tombe dessus, ce mal subi qui est la conséquence des actes de ceux qui m’entourent, ce que les autres me font, les injustices aussi. Je fais le constat, nous faisons le constat, que nous sommes victimes du mal… Et Dieu, s’il existe semble laisser faire…
Il y a aussi ce mal dont je suis partie prenante, le mal que je fais. Ce mal que je fais parfois inconsciemment mais parfois très consciemment, le péché. Pourquoi Dieu nous laisse-t-il faire ? Pourquoi nous avoir créés capables du mal ?
Dans nos Bibles, ce même constat traverse tous les livres. De la première à la dernière page. Car ces questions traversent toute l’histoire de l’humanité ; d’ailleurs ça traverse aussi toutes les traditions religieuses qui essayent elles aussi de trouver un sens ou une consolation.
Si ce monde dans lequel nous vivons est créé par Dieu, est-ce que ce qui s’y passe est donc voulu par Dieu ? Il serait alors un Dieu qui veut bien le mal ?
Dans le livre de la Genèse, le premier livre de la Bible, on nous raconte que la création voulue par Dieu est bonne, que la création de l’homme et de la femme c’est très bon. Et juste après on nous raconte, on fait le constat, qu’il y a pourtant du mal qui se faufile là au milieu, qui se faufile tel un serpent… Le second constat que posent nos Bibles dans le même livre de la Genèse c’est que l’homme est créé capable d’aimer, capable de prendre sa vie en main, il est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, capable de grandes choses, mais qu’il est du coup créé libre, capable d’exercer sa liberté, de faire ses choix y compris de se laisser tromper et de se détourner de Dieu. Dieu n’a pas créé un clone de lui-même pour s’admirer. Et voilà l’homme et la femme libres de céder au piège du serpent tentateur qui leur dit que s’ils lui obéissent ils pourraient devenir comme des dieux, être tout-puissants, maîtres de leur vie et même du destin. Le serpent vient semer le doute en eux et ils tombent dans le piège ; et quand Dieu leur dira « Où êtes-vous ? Qu’avez-vous fait ? » l’homme rejettera la faute sur la femme qui a son tour la rejettera sur le serpent. « C’est pas moi, c’est elle ! C’est pas moi, c’est lui… »
Dans notre vie c’est la même chose… Le mal qui se faufile et qui prend parfois le dessus vient semer le doute en nous. Et si nous étions livrés à nous-mêmes et qu’il n’y avait pas de Dieu ? La preuve, son silence, son inaction apparente… Dieu nous aurait-il abandonné ? Le mal vient mettre le doute en moi…
Ceci dit, ça ne répond pas à la question de pourquoi le mal… C’est un constat, il y a du mal et cette expérience du mal pourrait bien nous couper de Dieu… Et toute la Bible, toute l’histoire biblique va être traversée par cette question du mal et la question de savoir qui est Dieu et comment il fait ou non quelque chose pour nous… Toute l’histoire biblique nous fait osciller entre les promesses de vie que Dieu fait et qu’il continue de faire et cette limite à notre vie qu’est l’épreuve de la souffrance et celle de la mort.
Et tout au long de cette histoire biblique, Dieu va en fait se révéler progressivement. Il va se dévoiler à nous comme le Dieu qui est présent malgré tout, Dieu qui aime son peuple et qui entend son cri, Dieu qui va même tout mettre en œuvre pour le protéger mais il faudra suivre ses indications et celles qu’il donnera à ceux qu’il va envoyer, Dieu qui va essayer de faire comprendre à son peuple qu’il ne l’abandonne pas (même malgré les apparences) et même qu’il veut et qu’il peut le sauver…
C’est tout ce qu’on réentend chaque année pendant les célébrations des fêtes pascales, dès le Jeudi saint…
