4 Novembre 2018
31ème dim. du Temps Ordinaire / Année B
Abbaye N-D de Saint-Remy, Rochefort (Belgique)
Dt 6,2-6 / Ps 17 (18) / He 7,23-28 / Mc 12,28b-34
Nous voilà avec Jésus à un moment clé de l’évangile, nous voilà avec lui à une étape importante de sa vie publique. Nous voilà même au cœur du message qu’il nous laisse et qu’il est venu nous révéler…
Vous l’avez entendu, un scribe s’est approché de Jésus pour lui demander « Quel est le premier de tous les commandements ? » Une question qui pourrait nous paraître presqu’anodine, à la fois car c’est une question de plus posée à Jésus parmi tant d’autres tout au long des évangiles mais aussi parce que nous connaissons bien, je crois, la réponse que Jésus en a donné.
Or voilà que Jésus est à Jérusalem, il vient d’y entrer et d’y être acclamé par les foules (ch.11) – ce que nous fêtons pour les Rameaux –, et quelques versets plus loin (ch.13) il annoncera la destruction du Temple et la venue du Fils de l’homme comme signe de l’entrée dans les derniers temps. Alors (ch.14) nous entrerons avec lui dans sa Passion. Nous sommes donc à une étape charnière du chemin de Jésus. Et là, ces mots que nous avons entendus, ces mots de Jésus qui sont comme le cœur de son message, ce double commandement à aimer qui est un double appel, à aimer Dieu et à aimer son prochain comme soi-même.
Pour qui connaît bien la Bible, rien de bien nouveau me direz-vous, car ce « premier commandement » qu’est celui d’aimer Dieu « de tout [notre] cœur, de toute [notre] âme, de tout [notre] esprit et de toute [notre] force », Jésus le reprend du livre du Deutéronome – ce que nous entendions en 1ère lecture. Il le reprend à deux mots près, car il ajoute « de tout ton esprit ». Et le second commandement que Jésus adjoint, celui d’aimer notre prochain comme nous-mêmes, ce second commandement dont St Mattieu nous dira dans le passage parallèle qu’il est semblable au premier, Jésus le tire du livre du Lévitique, au chapitre 19 (v.18). Rien de bien nouveau, donc, apparemment, sauf que la nouveauté réside justement dans le fait de relier ces deux appels, ces deux commandements. De les tenir ensembles. Comme s’ils s’appelaient l’un l’autre.
Et comme pour nous inviter à aller plus loin, il nous faut entendre en même temps les derniers mots de ce que Jésus va finalement répondre au scribe. Vous aurez remarqué que celui-ci se permet de reprendre Jésus, pour lui dire qu’il ne se trompe pas et même pour aller plus loin puisqu’il se permet d’ajouter qu’aimer Dieu et aimer son prochain comme soi-même « vaut mieux que toute offrande d’holocaustes et de sacrifices ». Notre scribe se montre là bon connaisseur des Ecritures car il fait allusion ici au 1er livre de Samuel, au chapitre 15 (v.22)... Mais pour nous inviter à aller plus loin, donc, Jésus lui répond et conclut : « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu »…
Pourquoi Jésus dit-il cela à cet homme, quel est ce pas supplémentaire, ce pas à faire, qui semble lui manquer pour en être du royaume de Dieu ?
Notre scribe, qui connaît visiblement ces deux commandements et plus largement les Ecritures, a-t-il cependant compris que dans ce double appel Jésus nous offre comme un condensé, une synthèse, de toute la Loi et notamment des fameux 10 commandements dont cet appel à aimer Dieu et aimer son prochain comme soi-même est finalement l’accomplissement et du coup l’élargissement ? Je parle d’élargissement car, vous le savez, Jésus, un jour, a poussé et déplacé l’appel à aimer en nous invitant à aimer même nos ennemis, nous appelant ainsi à une fraternité radicale qui est aussi pardon radical.
Et notre scribe, qui certes connaît visiblement les Ecritures, ne lui manque-t-il pas également et plus fondamentalement, pour être du Royaume de Dieu, de suivre le Christ et de le reconnaître comme Fils de Dieu ? Sa question n’était pas une simple façon de faire pour demander à Jésus de nous délivrer ce qui serait comme une sorte de testament spirituel, comme si Jésus répondait à la question de savoir quoi retenir de tout son enseignement, car notre épisode se situe au cœur d’une série de controverses, c’est donc une question piège. Et d’ailleurs, juste après, Jésus dira : « méfiez-vous des scribes »…
Ce qu’il nous faut entendre ici c’est qu’il ne suffit pas de savoir ce à quoi nous sommes appelés, et il ne suffit pas non plus de bien connaître les Ecritures, tout cela il faut le vivre, et le vivre avec le Christ, à sa suite, c’est-à-dire à son exemple et à son école. Ainsi l’appel à aimer devient-il appel à aimer comme lui, comme lui Jésus aime. Comme lui aime Dieu son Père et comme lui aime ces hommes et ces femmes à qui il a été envoyé.
