Homélie Jeudi saint 2017

Jeudi 13 avril 2017 / Messe de la Dernière Cène

Eglise St JB (Bourgoin-Jallieu) / messe paroissiale

Ex 12,1-8.11-14 / Ps 115 (116) / 1Co 11, 23-26 / Jn 13,1-15

Je ne sais pas si je dois cela à la communauté de l’Arche de Jean Vanier que j’ai accompagnée sur Grenoble pendant 6 ans, jusqu'à l'année dernière – je crois que vous savez que cela a beaucoup compté pour moi – mais ce geste du lavement des pieds dont viens de nous parler Jésus et qui est à l’Arche un geste important auquel nous participons tous, chaque année pour la fête communautaire du Jeudi saint, ce geste il porte en lui quelque chose qui pour moi reste très émouvant, toujours, et qui dit le sens de l’eucharistie, d’une vie eucharistique, une vie à la suite du Christ.

Sans doute que c’est plus émouvant pour le prêtre que je suis qui vais refaire ce geste dans quelques instants et pour ceux d’entre vous qui vont, au nom de tous, le recevoir et y participer ; en tout cas c’est émouvant d’abord parce que c’est Jésus lui-même qui nous invite à le faire, à la refaire, aussi décalé culturellement est-il pour nous aujourd’hui, mais aussi et surtout parce qu’il est d’une profondeur symbolique assez étonnante et même bouleversante.

Vous ne vous en rendez pas forcément compte mais pour le prêtre que je suis – et pour les prêtres que nous sommes, avec Christophe et Emmanuel et avec Flavien que je voudrais associer ce soir, avec Michel aussi comme diacre – il y a quelque chose de très fort à s’abaisser ainsi, devant vous, à la suite du Christ. Pas seulement dans ce geste, ce geste diaconal par excellence, mais dans ce qu’il révèle de ce que nous essayons de vivre, chaque jour de l’année, dans le don de notre vie, le don de notre vie pour vous. Et j’insiste sur ce « pour vous ».

J’insiste car nous avons fait le choix au jour de notre ordination de nous engager au service de Dieu, de Jésus Christ et de l’Eglise, mais pas de façon abstraite ; nous l’avons fait dans le don de notre vie pour vous, pour notre diocèse et pour les communautés auxquelles nous sommes envoyés. Et nous essayons de vous servir, avec ce que nous sommes, petit à petit et malgré nos balbutiements et nos manques de disponibilité, malgré nos défauts aussi et nos erreurs qu’on sait nous rappeler par moments un peu violemment comme s’il fallait qu’on soit des saints parfaits, et malgré cette fatigue qui parfois nous habite et qui éloigne même votre curé de sa paroisse un peu trop souvent ces derniers temps...

Non seulement, donc nous mettre au service de ce que vous êtes ensemble, de la paroisse, mais essayer aussi de nous mettre au service d’une croissance spirituelle de chacun par l’annonce et la proclamation en actes de la Parole et par la célébration des sacrements, à la suite du Christ, pour que chacun de vous puisse à son tour vivre le service de l’Evangile pour celles et ceux – avec celles et ceux – qu’il rencontre dans sa vie de chaque jour.

J’aime bien dire que mon « métier » de prêtre, notre ministère, notre vocation de prêtres et notre vie tout entière, c’est d’être pour vous le signe, le rappel en actes, que c’est le Christ qui est là au milieu de nous et qui nous rassemble ; que c’est lui le Christ qui veut pour nous la vie et le salut, que c’est lui le Christ qui veut se donner à nous dans le mystère de sa présence dans l'eucharistie – non humainement visible, c’est vrai, mais tellement réelle quand même –, que c’est lui le Christ qui nous appelle à œuvrer aujourd’hui à sa suite, c’est-à-dire à être les mains et les voix dont le Père a besoin pour que la Bonne Nouvelle de la résurrection soit entendue et qu’elle soit vécue concrètement, dans l’attente de l’accomplissement de cette résurrection pleine et entière qui nous est promise et que nous fêterons samedi soir et dimanche.

Et je crois que ce geste du lavement des pieds nous pose un peu deux questions : (1) est-ce que je veux vraiment me laisser rejoindre par le Christ ? (2) Et comment en être témoin pour d’autres ? … Se laisser rejoindre par les pieds… Ça peut nous paraître bizarre mais c’est très profond, pour au moins deux raisons :

  • Les pieds, c’est ce par quoi nous marchons. C’est une évidence, je vous l’accorde. Je vous rappelle que nous sommes entrés en carême par les pieds, le mercredi des cendres ; de même pour la Semaine sainte, dimanche dernier ! Nous avons été invités à nous mettre en marche, et nous savons que certains chemins sont parfois fatigants ; ça dit ce que devrait être notre vie de chrétiens : sommes-nous des chercheurs de Dieu, qui veulent bien nous mettre en route et nous laisser guider pour nous laisser trouver par lui et pour apprendre toujours plus, toujours mieux, à le rencontrer, présent à nos côtés ? Et voulons-nous bien être de ces chercheurs de Dieu qui acceptent de se mettre humblement et joyeusement en route pour aller à la rencontre de celles et ceux qui autour de nous cherchent eux aussi un sens à leur vie et attendent une présence qui les relève et qui leur donne le goût de la vie même dans ce qu’ils ont à traverser ?

