14 Mars 2020
Ce livre du philosophe chrétien Martin Steffens est tout à la fois déroutant, fascinant, pénible, décalant, intéressant...
Un livre sur ce qu'aimer veut dire, ou plutôt sur ce qu'est aimer. Rien que ça c'est en soit motivant. Mais en fait c'est décalé car il s'agit de réfléchir à ce thème central de notre vie par le prisme de ce drame pour beaucoup qu'est la pornographie. Addiction qui pourrit la vie en amour de beaucoup, notamment de jeunes que je rencontre.
C'est pénible parce qu'on aimerait y lire comment les aider à s'en sortir et qu'au final peu de réponses, du moins pratiques – ou concrètes – et immédiates. Et en même temps, si on va jusqu'au bout – ce qui n'est pas difficile en soit car l'auteur écrit bien et son style décalé a quelque chose qui aiguise notre curiosité et notre désir de voir où ça va nous emmener – si on va jusqu'au bout, donc, quelques pages finales superbes. Mais qui le sont grâce à ce qui précède – je dis ça pour que vous ne lisiez pas seulement la conclusion, ce serait dommage.
Un livre magnifique sur l'amour. Comme par la négative et de ce qu'elle révèle d'un positif bien plus large et bien plus profond qu'on ne l'aurait peut-être abordé autrement. Magnifique et intéressant sur ce que ça nous dit de ce drame de la pornographie, de ce qu'elle révèle du désir en l'homme, et de la part d'innocence et d'enfance qu'il faut apprendre à préserver en chacun. Question de regard...
Magnifique aussi quant à ce que notre péché peut révéler de l'amour de Dieu qui s'est incarné, qui a pris chair, au nom même de l'amour ! Magnifique de ce que ça appelle de ce que nous nommons prière. Ce que ça appelle chrétiennement, au coeur de nos traversées difficiles et douloureuses, dans la foi en la vie qui, là, se joue pour nous, dans la foi en Dieu qui, là, veut nous rejoindre. Histoire de salut...
C'est déroutant, oui, dans la façon de penser ou de mener la réflexion. C'est décalant, par rapport à ce qu'on attendrait ou ce qu'on voudrait y trouver de réponses toutes faites. Mais c'est vraiment intéressant comme plongée au coeur de la foi et d'une foi incarnée, au coeur du réel de ce que nous sommes et vivons, jusqu'en notre péché et jusqu'en notre désir d'aimer et d'être aimé.
Allez, je ne résiste pas, petits fragments des dernières pages, comme un avant-goût ou une invitation à oser cette lecture :
« [...] un chrétien (...) est un être bizarre dont le péché, sitôt qu'il est remis à Dieu, dans un acte d'abandon et de repentance, devient la mission. Etant quelqu'un d'incarné, il sait qu'il ne peut pas pécher moins haut que son époque : sa blessure et son humiliation, ce seront, plus ou moins, celles de son temps. Notre époque saigne de ses addictions. Le chrétien aussi y est. Être chrétien ce n'est pas être épargné par le combat des hommes. C'est savoir qu'on a sa part et désirer la vivre en vérité. (...) On voudrait rester pur, idéalement, mais alors on ne pourra offrir à Dieu cela seul qui lui agrée, celui qu'Il est venu, en personne, prendre au monde pour le renvoyer à la mort et nous en délivrer : notre péché.
L'enjeu serait de ne pas tomber, de devenir, jour après jour plus chaste. Le progrès spirituel, cela existe. Mais si l'on tombe ? L'enjeu devient alors celui-ci : ne jamais se relever sans prendre dans sa supplication, ces femmes et ces hommes qu'on aura, au creux de notre vague, rencontrés (...) : là où est ta chute, là est ta prière » (p.132-133).
« Prie là où ton coeur saigne, là où ta route se brise. Substitue à ta concupiscence la vertu de compassion. (...) [Ces automates du désir qui] ont été cause occasionnelle de ta chute : prie pour eux et sois celle de leur Salut ! Reviens sur les lieux de ton crime pour demander pardon. Fais revenir à ta mémoire l'image, mais brûles-y l'idole. Reviens riche de ce regard qui perce jusqu'à la personne. Prie non seulement pour ces acteurs ou ces amateurs, mais pour leurs parents, leurs enfants et, si les film est professionnel, prie aussi pour le scénariste, le financeur, la femme de ménage. (...) Cette prière est un drôle d'exercice, une étrange pénitence... Mais c'est ainsi : le mal que l'on fait (et celui que l'on se fait) nous condamne certainement. Mais, depuis Jésus, ce n'est qu'à une chose : aimer plus fort et plus audacieusement » (p.137-138)...
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Martin Steffens, L'amour vrai. Au seuil de l'autre, Salvator, coll. forum, septembre 2018, 143 pages, 16€.