18 Août 2024
20ème dimanche du Temps Ordinaire - Année B
Pv 9,1-6 / Ps 33 / Ep 5,15-20 / Jn 6,51-58
Il y a ce jour une sorte de paradoxe à accueillir dans ce que ces textes nous donnent à entendre.
Avec cette page d’évangile nous continuons notre lecture du chapitre 6 de St Jean, ce grand discours du Pain de vie. Et nous venons d’entendre que des Juifs qui sont là se mettent à se quereller à cause de ce que Jésus vient de nous dire.
Et que leur a-t-il dit ? Un truc complètement fou et incroyable, impossible à croire à vue humaine : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. (…) Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle. »
Voilà ce que Jésus nous donne à entendre , nous aussi. Et parmi les Juifs qui sont là, certains ne comprennent pas, et même ne peuvent recevoir de telles paroles. Et ça se querelle – ce qui veut dire, au passage, que certains y ont cru, si ça se dispute dans leurs rangs. Ils se querellent et la question qu’ils posent c’est celle qui devrait nous habiter si nous écoutons vraiment ces paroles et si nous acceptons de les entendre vraiment sans nous dire un peu vite qu’on sait déjà tout ça !
« Les juifs se querellaient entre eux : Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? »
Et de fait ! C’est quoi cette histoire ?! Qui est-il cet homme, ce Jésus de Nazareth, pour oser de telles paroles ? Et concrètement ça veut dire quoi, et donc ça veut dire quoi pour nous ? Qu’est-ce que nous comprenons chacun de ces mots, pour de vrai ?
« Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour vie du monde. (…) Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle. »
« Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? »
Et le paradoxe, c’est que dans la 1ère lecture, on nous a dit de prendre « le chemin de l’intelligence », pas celui d’une espèce de folie à croire n’importe quoi. L’auteur du Livre des Proverbes nous a même invité à quitter « l’étourderie », et j’entends là comme un appel à écouter vraiment, pas d’une oreille distraite, et à essayer de comprendre, de comprendre vraiment. Or ce que Jésus nous donne à entendre ça n’est pas rationnel, c’est même complètement fou, c’est incroyable – à vue humaine. Et pourtant – et c’est là le paradoxe –, il y a un acte de foi à poser : Oui, Seigneur, Tu es bien le Pain de la vie. Oui, Tu es bien cette nourriture que Dieu nous donne pour que nous ayons la vie, la vie éternelle. Oui, Seigneur, il nous faut manger Ta chair et boire Ton sang…
Peut-être que pour nous c’est plus facile à entendre, en fait, parce que nous ne l’entendons pas de Jésus lui-même que nous verrions en chair et en os devant nous, et donc nous savons que si ces mots s’adressent à nous aussi aujourd’hui alors il ne s’agit pas de sa chair au sens charnel d’aujourd’hui – la « viande ». Mais imaginons pour celles et ceux qui étaient là avec lui : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » C’est quand même une bonne question !
La chair, en grec, c’est plus que la « viande ». Aujourd’hui on dirait : c’est toute la personne, c’est moi dans tout ce qui fait ce que je suis et qui je suis, c’est mon être relationnel, le « tissu de relations » que je suis, c’est qui je suis vraiment…
Jésus est en train de leur dire et de nous dire : Nourrissez-vous de moi. Je me donne pour que vous ayez la vie, la vie éternelle, prenez-moi, vivez de moi, nourrissez-vous de moi, c’est-à-dire de sa présence, puisque nous croyons qu’il est ressuscité, vivant et présent autrement mais réellement.
Et si Jésus est le Pain descendu du Ciel, celui par qui le Père veut que nous ayons la vie et celui qu’il nous donne pour nourrir notre vie spirituelle, c’est-à-dire notre vie avec lui, Dieu, alors nourrissons-nous de lui, le Christ. Par son eucharistie, sans doute, mais aussi, déjà, par ce qu’il est : Parole de Dieu. Et ça on le sait dès le début de l’évangile de Jean, avec le Prologue : Jésus est le Verbe de Dieu, sa Parole, le Verbe fait chair. Il est le don que Dieu nous a fait pour nous sauver de tout mal et de toute mort, le don qu’il nous a fait pour que nous vivions pleinement, vraiment, tel que Dieu nous veut avec lui.
Et ça c’est la promesse de vie éternelle, après la mort, mais c’est promesse de vie pour aujourd’hui déjà. Car la vie éternelle c’est le toujours qui ne finira pas, puisque c’est hors du temps, un toujours qui est donc un tout-jours – en deux mots – c’est un dire un pour-chaque-jour. Et d’ailleurs Jésus en parle au présent : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle. »
La question du coup comment est-ce que nous nourrissons chacun du Christ Jésus lui-même, jour après jour... Par son eucharistie déjà, mais aussi et peut-être même d’abord, jour après jour, par sa Parole. D’ailleurs dans la 2ème lecture, qu’est-ce que nous a dit St Paul, c’est quoi le chemin pour vivre comme des sages et sortir de la folie du monde qui vit sous le coup de l’instinct et des passions ; qu’est-ce que St Paul nous a dit ?