Les pieds nous servent à avancer pour aller mettre nos mains au travail. Vous aurez remarqué, d’ailleurs, que les mains de Jésus qui lavent les pieds sont celles qui ensuite prennent le pain, le présentent et l’offrent. Mais ces pieds, si on veut qu’ils aillent loin, les grands marcheurs savent qu’il faut en prendre soin !

  • Et puis les pieds, c’est aussi quelque chose d’intime. Tellement intime que dans beaucoup de paroisses on a un peu de mal parfois à trouver 12 personnes qui acceptent de se laisser laver les pieds comme on va le faire dans quelques instants. Cette remarque un peu anecdotique peut-être m’amène à cette autre question, par analogie : est-ce que chacun de nous, nous voulons vraiment que le Christ vienne nous rejoindre dans ce qui est de l’ordre de intime de ce qui fait notre vie, jusque dans nos vulnérabilités et nos blessures. Et pour cela, sommes-nous capables, pour de vrai, d’accepter de nous dévoiler un peu à Dieu mais aussi, concrètement, à celles et ceux qu’il envoie sur notre chemin, celles et ceux qui essayent de se mettre à notre écoute et de prendre soin de nous ?

Il y a ceux qui souffrent autour de nous et qui nous attendent, mais chacun de nous, demandons-nous quels sont ces lieux en nous qui ont besoin d’être consolés, pardonnés, ou guéris, apaisés, par la présence en nous du Christ ou par sa présence dans tel ou tel frère et sœur qui sont là…

Apprenons toujours et encore et acceptons vraiment de nous ouvrir en vérité à celui qui veut nous sauver… Osons nous asseoir et arrêter de faire croire que nous arrivons à vivre tout seul, comme des grands. Laissons-nous faire, ouvrons nos cœurs au Christ et osons nous interpeller les uns les autres, dans l’écoute de ce que l’Esprit souffle en nous, pour demander un soutien ou une aide ou une présence… Alors nous pourrons reprendre la route et marcher – par les pieds.

En tout cas, ce que je trouve beau dans ce geste du lavement des pieds, ce geste que je vais faire dans quelques instants, c’est que c’est un geste qui peut paraître exigeant, autant pour celui qui accepte de le vivre, que pour prêtre que je suis, un geste qui nous révèle que dans la relation, quand on veut prendre soin, nous sommes tous un peu maladroits ; à l'Arche j'ai fait l'expérience qu'on est tous handicapés pareil, maladroits pareils, quand il s'agit de laver un pied, c'est pas si évident !  En tout cas ce geste, il est beau parce qu'il est signe de l’appel et de l’acceptation à pendre soin de l’autre ; c’est un geste de tendresse qui dit la volonté d’accueillir et de servir l’autre comme quelqu’un d’important. Je le redis, j’ai et nous avons, prêtres, à le vivre pour vous, chaque jour, par notre ministère, pour que nous apprenions à le vivre chacun, dans l’ordinaire et le quotidien de nos vies.

En plus c’est un geste qui invite à changer nos regards : non plus voir l’autre qui est là devant moi en le regardant de haut ou en le regardant avec l’assurance de celui qui peut apporter son aide à un plus pauvre ou un plus petit, mais m’abaisser pour le voir à hauteur de regard, et même plus bas, en me laissant regarder par lui alors même que j’essaye de le servir et d'apprendre à l’aimer comme il est… 

Chaque dimanche, ou plutôt à chaque eucharistie, quand nous recevons le Pain de vie, le Corps du Christ, c’est tout cela qui devrait nous habiter. Le lavement des pieds et l’eucharistie sont intimement liés. Nous recevons le Christ dans notre intime, en nous, pour devenir ensemble, les uns les autres et avec lui, son Corps, sa présence aujourd’hui, une présence de tendresse, une présence en actes qui s’abaisse à hauteur de l’autre, dans l’écoute de ce qu’il a de beau et de bon en lui, et dans le service de ce qu’il y a à relever et à guérir dans son histoire, s’il veut bien se laisser rejoindre…

Certes, nous ne sommes pas des super-héros, ni vous ni vos prêtres et diacre. Nous ne pouvons y arriver tout seul, chacun pour soi. Recevoir le Christ dans son eucharistie c’est lui demander sa force pour que ce soit bien lui qui agisse par notre vie ; c’est donc vouloir s’ouvrir à son Esprit Saint, à ce qu’il souffle en nous, dans l’écoute des charismes de chacun, pour travailler ensemble au salut que Dieu voudrait tant offrir à tous, Dieu qui nous aime de miséricorde ; vous vous rappelez, cet amour qui console, qui pardonne et qui donne l’espérance, cet amour qui veut prendre soin et apaiser les blessures, cet amour que nous sommes appelés chacun et ensemble à vivre, dans la complémentarité de nos charismes et de nos fonctions.

Personnellement je rends grâce ce soir de ce que Dieu nous donne de vivre ensemble, dans cette belle paroisse et dans la transformation missionnaire qu’elle a à vivre et qui déstabilise, je le sais, certains d’entre vous. Je rends grâce au cœur de l’appel à ce que nous soyons toujours mieux des témoins en actes de cet amour et de cette présence de Dieu, au cœur de ce monde qui en a tant besoin…

Je vous propose que nous prenions quelques instants de silence pour confier au Seigneur ce que ces mots d’homélie font monter en nous, notamment pour confier au Seigneur ce qui nous rend heureux de le suivre mais aussi ce qui parfois nous est plus difficile, ces lieux en nous, dans notre vie, où nous avons besoin de mains qui viennent apaiser, qui viennent prendre soin, avec tendresse et délicatesse… Amen.

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