Homélie 25 ans de profession solennelle (vie consacrée)

Samedi 1er juin 2019

Carmel St Joseph (Bruxelles)

1R 19,9a.11-16 / Ps 26 / Jn 16,16-20

Cette page d’évangile m’a fait sourire, vous l’aurez peut-être senti ; elle a quelque chose de spontanément un peu étonnant. Avec cette double tension dans ce que dit Jésus :

  • (1) « encore un peu de temps, et vous ne me verrez plus ; et encore un peu de temps, et vous me reverrez » – visiblement c’est important, puisqu’on nous le donne à entendre à trois reprises !
  • et puis (2) « vous serez dans la peine » et la lamentation – drôle de bonne nouvelle en ce jour d’action de grâce ! – « mais votre peine se changera en joie »… Ouf !

Le contexte de ces mots c’est l’annonce que Jésus fait à ses disciples de son départ. Nous sommes dans son grand discours final, entre le dernier repas du jeudi saint et son arrestation le même soir.

Et pour nous qui entendons ces paroles, elles prennent aussi une résonnance particulière puisque nous sommes entre l’Ascension et la Pentecôte : Jésus retourne au Père, il peut, maintenant que ses disciples ont cru en sa résurrection, en sa présence, maintenant qu’ils ont fait l’expérience qu’il est vivant, qu’il est là, alors même que pourtant ils l’ont vu mourir. Et désormais il sera présent autrement, il sera présent par l’Esprit Saint qu’il promet à l’Ascension et qui va se manifester à la Pentecôte, et par l’Eglise qui va vivre de cette force de vie et d’amour de Dieu et qui va ainsi apprendre à devenir comme une présence de Dieu pour ce monde.

Les disciples vont être dans la peine à cause de ce départ annoncé et à cause de la mort de Jésus. Comme nous qui connaissons nous aussi quelque chose de cette expérience qui peut être douloureuse, que ce soit lors d’un décès d’un proche ou d’une sœur de communauté, l’expérience de la tristesse de la séparation, ou même que ce soit pour une part lors d’une entrée au couvent qui n’est jamais facile dans une famille parce que ça vient bousculer nos liens et nos liens à venir comme ça vient interroger notre foi ou notre non-foi en Dieu.

Jésus sait très bien que certains veulent le conduire à la mort, qu’ils veulent le faire taire car son message de vie et d’amour dérange jusqu’au pouvoir politique et au pouvoir religieux bien établi. Voilà pourquoi il dit que certains vont se réjouir de cette mort qui vient. Mais comme les disciples, nous sommes cependant invités à entrer dans une joie qu’il nous promet pourtant. Car désormais il sera présent autrement.

C’est vrai que nous ne le voyons pas, mais nous croyons, nous osons croire, que nous le verrons un jour de nos propres yeux, c’est notre espérance, c’est ce mystère que veut signifier toute vie consacrée, votre choix de vie mes sœurs, dans l’attente de l’Epoux, une attente qui est en même temps une mise en présence intérieure car nous croyons qu’il est là autrement, il est Celui que notre cœur pressent comme présent, présent malgré tout, présent malgré son absence apparente.

Et c’est cette espérance, cette confiance, cet acte de foi, qui nous tient comme des veilleurs – des sentinelles de l’invisible, comme disait Jean-Paul II –, tels Elie sur la montagne, comme on l’a entendu dans la 1ère lecture.

Et c’est cette espérance, cette confiance, cet acte de foi, qui peut nous permettre de nous écrier à la suite du psalmiste : Tu es, Seigneur, ma lumière et mon salut, celui qui m’aide à comprendre et accueillir ce que la vie me fait traverser, celui qui me libère de la peur du mal et de la mort. Tu es, Seigneur, ma lumière et mon salut, de qui, de quoi, aurais-je crainte ? Tu es, Seigneur, le rempart de ma vie, devant qui, devant quoi, tremblerais-je ?

Non pas, nous le savons bien et nous le vivons comme tout le monde, qu’il n’y ait plus ni peur, ni tristesse, ni doutes ou colère, ni épreuves, ni souffrance… Mais apprenant à veiller dans le silence Celui que notre cœur aime, et apprenant à demander l’Esprit Saint et à nous laisser façonner par lui, nous apprenons jour après jour et année après année à vivre dans cette confiance que Dieu est bien là, présent à toute vie, qu’il nous aime, qu’il marche avec nous. Et ainsi, nous laissant sauver et nous laissant éclairer et vivifier du mystère d’une présence, nous voulons et nous apprenons à en être témoins autour de nous, à notre petite mesure…

Et c’est, je crois, toute la richesse, en tout cas le charisme de ce qui se vit au Carmel St Joseph – de ce que j’en comprends –, dans une vie bien enracinée sur ces deux pieds que sont, d’une part, la vie de prière et d’oraison, une vie de don de soi au Christ, et d’autre part, une vie bien ancrée dans le monde, auprès des plus pauvres et de ceux qui souffrent, au nom même de Jésus et de l’Evangile.

Dans la prière, comme Elie, il s’agit de nous ressourcer dans le silence et dans l’attente à la présence aimante. Et bien souvent, comme Elie, ce n’est pas dans des choses extraordinaires ou qui en mettent plein la vue que Dieu va passer ou se donner à pressentir, mais c’est bien dans quelque chose de ténu et d’imperceptible. Mais là, comme nous l’avons chanté avec le Psaume, nous apprenons à chercher la face de Dieu, nous apprenons à nous tenir en sa présence, dans la confiance qu’il passe et qu’en nous il va souffler des appels de vie.

Ce don de soi à Dieu et au Christ, ce don de soi à son Esprit de vie et d’amour, comme le don de nous-mêmes aux autres, dans l’écoute des appels du monde autour de nous et dans une présence aux pauvres ou à ceux qui souffrent, c’est le mystère que nous célébrons à chaque eucharistie, ce matin encore. Non seulement faire mémoire du Christ qui n’est plus visible à nos yeux mais qui promet sa présence, autrement, mais aussi devenir ce que nous allons recevoir, le Corps du Christ, présence concrète de Dieu pour ce monde, ses mains pour prendre soin, sa voix pour oser des paroles d’espérance, ses pieds pour aller à la rencontre. Et du coup en vivre, chaque jour, jour après jour. Comme Elie, entendre l’appel à ne pas rester dans le silence de la montagne, mais à repartir, repartir à la rencontre, redescendre au milieu de la pâte humaine, de ses joies comme de ses désespérances.

Alors ce matin nous sommes invités à rendre grâce. Rendre grâce pour tout cela, rendre grâce pour toute vie donnée même si elle reste de l’ordre d’un mystère de foi, rendre grâce avec vous Marie-Hélène, vous ses sœurs et vous sa famille, pour Dieu qui veut passer dans nos vies, imperceptiblement, et pour celles et ceux qui apprennent à en vivre et ainsi à en être un peu témoins pour d’autres.

Nous sommes invités à entrer dans cette joie dont parle Jésus dans notre évangile et à nous laisser façonner par son Esprit Saint qui passe en nous comme une brise imperceptible.

Pour la plupart d’entre nous, je ne sais pas ce que nous vivons ou ce que la vie nous donne de traverser, mais je propose que nous prenions quelques instants de silence pour laisser monter en nous ce que toutes ces paroles réveillent et viennent peut-être bousculer ou refonder. Et tout simplement nous offrons au Seigneur ce qui est là, ce qui nous vient ; nous lui demandons de passer de la peine, s’il y en a à la joie, et nous lui demander qu’il nous donne de goûter à la confiance qu’il est là et qu’il veut nous rejoindre chacun. Amen.

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