27 Mai 2019
Je termine ces jours la lecture d'une étude à trois voix fort intéressante et stimulante à la réflexion dont le titre est le même que celui de ce post' mais à l'affirmative, avec un sous-titre correspondant grosso modo aux trois voix d'écriture qui sont trois parties ou chapitres : hier (la question de l'histoire d'un diaconat féminin et des preuves de celui-ci), aujourd'hui (ce qui serait de l'ordre des possibilités actuelles) et demain (les perspectives d'avenir). Trois voix, trois chapitres, trois études complémentaires pour n'en former qu'une.
Ce livre vaut le détour pour plusieurs raisons qui sont plusieurs enjeux :
1. la crise des abus que nous traversons vient soulever celle du cléricalisme et, avec cette question, celle du rapport clercs-laïcs mais aussi hommes-femmes dans la conduite et la gouvernance de l'Eglise. La question du diaconat féminin se situe à ces jointures là, en partie du moins.
2. De plus, la question de la place des femmes dans l'Eglise et notamment dans ce qu'on appelle sa structure hiérarchique est une question assez récurrente depuis le concile Vatican II, en tout cas en Occident et tout particulièrement dans certains pays d'Europe et aux Etats-Unis, dans un monde où l'on découvre que la complémentarité des vocations et des charismes ne peut se faire par une forme de soumission des femmes aux hommes qui a tellement marqué nos cultures occidentale et judéo-chrétienne.
3. C'est d'ailleurs une question qui est aussi oecuménique, en Occident, avec les Eglises et communautés ecclésiales issues de la Réforme et avec l'anglicanisme, mais aussi avec les Eglises orientales et orthodoxes où il y a depuis peu et dans certaines d'entre elles une restauration d'un ministère diaconal féminin.
Le pape François avait mandaté la Commission Théologique Internationale à se repencher sur l'histoire d'un diaconat féminin : à quelles conditions celui-ci a-t-il existé, pour quelles fonctions et quelles articulations avec les autres ministères ? Et ce diaconat féminin était-il ou non un ministère ordonné ? La CTI a rendu son rapport et il semblerait que ses membres n'aient pas réussi à se mettre d'accord. Et pourtant, à la lecture de ce livre et notamment de la première partie il paraît assez difficile de contester certes l'existence historique d'un tel ministère mais également son caractère de ministère ordonné même si, il est vrai, la théologie sacramentelle de l'ordre s'est développée et affermie au même moment que la disparition du diaconat féminin. Mais il n'empêche il y avait bien un ministère de femmes assurant un service de type diaconal (pour reprendre nos catégories actuelles).
La deuxième partie de cette triple étude tend à démontrer les possibilités actuelles d'un tel ministère. Que des modifications du Code de droit canon par Benoît XVI pourraient rendre possible. Car s'il y a un seul sacrement de l'Ordre en trois degrés, comme dit le concile Vatican II, il y a bien deux modes de participation : ce qui relève du sacerdoce ministériel que sont l'épiscopat et le presbytéral, et ce qui relève du ministère diaconal. Si des femmes ne peuvent être prêtres ou évêques, en ecclésiologie catholique, car ne pouvant être configurées au Christ Tête et Pasteur, du fait que les évêques (dont les prêtres sont les collaborateurs, comme un prolongement de leur ministère) sont successeurs des apôtres et que le Christ n'a pour cela choisi que des hommes, il pourrait très bien s'envisager que des femmes soient diacres comme certains passages du NT laissent entendre que ce fut le cas dès les premières communautés chrétiennes, pour tel ou tel service-fonction-ministère dans la communauté.