Dans le livre de l’Exode, l’histoire de Moïse – certains d’entre vous ont peut être vu l’année dernière le film Exodus qui raconte tout cela de façon assez intéressante – dès le livre de l’Exode donc, on nous dit, ou plutôt Dieu dit à Moïse, au ch. 3 : « J’ai entendu le cri de mon peuple » et Dieu promet qu’il va faire quelque chose, qu’il va libérer le peuple, qu’il ne peut pas le laisser dans cette situation… On pourrait demander à Dieu ou se demander : pourquoi donc Dieu a laissé faire ? Pourquoi avoir laissé son peuple être réduit à l’esclavage et à l’oppression ? C’est le mystère de la liberté des hommes. Le peuple d’Israël est victime de ses propres choix et de ceux de ce peuple égyptien qui va devenir jaloux de lui et qui va le réduire à l’esclavage… Dieu n’intervient pas comme un grand magicien, à coup de baguettes magiques, ce qui ferait de nous des marionnettes entre ses mains. Il n’est pas un Dieu qui tire les ficelles de l’histoire. Il est ce Dieu qui est là, qui reste présent et qui peut traverser avec nous le cours de l’histoire telle qu’elle va se dérouler sous le choix et la liberté des actes que nous poserons… En tout cas Dieu dit à Moïse qu’il est bien là quand même, qu’il a entendu le cri de son peuple qui n’en peut plus et qu’il va chercher à lui proposer des solutions. Moïse par exemple. Il est celui que Dieu va envoyer, celui qu’il va falloir écouter et suivre. Et Dieu dit qu’il y aura des signes, mais ils seront compris ou pas. C’est toute l’histoire des plaies d’Egypte. Et Dieu va se livrer à un vrai combat contre Pharaon qui est puissant et qui n’entend pas se laisser faire…
L’expérience que nous raconte le livre de l’Exode et qui est l’expérience fondatrice du peuple d’Israël c’est que Dieu va sauver son peuple, il va le libérer de l’esclavage, il va le libérer du mal et de la mort qui rôde partout. Dieu va libérer son peuple de cette épreuve terrible qu’il traverse. Dieu va frayer un passage de vie au milieu du chaos, aussi incroyable que cela puisse paraître. Mais Dieu ne le fera pas sans les uns et les autres. Lui fera-t-on confiance ? Lui fera-t-on confiance de ce qu’il va demander, fera-t-on confiance à Moïse dans ce qu’il va proposer au nom de Dieu ? A plusieurs reprises le peuple aurait pu ne pas écouter ou ne pas entendre et refuser de se mettre en route…
Le problème du peuple d’Israël c’est qu’il est comme nous et qu’il aura la mémoire courte et la « nuque raide ». Après le passage de la Mer rouge et la libération d’Egypte, à la première difficulté et à chaque épreuve de la traversée du désert le peuple va croire que Dieu l’abandonne et l’oublie. Ce sera l’expérience de la soif, dès le chapitre qui suit la sortie d’Egypte, on va se demander si Dieu ne nous a pas envoyé dans un piège et on va se dire que c’était tellement mieux avant où on avait de quoi manger et boire, de quoi dormir aussi. C’était tellement mieux à un détail près : le peuple était réduit à l’esclavage et n’en pouvait plus et Pharaon mettait à mort tous les enfants. Vous parlez d’un mieux ! Dieu répond et donne de l’eau… Mais juste après, chapitre suivant, le peuple a faim, et là, de nouveau, il oublie et il rêve et idéalise son passé. C’était tellement mieux avant… Et que fait Dieu, pourquoi nous a-t-il abandonné ? Et Dieu répond ; c’est l’épisode de la manne. Dieu donne une drôle de nourriture, mais attention il n’y aura que ce dont chacun a vraiment besoin et si on veut faire des réserves ça s’abimera. Il faut entrer dans la confiance que Dieu donnera à chacun, pas comme on rêverait, mais ce dont chacun aura besoin pour avancer. Il faudra apprendre à le voir…
Dans le livre des Nombres, au chapitre 21, on nous raconte qu’au milieu de la traversée du désert, le peuple en a encore mare et râle contre Dieu. Et voilà qu’ils traversent une région pleine de serpents. C’en est trop ! Ils en ont ras-le-bol. Ils se demandent même si ce n’est pas Dieu qui se venge de leurs récriminations et c’est du coup comme ça qu’ils racontent l’histoire. Ils en ont mare et ils se demandent : c’est quoi ces promesses de Dieu pour une terre promise et pour plus de vie !? Et Dieu leur donne une marche à suivre pour être sauvés de cette épreuve, il leur donne un signe : Moïse devra brandir une serpent de bronze ; chaque fois que quelqu’un sera victime d’une morsure de serpent il devra regarder ce signe, c’est-à-dire à la fois regarder le mal en face – le serpent, rappelez-vous, c’est le mal qui se faufile dans notre vie – il faudra donc regarder le mal en face mais élever le regard, se tourner vers Dieu, mettre sa confiance en lui ; et alors le mal disparaîtra, ou plutôt la personne blessée sera sauvée, guérie. Ce que j’entends de cette histoire c’est que Dieu ne peut rien sans nous. Nous pouvons râler tant que nous voulons, nous pouvons être en colère contre Dieu et contre son silence apparent, il nous faut décider quoi qu’il arrive de nous tourner vers lui. Et quelque chose adviendra pour nous… C’est une promesse qu’il nous fait…
