Bâtir un pont | James Martin

Bâtir un pont | James Martin

Présenter ici ce livre pourra surprendre certains. D'autant si on fait attention au sous-titre que vous avez pu voir sur l'image ci-dessus : “L'Eglise et la communauté LGBT”. Pour dire vrai, j'avais vu dans le journal La Croix, je ne sais plus trop quand (mai ou juin ?), une présentation de ce livre, mais je n'avais pas forcément prévu ou eu l'envie de le lire. C'est un séminariste de ceux avec qui je vis, très sensible au dialogue, notamment avec les minorités ou les personnes qui se sentent marginalisées, qui en a parlé un jour demandant à l'un ou l'autre qui passait par là, dont moi, si on connaissait. Il avait lu la même présentation dans le même journal et venait peut-être même de l'acheter, je ne sais plus. Et il se trouve que j'ai des amis homosexuels, dont deux vivant en couple et qui sont des chrétiens pratiquants, qui disent combien c'est difficile parfois pour eux de se sentir à leur place en Eglise, à cause de certains discours qu'ils ressentent comme homophobes. Alors je me suis dit : pourquoi pas lire ces pages, d'autant que James Martin, l'auteur, jésuite, a été invité à parler lors de la récente Rencontre mondiale des Familles de Dublin, organisée par l'Eglise catholique.

Ce livre, autant le dire d'emblée, est perturbant, questionnant. Dès le sous-titre déjà. Car, personnellement, j'ai du mal avec cette appellation “communauté LGBT”. Les personnes en France qui sont concernées par l'homosexualité se définiraient-elles ainsi ? Celles que j'ai pu accompagner pendant mes années de curé, ou les parents de jeunes homosexuels à qui j'ai donné du temps pour mettre en mots ce qui pouvait être pour eux comme un séisme, n'utilisaient pas cette expression, je ne crois pas. Sans doute est-ce très américain (des USA) où le communautarisme est très fort ? En France, sans doute est-ce les militants pour une reconnaissance forte qui se définissent ainsi ? Je ne sais trop. Quoi qu'il en soit l'auteur part du constat qu'il y a comme deux “communautés” ou deux “camps” qui s'opposent : ces personnes homosexuelles se sentant rejetées ou condamnées par l'Eglise et, face à elles, l'Eglise institution, et surtout la hiérarchie (évêques et prêtres notamment). Deux “communautés” dont certains membres appartiennent ou voudraient appartenir aux deux. 

L'auteur nous explique dans ces pages à la fois comment les personnes dites LGBT sont blessées par cette Eglise institution et quelle conversion est à vivre par celle-ci pour qu'une rencontre, un dialogue et un bout de chemin soient possibles, et quelle conversion ces personnes blessées ou celles qui ne veulent plus écouter l'Eglise ont aussi à vivre pour qu'un chemin d'accueil, d'écoute et d'accompagnement soit envisageable. Il y a un pont à construire. Pour reprendre le titre de ce livre, évidemment, mais également une expression chère au Pape François, en diverses occasions et souvent au pluriel...

Construire un pont ? Mais pourquoi, diront certains ? Parce que Jésus ferait ainsi. Avant de voir des personnes homosexuelles et de les enfermer dans une étiquette et plus encore dans un jugement, avant de brandir la morale de ce qui est bon ou mauvais ou de ce que Dieu veut ou pas, il y a des personnes, et Jésus a toujours vu d'abord les personnes avant leur ce qu'on leur reprochait, leur permettant d'être accueillies et écoutées, leur offrant un chemin avec lui.

Ce livre, oui, est dérangeant, il invite chacun, tous, à se poser des questions. Il nous remet face aux appels du Pape François dans Amoris Laetitia se résumant à quatre verbes clés et incontournables : accueillir, accompagner, discerner, intégrer...

Concrètement, ces pages sont nées suite à l'attentat d'Orlando du 12 juin 1996, visant une boîte de nuit gay, et au silence ou la gêne de la grande majorité des responsables catholiques du pays. Ce livre est divisé en deux parties plus une troisième. Ces deux premières sections sont bâties autour des mots balisant un des numéros du Catéchisme de l'Eglise Catholique (n°2358) à propos de l'accueil à réserver aux personnes à tendance homosexuelles : respect, compassion, délicatesse. Qu'est-ce que cela veut dire concrètement pour l'institution, pour l'Eglise et ses ministres, et pour chacun d'entre nous ? L'auteur explique, illustre de témoignages, questionne. Mais il n'en reste pas là, il inverse ensuite la proposition — c'est la deuxième partie — : si les personnes dites LGBT sont en droit d'attendre respect, compassion et délicatesse de la part de l'Eglise, comment vivent-elle ces mots-là vis-à-vis de l'institution qui peut-être les blesse ou les a rejetées — comment et pourquoi les vivre — ? Le tout est complété de pistes de réflexions à partir de la Parole de Dieu et d'un guide de lecture (de ce livre) qui reprend les idées maîtresses de chaque sous-partie, avec là aussi des questions pour aller plus loin, seul ou en groupe.

Le corps principal du livre est la reprise d'une conférence, le livre lui-même dans cette édition de 2018 étant une reprise corrigée et augmentée d'une première version (James Martin s'en explique au tout début de l'ouvrage).

J'ai bien conscience que ces pages peuvent être dérangeantes — et ce post' aussi, peut-être ? —, qu'elles obligent à faire un pas. Je crois qu'elles valent le coup d'être lues car autour de nous, dans nos communautés chrétiennes mais en dehors aussi, un certains nombres de chrétiens notamment catholiques qui sont concernés par l'homosexualité sont en attente d'une écoute réelle. Pour beaucoup l'homosexualité est une épreuve ou a pu l'être, et le sentiment de rejet ou d'exclusion par l'Eglise, voire de condamnation de qui ils sont, en est une autre.... Ces pages veulent nous aider à nous questionner, certes écrites dans un contexte communautariste américain qui n'est peut-être pas tout à fait le nôtre mais qui rejoint, je crois comprendre, les personnes concernées par la question de l'homosexualité.

---------------

James Martin, sj, Bâtir un pont. L'Eglise et la communauté LGBT, Cerf, avril 2018, 236 pages, 19€.

Partager cet article
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :