16 Août 2020
20ème du Temps Ordinaire - Année A
Is 56,1.6-7 / Ps 66 / Rm 11,13-15.29-32 / Mt 15,21-28
J’espère que ça vous étonne cette page d’évangile ! Parce qu’il y a quelque chose d’un peu heurtant dans l’attitude de Jésus et ce dialogue avec cette femme ! On n’arrête pas de dire que Jésus est venu révéler un Dieu qui veut sauver tous les hommes, que Jésus nous appelle à ne pas nous juger et à pardonner, qu’il est le Fils de Dieu et que Dieu aime tout le monde, sauf que là ça n’a pas l’air si évident et on dirait même que c’est l’inverse !
J’espère que ça vous étonne, j’espère que vous n’écoutez pas ça la bouche en cœur sans vous poser deux trois questions ! Et moi je vous avouerai que cette histoire m’a toujours spontanément un peu énervé et surtout travaillé et questionné. D’autant plus avec ce qu’on a entendu dans la 1ère lecture tirée du livre du prophète Isaïe !
Qu’est-ce qu’il nous a dit, le prophète ? Il parle de salut et il annonce que c’est pour tous les peuples. Donc pas qu’Israël – ouf pour nous ! – et donc pour cette femme cananéenne aussi ! On dirait que Jésus connaît mal sa Bible ! C’est quoi cette histoire ?!
Le projet de Dieu, de ce que nous en dit Isaïe, c’est donc le salut pour tous. Mais encore faut-il vouloir en être, encore faut-il l’accueillir. C’est ce qu’on a entendu quand Isaïe parle des « étrangers qui se sont attachés au Seigneur pour l’honorer, pour aimer son nom, pour devenir ses serviteurs, tous ceux, dit-il encore, qui (…) tiennent ferme son alliance ».
Avec mes mots à moi je dirais : celles et ceux qui veulent bien croire en Dieu, apprendre à l’aimer, le prier, vivre les appels de l’Évangile, etc. Alors oui, quels qu’ils soient et quelle que soit leur histoire, le salut leur est promis, le salut est pour eux aussi ! C’est ce que nous rappelle et nous annonce le prophète Isaïe.
Et ce salut c’est quoi, ce sera la joie parfaite, c’est la vie plus forte que tout mal et que la mort, c’est la paix du cœur qui vient calmer et apaiser toute peur, ce sera la communion réelle entre nous, etc.
La question qui me vient, là maintenant, c’est de quoi est-ce que nous avons besoin d’être sauvé, les uns les autres ? Pour le dire autrement : qu’est-ce qui nous fait crier vers Dieu ?
Cette femme, dans l’évangile de ce jour, c’est pour sa fille qu’elle crie et qu’elle implore Jésus, sa fille malade, sa fille qui « est tourmentée par un démon ». Elle crie vers Jésus, au point que visiblement ça agace les disciples, ça leur casse les oreilles !
Mais l’attitude de Jésus a de quoi nous étonner : il se tait… Silence radio… Nada… Comme pour nous souvent… Comme nous qui avons parfois l’impression que notre prière vers Dieu ne change rien ou pas grand-chose, que ça tombe dans le vide... Rien… Et elle crie, cette femme, elle insiste, elle est tenace.
Et c’est là que Jésus se met à parler, d’abord en réponse aux disciples, toujours pas avec elle : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdus d’Israël » … Ok, merci pour les autres ! Et pour couronner le tout, la phrase d’entre les phrases, celle que j’ai longtemps trouver inaudible et franchement pas respectueuse de cette pauvre femme : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens » ! Rien que ça !
Vous imaginez la scène ? Elle vient de crier vers Jésus ce qui est sans doute la plus belle des prières : « Seigneur, viens à mon secours ! » et lui, Jésus, il lui répond avec cette comparaison des chiens ?! C’est quoi cette façon de parler aux gens ? Et ça veut dire quoi de cette universalité du salut qu’annonçait Isaïe, cette promesse de salut pour tous les peuples ?