Du coup à la question « Que fait Dieu quand je souffre ? » est-ce qu’il ne faudrait pas mieux se demander : « Qu’est-ce que Dieu a déjà fait pour moi ? » Et du coup oser crier vers lui : « Seigneur, que peux-tu faire pour moi aujourd’hui, maintenant ? Viens à mon secours ! »
Faire mémoire de ce que Dieu a déjà fait pour nous, pour ne pas tomber dans le piège de la tentation, ne pas tomber dans le piège du mal qui va mettre le doute en moi…
Dans les écrits des prophètes, dans l’Ancien Testament, quand le peuple désespérera encore que Dieu l’abandonne, par exemple pendant la période de l’Exil, quand il se demandera si Dieu ne l’a pas oublié, les prophètes répondront : n’est-ce pas toi qui te serais éloigné de Dieu ou qui l’aurait laissé tombé ? » Nous avons été créés libres y compris de faire une place à Dieu au cœur de notre vie…
Ceci dit, j’entends bien la question qui reste quand même, celle de l’expérience du silence apparent de Dieu, même quand on se tourne vers lui… Comment agit-il alors ? Comment Dieu répond-il ? C’est toute la question du silence de Dieu quand Jésus est sur la croix… « Si tu es le Fils de Dieu… » et Dieu semble ne rien faire, en apparence… Et Jésus meurt sur la croix, il meurt souffrant, quasiment seul et abandonné. Avec ce silence terrible de Dieu…
Un jour Jésus a dit à ses disciples : « Demander et vous recevrez, cherchez et vous trouverez, frappez et on vous ouvrira »… Et il ajoute dans une des versions : « Il vous sera donné ce dont vous avez besoin » ; ok, merci, mais quoi ? Et là, réponse étonnante et peut-être déroutante : « Il sera donné l’Esprit Saint à qui le demande »… (Lc 10,9-13)… Ah… Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Je vais demander à ne plus avoir mal, ou à être sauvé de mon épreuve, et la réponse ce sera l’Esprit Saint ? Ça veut dire quoi ?
Je crois que ça veut dire d’abord qu’il y aura bien une réponse. Dieu est là, Dieu va agir. Mais cette réponse ne sera peut-être pas celle que j’aurai voulu ou pas comme j’aurai voulu ou cru… Et il y aura une réponse si je demande à Dieu ce dont j’ai besoin, si je crie vers lui, peut-être même si j’insiste. Et il me faudra alors chercher quelle(s) réponse(s) sera (ou seront) donnée(s). Comment ? Je ne sais pas… Quand ? Je ne sais pas… En tout cas il me sera donné ce dont j’ai vraiment besoin… Et plus exactement il me sera donné l’Esprit Saint c’est-à-dire la force de vie pour traverser ce qu’il y a à traverser. Et l’Esprit Saint c’est le souffle de Dieu déposé en chacun ce qui veut donc dire qu’il va falloir que j’écoute en moi ce que Dieu souffle ou murmure comme chemins de réponses ou ce qu’il souffle en moi, ce qu’il murmure en moi de prise de conscience de ce que la vie est en train de me donner comme réponses…
Il va falloir que j’apprenne à entendre en moi les appels de la vie qui sont peut-être réponse ou que je discerne dans ce qui m’arrive, dans les rencontres et les évènements, des traces de réponse de Dieu dans ce qui est de l’ordre d’étincelles de vie. Et je crois qu’un jour je me retournerai et que je verrai par où je suis passé, par où Dieu ou la vie m’ont fait passer, et je verrai que malgré tout je suis encore vivant, c’est-à-dire qu’au cœur de ce que j’ai dû traverser il y a encore de la vie qui est là et que c’est à des bribes de vie que j’ai pu m’accrocher pour avancer et ne pas sombrer. Je crois que Dieu est là dans ces rencontres et ces évènements qui sont de l’ordre de la vie qui se devine, malgré tout, de l’espérance ou de la confiance qui peuvent gagner un peu notre cœur… Mais on ne s’en rendra compte qu’après coup, en faisant mémoire de ce qui nous est arrivé…
Vous dire cela me fait penser à deux choses, un poème portugais ou brésilien (je ne sais plus) et une phrase d’évangile :
Encore un mot sur Jésus. Et sur le mystère de Pâques puisque c’est le cœur de notre foi, en tout cas le cœur de ma foi et mon moteur de vie.