Comment aime-t-il le Père ? Eh bien, comme un fils ! Ou plutôt comme son Fils Bien-Aimé. Il aime Dieu son Père en prenant du temps avec lui, c’est-à-dire en le priant. Et il l’aime en faisant ses œuvres – les œuvres du Père – et en faisant sa volonté, jusqu’au bout, jusqu’au don total de lui-même. Voilà d’ailleurs ce qu’est « aimer » : c’est « donner sa vie pour ceux qu’on aime ». Ce seront les mots mêmes de Jésus en Jn15 verset 13 : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime »…
Aimer c’est « donner sa vie pour ceux qu’on aime ». Et toute la vie de Jésus est ce « oui » à la volonté du Père qui veut sauver tous les hommes, le Père qui veut et qui vient en Jésus nous sauver du péché, du mal et de la mort.
Jésus aime encore le Père, et il fait sa volonté, en le révélant aux hommes et en révélant son visage de miséricorde. J’aime cette définition qu’en donnait le pape François dans sa bulle d’annonce du Jubilé de la Miséricorde : la miséricorde c’est « l’amour de Dieu qui console, qui pardonne et qui donne l’espérance ». Dieu nous aime de cet amour là. Jésus nous le révèle en actes. Et ce faisant il nous aime, nous, il nous aime ainsi et il nous montre comment aimer à notre tour. D’ailleurs, il nous l’a dit dans l’évangile de Luc, en finale de l’appel à aimer les ennemis (ch.6) : « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux ». Nous sommes appelés à cet amour là, cet « amour qui console, qui pardonne et qui donne l’espérance ». Aimer de cet amour là celles et ceux que notre chemin va croiser, quelle que soit leur histoire ou leur foi, quel que soit aussi le mal qu’ils aient pu commettre. Consoler et pardonner ; et ainsi ouvrir à l’espérance.
Jésus est bien celui qui a pris soin jusque là, celui qui a guéri les malades, celui qui vient nous offrir la victoire de la vie sur tout mal et sur toute mort. Il est encore celui qui vient nous libérer de nos peurs et de nos enfermements, nos aveuglements ; il vient nous ouvrir à la confiance que Dieu est là à nos côtés, quoi qu’il arrive, que Dieu nous donne et nous donnera ce dont nous avons besoin, si nous lui faisons cette confiance là, si nous nous ouvrons avec Jésus à sa présence et si nous osons demander sa force de vie et d’amour qu’est l’Esprit Saint. D’ailleurs, juste après sa mort et sa résurrection, Jésus qui a promis l’Esprit Saint à qui le demandera dira à ses disciples et donc à chacun de nous qui voulons le suivre : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps » (Mt 28,19). Nulle crainte, donc, à avoir, même au cœur de nos épreuves. Il nous a aimés jusque là, il s’est donné pour nous et il se rend présent à nous aujourd’hui encore, dans la prière et les sacrements, mais aussi par ces frères et sœurs qui sont pour nous et concrètement des témoins en actes de la miséricorde.
Oui, Jésus nous montre l’exemple. Aimer c’est « donner sa vie pour ceux qu’on aime ». C’est bien ce que nous célébrons à chaque eucharistie. La question de chaque jour sera celle de savoir si nous voulons-nous réellement le suivre jusque là. Car il s’agit bien de faire de notre vie une réponse eucharistique : à la fois action de grâce pour l’amour reçu de Dieu dans l’offrande du Christ mais aussi acte d’amour dans le don de nous-mêmes.
Permettez-moi d’ailleurs de finir ces mots d’homélie en citant ce frère cistercien trappiste qui sera béatifié dans un mois à peine, frère Christophe de Tibhirine, qui écrivit ces mots qui accompagnent depuis plus de 20 ans mon chemin à la suite de Jésus et qui peuvent être comme un appel pour nous : « N’être plus que le geste seul qu’il me faut devenir eucharistie »…