Si vous me permettez un petit rappel biblique : Israël, sa mission, c’est d’être témoin de l’existence et de la présence de Dieu, en être témoin au milieu des nations. Justement pour que les nations s’ouvrent à ses promesses de salut. Et Jésus vient pour cela. Mais dans l’évangile de Matthieu c’est d’abord pour Israël, il vient non pas abolir mais accomplir, il vient révéler pleinement, pour pouvoir ouvrir et étendre ses promesses de vie à tous. Et ce sera la finale de l’évangile de Matthieu, au chapitre 28, quand Jésus va envoyer les apôtres en mission en leur disant : « Allez ! de toutes les nations faites des disciples en les baptisant et en leur apprenant à garder mes commandements. Et moi je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps » …
Dans l’évangile de Matthieu c’est donc comme s’il y avait deux étapes. D’abord qu’Israël retrouve confiance en Dieu et prenne conscience que le Messie est là, et ensuite que ça lui permette de réentendre cet appel de toujours à ce que le salut soit bien pour tous, pour tous les peuples, pour toutes les nations.
Et du coup il y a quelque chose de touchant avec cette femme tenace et insistante. Elle permet à Jésus de devenir lui-même, elle lui permet d’advenir au mystère de qui il est comme Fils de Dieu, elle lui permet d’entrer dans la profondeur et la vérité pleine et entière de son identité et de sa mission, qui est d’ouvrir l’Alliance et les promesses de salut pour tous ! Pour tous ceux qui voudront bien se laisser approcher, conduire et sauver par le Seigneur.
Jésus se laisse déplacer par l’insistance de cette femme. Et c’est une sacrée bonne nouvelle pour nous quand nous crions vers Dieu, y compris quand nous avons l’impression que ça tombe dans le vide voire qu’il s’en fout. Non ! Quoi qu’il arrive, malgré les apparences immédiates, Dieu n’est pas insensible à nos cris. Et même s’il y a autour de nous des soit-disant bien-pensants qui sont en fait des prophètes de malheur qui peuvent nous dire que ça ne sert à rien, que Dieu ne peut rien pour nous. Non !
D’ailleurs St Paul nous l’a rappelé dans la 2ème lecture : Dieu fait miséricorde. Et la miséricorde c’est son amour qu’il nous appelle à vivre, puisque Jésus a dit à ses disciples : « Soyez miséricordieux comme le Père est miséricordieux ». C’est son amour qui console, qui pardonne et qui donne l’espérance – comme dit le pape François. C’est son amour qui veut prendre soin des blessés que nous sommes, son amour qui veut apaiser toute peur.
C’est cet amour-là que Dieu met en œuvre de façon diverse. Par exemple dans la douceur apaisante d’une Présence qu’il nous arrive de pressentir dans la prière… Par exemple aussi par telle rencontre ou tel évènement qui nous donne de reprendre confiance et de croire en la Vie, et d’oser nous remettre en route… Par exemple encore par sa force de Vie qu’est l’Esprit Saint que Jésus promet à qui le lui demandera et que ce soir encore nous allons invoquer sur le pain et le vin de l’eucharistie pour qu’ils deviennent signe et présence de Jésus qui veut vivre et porter avec nous ce que nous avons à traverser, Jésus qui se fait nourriture pour devenir la force dont nous avons besoin pour vivre concrètement ses appels d’évangile et faire advenir son salut, pour tous.
Alors je ne sais comment vous recevez tout cela, ce soir, je ne sais comment vous recevez cette Parole de Dieu qui nous est livrée. Mais peut-être on peut se demander chacun, maintenant : quels sont nos cris ? Mais aussi quelle est notre ténacité à les déposer auprès du Seigneur ? Quelle est notre confiance en lui, quelle est notre foi ?
Et demandons-lui qu’il nous soit donné d’entendre et de voir qu’il répond. Comment et quand, je ne sais pas, on verra, mais que nous ayons foi que, oui, il entend et qu’il est présent à ce que nous vivons…
Quels sont nos cris ? Quelle est notre ténacité à les déposer auprès du Seigneur ? Quelle est notre confiance en lui, quelle est notre foi ?
Nous déposons tout cela dans cette eucharistie, ce soir, avec le pain et le vin que nous allons offrir dans quelques instants. Et nous le déposons déjà dans le silence de la prière, maintenant.