Jésus annonce et révèle un Dieu qui est là, silencieux parfois comme dans l’épisode de la tempête que Jésus va apaiser quand ses disciples le réveilleront ; un Dieu qui est là, un Dieu qui aime, un Dieu qui guérit. Jésus nous dit aussi de ce Dieu là qu’il veut nous sauver et non pas juger ou condamner ce monde. C’est un Dieu qui nous veut responsables de nos actes, mais un Dieu qui ne punit pas. C’est un Dieu qui offre son pardon et qui veut nous guérir de ce qui nous empêche d’être pleinement vivants. C’est une promesse pour demain, pour l’après-mort, mais c’est une promesse qui est déjà effective, qu’il est déjà possible d’accueillir et de vivre.
C’est ce message qui a conduit Jésus à la mort. Avec cette question qui s’est posée et que j’ai déjà posée tout à l’heure : mais que faisait Dieu ? Jésus aura même sur ses lèvres ce cri de désespoir tiré su Psaume 22, le cri de tant d’hommes et de femmes qui ne comprennent pas où est Dieu quand ils souffrent : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Remarquez que c’est encore un cri vers Dieu, c’est donc encore une prière…
Sur la croix et même avant pendant sa Passion on dira à Jésus : « Si tu es le Fils de Dieu, sauve-toi toi-même ! ». Mais Jésus ne sauve pas sa peau, il ne s’est pas défilé, il va jusqu’au bout. Et très concrètement, il meurt… C’est comme si Dieu n’avait rien fait ou rien pu faire. Dieu laisse ses bourreaux libres de leurs actes. Et ça coûte la vie à Jésus. Apparemment Dieu n’a rien fait. Dieu le laisse souffrir et mourir. Dieu ne l’a pas sauvé. On imagine bien combien c’est terrible pour les rares proches qui sont restés, ceux qui avaient cru en lui, ceux qui avaient cru en son message de salut, en ce Dieu dont il parlait qui veut la vie, qui promet la vie, qui sauve du mal et qui promet qu’il peut sauver de la mort. Pensez aux deux disciples d’Emmaüs au ch. 24 de l’évangile de Luc. Ils sont désespérés. Ils sont comme moi à 11 ans qui me disait : c’était donc des mensonges tout ça ? Est-ce que Dieu existe ? Est-ce que Dieu peut encore être dit tout-puissant ? C’est quoi ce Dieu ?
Là encore, Dieu nous aime trop pour s’imposer. Il se livre à notre liberté. Il se livre à notre confiance, à notre foi… C’est tout le mystère de sa résurrection. De fait Dieu a sauvé, mais pas comme on aurait voulu ni comme d’un coup de baguette magique spectaculaire. Non… Ça s’est fait après coup, de nuit, dans le silence absolu… Mais la bonne nouvelle de tout cela c’est que Dieu a bien sauvé ! Il nous faut le croire… Personne n’est obligé, Dieu nous laissera libre.
La Bonne Nouvelle c’est qu’avec lui la vie et le don de soi par amour sont quoi qu’il arrive plus forts que tout mal et que toute mort. C’est un acte de foi à poser. Et ce n’est pas qu’une promesse pour l’au-delà, pour la vie après la mort. C’est une promesse pour aujourd’hui. Au cœur de ce que je vis et de ce que je traverse, au cœur de mes épreuves, il y a de la vie qui est là, malgré tout. Au cœur de ce que je vis et de ce que je traverse, il y a cette promesse qu’avec Dieu et avec Jésus la vie est et sera plus forte que tout. Peut-être que je ne m’en rendrai compte qu’après coup. Et ça ne m’empêchera pas de mourir et de souffrir. Mais au cœur de cela, cette Bonne Nouvelle peut être mon moteur de vie et d’espérance. Je suis invité à croire qu’il y a de la vie quand même et me voilà invité à apprendre à la voir. Peut-être que je ne peux pas y arriver tout seul, il faudra s’y aider les uns les autres. En tout cas c’est promis, mais c’est livré à ma confiance… Et ça peut être un réel moteur de vie et d’espérance.
J’ai vraiment foi en cela. Et je crois vraiment que Dieu est là dans toutes ces petites étincelles de vie, toutes ces petites choses qui redonnent un peu goût à la vie ou qui lui donnent un peu de sens. Je crois vraiment que Dieu est là dans ces rencontres et ces évènements qui font du bien. Qu’il est là dans ces frères et sœurs ou ces personnes qui prennent soin et qui vivent concrètement l’appel à aimer, à prendre soin, à permettre à l’autre de se relever et d’avancer encore.
A la toute fin de l’évangile de Matthieu, au ch. 28 c’est la promesse de Jésus après l’envoi en mission des Apôtres : « Et moi, je suis avec vous pour toujours ». Il est là, avec nous, par l’Esprit Saint qu’il dépose en nous, par le mystère de sa présence que nous célébrons dans l’eucharistie, il est présent par ces frères et sœurs qui vivent à sa suite et qui luttent à leur mesure contre le mal. C’est ce que Jésus dit dans la finale de l’évangile de Marc, au ch. 16, en reprenant l’image des serpents et en disant que ceux qui sont ses envoyés pourront prendre dans leurs mains des serpents, ce sera un signe ; ça veut dire qu’ils pourront prendre à bras le corps cette question du mal et être les mains de Dieu qui combat le mal, les mains de Dieu qui vont prendre soin des uns et des autres ! Pas avec leurs seules forces à eux, mais avec la force même de Dieu qu’ils auront prié et à qui ils demanderont l’Esprit Saint, sa force de vie et d’amour, sa force qui est promise à qui la lui demande. C’est ce que nous entendons chaque année dans la 1ère lecture de la fête de l’Ascension et c’est ce que nous fêtons à la Pentecôte.
Pour conclure, je voudrais juste citer Etty Hillesum, cette jeune femme juive qui est morte en camp de concentration après avoir passé de longs mois en transit, dans un camp en Hollande, à Westerbork ; dans ce camp, elle y a tenu un journal et elle écrit des lettres ; le tout a été publié il y a quelques années sous le titre Une vie bouleversée. Au cœur de cette période ô combien difficile et terrible, au cœur de ce peuple juif qui s’est posé la même question que nous ce soir, cette jeune femme juive a découvert Dieu. Et un matin, le 12 juillet 1942, dans ce qu’elle appelle une prière, elle écrit ces mots avec lesquels j’aimerais terminer cette intervention.
Pour ceux qui veulent bien, je vous invite à fermer les yeux pour l’entendre, que ce soit aussi prière pour nous, pourquoi pas. Si vous trouvez que c’est un peu long, ne vous inquiétez pas, tout à l’heure on vous donnera une copie de ce texte pour que vous puissiez le relire tranquillement.
Etty Hillesum écrit donc – nous sommes le 12 juillet 1942 dans un camp de transit en Hollande – :
« Ce sont des temps d’effroi, mon Dieu. Cette nuit, pour la première fois, je suis restée éveillée dans le noir, les yeux brûlants, des images de souffrance humaine défilant sans arrêt devant moi. Je vais te promettre une chose, mon Dieu, oh, une broutille : je me garderai de suspendre au jour présent, comme autant de poids, les angoisses que m’inspire l’avenir ; mais cela demande un certain entrainement. Pour l’instant, à chaque jour suffit sa peine. Je vais t’aider, mon Dieu, à ne pas t’éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d’avance. Une chose cependant m’apparaît de plus en plus claire : ce n’est pas toi qui peut nous aider, mais nous qui pouvons t’aider – et ce faisant nous nous aidons nous-mêmes. C’est tout ce qu’il nous est possible de sauver en cette époque et c’est aussi la seule chose qui compte : un peu de toi en nous, mon Dieu. Peut-être pourrons-nous contribuer à te mettre au jour dans les cœurs martyrisés des autres. Oui, mon Dieu, tu sembles assez peu capable de modifier une situation finalement assez indissociable de cette vie. Je ne t’en demande pas compte, c’est à toi au contraire de nous apprendre à rendre des comptes, un jour. Il m’apparaît de plus en plus clairement à chaque pulsation de mon cœur que tu ne peux pas nous aider, mais que c’est à nous de t’aider et de défendre jusqu’au bout la demeure qui t’abrite en nous. Il y a des gens – le croirait-on ? – qui au dernier moment tâchent à mettre en lieu sûr des aspirateurs, des fourchettes et des cuillers en argent, au lieu de te protéger toi, mon Dieu. Et il y a des gens qui cherchent à protéger leur propre corps, qui pourtant n’est plus que le réceptacle de milles angoisses et de milles haines. Ils disent : « Moi, je ne tomberai pas sous leurs griffes ! » Ils oublient qu’on n’est jamais sous les griffes de personne tant qu’on est dans tes bras. Cette conversation avec toi, mon Dieu, commence à me redonner un peu de calme. J’en aurai beaucoup d’autres avec toi dans un avenir proche, t’empêchant ainsi de me fuir. Tu connaîtras sans doute aussi des moments de disette en moi, mon Dieu, où ma confiance ne te nourrira plus aussi richement, mais crois-moi, je continuerai à œuvrer pour toi, je te resterai fidèle et ne te chasserai pas de mon enclos »…[1]
[1] Etty Hillesum, Une vie bouleversée, Points n°59, 1995 (Seuil 1985), p. 175-176.