15 Décembre 2018
Ce livre de Christine Pedotti (dont le titre est une affirmation) a provoqué en moi un étonnement en même temps qu'une sorte de ravissement et qu'un agacement. Evidemment diront certaines, je suis un homme, qui plus est prêtre, ça doit jouer.
Un étonnement et un ravissement car c'est intéressant et Christine Pedotti a l'art de nous plonger dans les textes, de les raconter, de nous aider à changer notre regard et notre lecture où, de fait, on a pris l'habitude d'éclipser plus ou moins consciemment la place des femmes, pourtant bien réelle. Entendre et relire ainsi ces textes est bon, et plus que cela c'est intéressant, et vraiment je recommanderais.
Mais en même temps, étonnement et agacement. Car un certain nombre d'affirmations ou de conclusions au fil des étapes me semblent peu argumentées ou plutôt empreintes de présupposés féministes plus ou moins inconscients et souvent implicites. Est-ce qu'on ne fait pas ainsi comme ce qu'on reproche aux hommes dans leur lecture qui serait patriarcale et machiste ?
Les conclusions du livre sont notamment dérangeantes ; ok je suis homme et prêtre, donc forcément on pourrait me le reprocher. Je suis d'accord sur certains points que souligne Christine Pedotti : oui la liturgie camoufle certains textes d'importance capitale, des rencontres de Jésus avec des femmes, comme avec Marie-Madeleine au tombeau, elle les camoufle en les reléguant aux messes de semaine, ok ; oui je suis d'accord que les disciples ne sont pas que des hommes, on voit bien que des femmes en étaient et on le dit ou on le disait sans doute trop peu. Oui. Mais j'ai peur qu'on ne se pose pas tout à fait les bonnes questions ou plutôt qu'on plaque les nôtres d’aujourd’hui quand on affirme que Jésus ne faisait pas de distinction de genre entre hommes et femmes (p.173), qu'il ne les a pas définies en places et rôles de mères (est-ce si sûr ?) et d'épouses, peut-être juste parce qu'à son époque on ne se pose pas ces questions d'égalitarisme de rôles entre hommes et femmes, qu'à son époque les femmes sont mères et épouses. Et que la nouveauté, oui, c'est leur place de disciples parmi les hommes, mais peut-être pas plus. Et c'est déjà énorme pour l’époque !
Oui il y a égale dignité entre tous pour Jésus, oui il ne privilégie pas les hommes sur les femmes hormis la place quand même singulière du groupe des apôtres, oui il est ami de femmes et elles ont toute leur place à ses côtés et à sa suite. Mais de là à dire que l'égale dignité c'est le droit aux mêmes rôles et aux mêmes fonctions, c'est l'égalité sans la différenciation sexuée, n'est-ce pas plaquer sur l'époque de Jésus nos questionnements contemporains sur le genre ? Là je ne suis pas très à l'aise car on n'est pas loin de l'idéologie, ce qu'on reproche à ceux qui sont en face, qui sont des hommes et en plus de l'institution ecclésiale. Sans parler que toutes les femmes et toutes les théologiennes ne seraient pas d'accord avec cette lecture.
Autre point d'agacement, le titre : en le voyant j'ai été hérissé et même rebuté, je ne le cache pas, sans aucune envie d’ouvrir ces pages ; là aussi, sans doute, car je suis un homme (qui plus est prêtre, ajouteraient certaines) ? Je reconnais là le côté volontiers provocateur de Christine Pedotti. D'ailleurs elle s'en explique dès l'introduction et dans les dernières lignes de conclusion... En tout cas merci à l'amie qui me demanda si j'avais vu la sortie de ce livre et si je comptais le lire, m’y invitant...
Oui, merci malgré tout. Car il n'empêche... J'ai été dans l'étonnement-ravissement car c'est bon de se replonger avec un regard autre dans ces textes. Après, le champ reste ouvert pour travailler (ensemble ce serait bien, hommes et femmes), et faire vraiment place à chacun, dans le discernement des charismes propres aux uns et aux autres, aux uns et aux unes.
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Christine Pedotti, Jésus, l'homme qui préférait les femmes, Albin Michel, octobre 2018, 187 pages, 17€50.
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La thèse du livre : non seulement Jésus aimait les femmes et même les préféraient, mais les lectures (masculines) des siècles ont gommé cela, éclipsant volontiers, voire volontairement, certaines figures capitales. De plus, Jésus n'aurait pas cantonné les uns ou les unes à certains rôles par rapport à d'autres, en raison de ce que nous appellerions leur genre. On compte des femmes disciples au même titre que les hommes et là où ces derniers l'agacent si souvent, rien de tel envers les femmes.
Jésus regarde les femmes (ch. 4), les admire (ch. 5), parle avec elles (ch. 6), les libère (ch. 7), il les touche et se laisse toucher (ch. 8), et il en fait les premières témoins de la résurrection (ch. 9). Tout cela est précédé sur la question du célibat de Jésus (ch. 3) et de quelques pages sur la figure de Marie (ch. 2). Et le tout se voit complété d'une annexe sur la question des femmes et du ministères de prêtres dans l'Eglise catholique.