« Ne vous enivrez pas de vin, car il porte à l’inconduite » – pas besoin de vous faire de dessin, je crois, on voit tous ce que St Paul veut dire et on a pu faire cette expérience avec des soirées étudiantes un peu trop arrosées. Donc, je reprends : « Ne vous enivrez pas de vin, car il porte à l’inconduite ; soyez plutôt remplis de l’Esprit Saint » – l’Esprit Saint, je le rappelle, qui est la force de vie et d’amour de Dieu, l’Esprit Saint qui nous est promis et qui est donné à qui le demande, l’Esprit Saint qu’il nous faut donc demander dans la prière, accueillir, et à qui il va falloir apprendre à laisser les commandes, nous laisser conduire par lui, et donc entendre au cœur de ce que nous vivons ce que Dieu veut nous dire et où il veut nous entraîner.
Je reviens à St Paul : « soyez plutôt remplis de l’Esprit Saint », dit-il ; et il ajoute – c’est là où je voulais en venir – : « Dites entre vous des psaumes, des hymnes et des chants inspirés, chantez le Seigneur et célébrez-le de tout votre cœur. À tout moment et pour toutes choses, au nom de notre Seigneur Jésus Christ, rendez grâce au Père. »
Voilà, nous dit St Paul, comment nourrir nos vies de Dieu lui-même, voilà comment nourrir nos vies de la présence du Christ Parole de Dieu : en priant le Père, avec lui le Christ, et en vivant toute chose avec lui…
Alors demandons-nous où nous en sommes de notre vie de prière ; demandons-nous où nous en sommes de notre vie avec le Christ : quelle place nous lui faisons réellement et comment est-ce que nous nous y prenons concrètement !?
L’enjeu c’est la vie éternelle, l’enjeu c’est de vivre vraiment ; et pour cela c’est de lui confier tout ce que nous vivons pour qu’il le porte avec nous, pour qu’il nous éclaire aussi par son Esprit Saint, et pour qu’il nous donne d’être vainqueurs avec lui du mal qui défigure nos vies et de la mort.
L’enjeu c’est la vie, la vie que Dieu veut pour nous, et j’ai même envie de dire la vie qu’est Dieu et qu’est son amour, sa miséricorde, son amour sauveur.
D’ailleurs, à la fin du même évangile de Jean, juste avant sa Passion, Jésus dira dans sa prière : « La vie éternelle c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus le Christ » (Jn 17,3) …
« La vie éternelle c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus le Christ » …
Connaître dans la Bible, ce n’est pas juste savoir qui est l’autre et le comprendre, connaître c’est vivre en intimité avec lui. Et on peut même affirmer du coup que l’amour est la connaissance véritable, et même que l’amour c’est la vie ; c’est d’ailleurs l’unique commandement, ce qui résume tout du message et de la vie de Jésus : nous aimer les uns les autres comme le Christ Jésus nous a aimé (cf. Jn 15,12), lui qui est le don du Père par amour pour ce monde, pour nous sauver et pour nous ouvrir à sa vie éternelle (cf. Jn 3,15-16)…
Nous n’aurons jamais fini d’apprendre à vivre de cette vie-là, à vivre cet appel à aimer, aimer vraiment, et nous donner par amour. Il nous faut pour cela suivre le Christ, le suivre vraiment, le prier et nous mettre à son école, nous mettre à l’écoute de sa Parole, nous nourrir de la Parole de Dieu, nous nourrir de sa présence – lui qui est là, nous a-t-il dit, quand deux ou trois sont réunis en son nom (cf. Mt 18,20).
C’est bien ce que nous célébrons à chaque eucharistie. Et nous lui demandons d’être notre force de vie, chacun pour ce que nous avons à vivre, et ensemble pour vivre et témoigner de son amour, l’amour du Père pour tous les hommes – pour notre humanité –, le Père qui a donné son Fils par amour de ce monde et pour que tous soient sauvés. Tous. A nous d’en être témoins, il nous a donné pour cela son Esprit Saint – c’était à l’Ascension : « Vous allez recevoir une force, celle de l’Esprit Saint, alors vous serez mes témoins (…) jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1,8).
Alors rendons grâce pour ce grand mystère de ce Dieu fait homme, ce Dieu qui nous parle et veut nous parler, ce Dieu qui vient ainsi nous donner sa vie en se donnant, ce Dieu qui veut demeurer avec nous et en nous et qui nous appelle à demeurer en lui, à trouver force en lui et par lui – ce que nous célébrons ce jour encore. Amen.