La lecture de la troisième partie de ce livre, par Phyllis Zagano, membre de la CTI et donc co-rédactrice du rapport remis au pape François, traite de ce que produirait un ministère diaconal féminin, ce que cela apporterait à l'Eglise. Ces pages m'ont pas mal interrogé avec notamment une question quant à une pluralité de ministères, pas seulement ordonnés, qu'il nous faudrait peut-être envisager largement aujourd'hui. Je m'explique. A plusieurs reprises, à la lecture de ces pages, je me disais : faut-il créer un ministère pour les femmes à une époque où on appelle à décléricaliser l'Eglise ? N'est-ce pas une forme de cléricalisation (dans le sens de lier pouvoir et ministres ordonnés) ? Ou alors cela permettrait-il au contraire d'avancer sur ce chantier par une diversité de charismes due aux différences hommes-femmes et à leurs complémentarités dont on parle si souvent en Eglise ? Mais veut-on alors avancer vers des ministères ordonnés, qui engagent toute la vie et donc un état de vie, ou faut-il plutôt réfléchir (et de façon plus large qu'aux seules femmes) à des ministères institués pour un temps donné car liés à des fonctions précises à assumer pour une durée déterminée ? Ne faudrait-il pas d'ailleurs tenir les deux (ministère ordonné féminin et ministères institués pour un temps) ? Il y a un enjeu de complémentarité hommes-femmes au service de la mission et de visibilité y compris liturgique de cette complémentarité . Car, avouons-le, même si elle n'est pas parfaite et si elle semble encore insuffisante elle se vit déjà, par endroits en tout cas... mais on ne le donne pas à voir liturgiquement, qu’est-ce que cela dit et montre de l’Eglise ? Il nous faut quoi qu'il en soit interroger les liens entre gouvernance et ministères. Mais sans oublier de réfléchir à tout cela dans le champ plus vaste de la question de la nature sacramentelle de l'Eglise.
Si j'ai trouvé tout cela passionnant et si je me disais à la lecture des deux premiers chapitres de cette étude qu'il me paraît évident qu'il faudrait vraiment creuser cette piste d'un diaconat féminin, j'étais au final un peu gêné dans la troisième partie car le vocabulaire qui vient souvent est celui de permettre aux femmes 1/ d'accéder à un ministère et 2/ de laisser le choix car certaines qui vivent de réelles missions de type diaconal préfèreraient rester à l'état laïc. Je trouve cette argumentation (ici un peu vite résumée) très volontariste, décisionnelle, du côté de la personne, et peu en terme de vocation ecclésiale, d'appel de l'Eglise. Une réflexion sans doute marquée par le féminisme ecclésial américain que je sens être celui de son auteure. Je ne dis pas que tout cela ne doit pas être réfléchi en vue d'avancer concrètement et ecclésiologiquement, mais j'ai peur qu'on fasse de ces sujets un droit (un droit des femmes, prequ'un dû au nom des évolutions de la société) au lieu d'envisager les choses comme un appel et un don pour l'Eglise et le monde (même si cela apparaît un peu quand même, ci et là au fil des pages).
Sur ce vocabulaire de l'accession, je pensais à un article lu très récemment dans la revue belge Vies consacrées partant de l'image d'un plafond de verre entre hommes-clercs et laïcs dont les femmes et essayant de montrer qu'il faut briser ce plafond mais n'ont pas du bas vers le haut, pour faire monter les femmes sur une sorte de piédestal qui surplombe le peuple de Dieu mais bien de haut en bas, pour faire descendre les ministères dans le peuple, non pour gommer les spécificités mais pour les envisager dans une fraternité première. Tout cela est trop vite dit, il faut aller lire cet article, mais il me semble qu'il y a là un noeud crucial, un point capital, pour toute réflexion sur les ministères comme sur la place des femmes dans l'Eglise et les responsabilités, comme sur des ministères institués ou ordonnés de type diaconat féminin...
Pour l'heure, je le redis, ce livre est intéressant et fort stimulant, il vient refonder le sens et l'importance actuelle du diaconat (en général) et il permet de relire l'histoire et de comprendre ce que fut un diaconat féminin dont les auteurs prouvent non seulement l'existence dans les premiers siècles de la vie de l'Eglise mais aussi en montrent l'intérêt pour ces temps qui sont les nôtres.
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Gary Macy, William T. Ditewig et Phyllis Zagano, Des femmes diacres. Hier, aujourd'hui, demain, Novalis et les éditions du Cerf, février 2019, 175 pages (petit format).