10 Novembre 2014
Je n'avais pas envie de lire ce livre, je l'avoue. Trop gros (de fait c'est long, même si ça se lit finalement vraiment bien, malgré la dernière ligne droite des 100 derniers pages où j'ai peiné un peu mais tenu cependant par l'envie de voir où tout cela pouvait aller) ; et surtout des critiques contradictoires et peu engageantes pour moi, avec cette peur aussi de céder à la mode qui voudrait nous faire croire que lire le dernier Carrère ce serait presqu'incontournable.
Pourquoi lire alors ce livre-fleuve qu'on ne sait d'ailleurs comment qualifier comme genre littéraire ? C'est une amie, de l'Arche de Jean Vanier, qui m'a convaincu (sans trop le savoir, alors je le lui dis, et même je la remercie) ; comment, ou plutôt pourquoi ? Tout simplement en me partageant les dernières pages où Emmanuel Carrère nous livre quelques lignes et impressions d'un passage à Trosly, pour une retraite, et l'expérience vécue d'un lavement des pieds, comme c'est proposé là-bas à La Ferme par Jean Vanier et plus largement dans les communautés de l'Arche. Première raison. Accompagnée d'une seconde. Comme moi, cette amie a beaucoup aimé en son temps un autre livre d'Emmanuel Carrère, son récit de l'affaire Romand, L'Adversaire. Autour des pages 430-435, il en est question et c'est intéressant, vraiment. Deux bonnes raisons d'essayer d'entrer dans ce livre que je ne voulais pas lire, d'autant plus qu'en feuilletant les premières pages et premiers chapitres je me suis dit : pourquoi pas en fait ?
Dans la première partie de son livre l'auteur nous raconte sa conversion, sa recherche de Dieu, son compagnonnage avec Jésus, puis comment il perd la foi ou se met à douter, comment il devient agnostique (pour reprendre ce mot par lequel il se qualifie à plusieurs reprises et qu'il définit notamment p. 434). J'ai aimé ces pages, dans leur témoignage. Elles pourraient presque se suffire à elles-mêmes, telles un récit en soi, un récit de vie qui s'écrit, se publie et se partage ainsi.
Ces pages sont suivies d'une longue enquête-récit dans la-lequel-le l'auteur nous entraine ensuite, le corps de son livre à proprement parler même si on voit bien, plus on avance, que toute est lié, tout s'imbrique et se tricote. A la suite de Paul et avec lui, puis de Luc et encore-ensuite Jésus, nous voilà entraînés à entrer dans l'histoire de la mise en place ou de la naisance ou de l'invention du christianisme. Je ne saurais être plus précis sur les termes ou dans mon style car tout reste ouvert au fil des pages. C'est un tricotage (décidément ce mot me plaît pour parler de ce livre) d'histoire (des premières communautés chrétiennes et du monde judéo-romain et helléniste de l'époque), de relectures (des textes et de sources), d'options aussi ou d'hypothèses. Pour tenter de comprendre ou d'expliquer ce qui relève de la foi que n'a plus Emmanuel Carrère, qu'il ne juge pas d'ailleurs ni ne rejette, mais qui ne peut (plus) lui suffire à comprendre. Il réécrit, tente de boucher les trous...
Sauf que c'est plus que cela, en fait. C'est une relecture certes de ces écrits fondateurs du christianisme, mais dans un essai de perspective chronologique qui nous fait réentendre ces textes à rebours, de Paul à Luc et à Jésus ; et c'est aussi et en même temps une relecture de sa propre expérience spirituelle et de ses questionnements de foi et/ou non foi tout autant que c'est la relecture de son acte d'écriture (de ce livre) et même de son acte d'écrire et de penser qui est plus large que ce livre là, avec L'Adversaire notamment mais aussi, par exemple, sa participation il y a quelques années à l'aventure de la nouvelle traduction de la Bible chez Bayard.
On pourra trouver que c'est parfois fouilli et surtout que l'auteur parle beaucoup ou trop de lui, jusque dans des dimensions de sa vie sexuelle par exemple dont on aurait pu je crois se passer... C'est donc parfois pénible et même irritant par certains côtés, c'est parfois dérangeant aussi dans la façon de citer (ou de ne pas citer aussi) ses sources historiques, mais je dois l'avouer, j'ai trouvé ces pages vraiment intéressantes. Ou plutôt "fascinantes". Je ne sais si ce mot est le plus approprié mais c'est vraiment celui qui me vient. J'ai été pris par le récit. Et ça me donne franchement envie de relire tous ces écrits du Nouveau Testament qui sont "dépositaires" pour moi de cette foi chrétienne qui est la mienne, que j'ai reçue, et qui façonnent mon "désir" de rendre compte de Jésus Christ mort et ressuscité auquel je crois et qui est comme le "moteur" de ma vie.
Alors... si vous hésitiez, osez peut-être tenter l'aventure de cette lecture ? Faites comme moi, essayez et vous verrez bien...
Moi en tout cas, ce qui me fait sourire à la fin de ces balbutiements sans doute un peu longs (je ne parle pas là des pages d'Emmanuel Carrère mais bien de ces lignes que je partage) c'est que s'il n'y avait pas ce mystère de la résurrection (qu'on y croit ou non), vous n'auriez pas lu ce post' et il n'y aurait pas non plus ce pavé que je ne regrette pas d'avoir ouvert et lu. Comme c'est écrit p.353 : "Personne ne sait ce qui s'est passé le jour de Pâques, mais une chose est certaine, c'est qu'il s'est passé quelque chose." Dans la vie d'Emmanuel Carrère aussi, d'ailleurs ; ce livre en est témoin. Quoi exactement ? Tout pourrait se résumer dans ces quelques mots qui sont sans doute l'expression la plus lue et répétée au fil des chapitres et qui en sont le point final, juste après le petit récit du lavement des pieds à l'Arche : "Je ne sais pas."
Emmanuel Carrère, Le Royaume, P.O.L., septembre 2014, 630 pages (23,90 €)