26 Mars 2019
Le 29 août 2018, bien avant l'actualité ecclésiale et les révélations en cascade de ces dernières semaines, toutes plus horribles les unes que les autres, mais déjà en réponse à La Lettre au peuple de Dieu que le pape François nous adressait quelques jours avant, Mgr Luc Ravel, archevêque de Strasbourg, publiait une lettre pastorale intitulée Mieux vaut tard. Il s'agissait pour lui d'écrire à ses diocésains quant à la crise des abus sexuels dans l'Eglise. Déjà...
En pleine actualité mortifère et douloureuse, il sort ce livre qui est une sorte de grand développement de ce texte de fin août, en reprenant pour une bonne part l'introduction, la structure, les idées principales. Mais en développant dans un livre que je trouve courageux, des pages qui sont à la fois une analyse de la situation, une dénonciation de l'impensable des silences complices de l'Eglise mais aussi et surtout une très belle et profonde médiation spirituelle et biblique qui fait de ce livre un appel fort pour chacun de nous.
L'auteur nous invite à plusieurs conversions : prendre conscience tout d'abord (Ière Partie, chapitre 2 notamment) que ce n'est pas l'affaire de quelques abuseurs coupables mais bien de nous tous, de toute l'Eglise, car lorsqu'un membre souffre dit Saint Paul tout le corps souffre, et quand un membre est gravement coupable, pourrait-on ajouter, tout le Corps participe de ce péché. Nous ne pouvons pas nous dédouaner de la responsabilité de toute l'Eglise et de l'appel qui là lui est adressé, malheureusement salutaire... Il ne s'agit pas, disant cela, de disculper les bourreaux, ou de noyer le poisson, non, car cette conversion nous engage tous à la vérité ainsi qu'à la justice et à sortir des mutismes et silences qui tuent.
Deuxième conversion (IIe Partie, chapitre 3), penser aux victimes d'abord et avant tout, plutôt que de vouloir accompagner discrètement des confrères qui certes sont des frères, mais pas plus que celles et ceux dont ils ont abusés.
Troisièmement (IIe Partie toujours), repenser, réajuster, la relation entre les prêtres et les fidèles, pour ce que le pape François appelle une sortie du cléricalisme, celui dans lequel se mettent les ou certains ministres comme dans lequel les fidèles les retranchent et les enferment parfois aussi.
Quatrième conversion, qui est liée à la deuxième (et qui fait l(objet des chapitres de la IIIe Partie), penser non pas d'abord en terme de miséricorde pour ces malades-coupables-abuseurs, mais bien d'abord en terme de justice et donc de mise en mots dans la vérité. La justice dans sa triple dimension morale, légale et quant à ce qu'on appelle le scandale. Alors la miséricorde pourra s'envisager sainement, pour les uns comme pour les autres. Jusqu'à pouvoir envisager un jour et avancer sur des chemins – qui seront longs – de pardon ?
Dans une partie conclusive (IV), notre auteur interpelle l'Eglise quant à ce qu'elle peut faire maintenant et quant à ce qu'elle est, sa mission (de veilleur du passé, du présent et de l'avenir, et de semeur d'espérance, malgré tout, grâce au travail de vérité qu'elle aura fait). Notons tout particulièrement les appels de la page 196 que je vous invite à aller lire tout spécialement (lutte contre toute forme de cléricalisme, développement de lieux et d'une culture d'accompagnement, d'écoute et d'attention réelle et concrète aux plus faibles, mise en place dans les diocèses d'un code de bonne conduite, qui permette de grandir ou de reconquérir confiance et bienveillance les uns envers les autres, etc.).
Le livre est empreint de mises en résonances bibliques qui en font une méditation que je crois d'importance dans ces temps que nous vivons. Le titre Comme un coeur qui écoute vient d'ailleurs d'une citation du jeune Salomon dans le 1er livre des Rois (chapitre 3 verset 9) et est en lui-même un appel qui résume et synthétise finalement tous ceux de ce livre.
Je le redis, je trouve cette prise de parole courageuse mais tellement nécessaire. Je recommande donc, pour celles et ceux qui auraient le temps de s'y plonger. Certains regretteront qu'il ne soit pas question dans ces pages de mettre en accusation le célibat des prêtres ou la question des ministères et de la place des femmes (ce qui ne veut pas dire qu'il ne faudrait pas s'interroger ou qu'on n'en ait pas le droit). C'est aussi la force du propos, que de ne pas entrer dans ces combats aujourd'hui un peu trop vite ou parfois biaisés et piégeux – c'est du moins mon avis (et ce n'est en tout cas le propos de ce livre) –, mais de nous faire prendre une forme de hauteur, tout en insérant courageusement cette réflexion dans le douloureux contexte ecclésial et les appels qu'il nous adresse en Eglise et auxquels nous ne pouvons plus être sourds. Des appels qui pourraient s'avérer prophétiques pour toute la société si tous nous entrons dans le combat de la vérité.
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Mgr Luc Ravel, Comme un coeur qui écoute, Artège, mars 2019, 226 pages, 9€90.