Dom Dysmas : Risques et dérives de la vie religieuse

 

En période de coronavirus il est vrai qu'il y aurait sans doute plus divertissant comme lecture !! Mais c'était en cours... et franchement je ne regrette pas, c'est vraiment très intéressant ! Et important.

Imaginez, rien que le fait déjà qu'un chartreux sorte de son silence, et même de son anonymat, pour des sujets si importants ! Et quel chartreux ! En plus dans un livre plutôt très facile à lire, et surtout très bien documenté ! Presque passionnant ! En tout cas que je recommande très vivement à toute personne en responsabilités dans une communauté religieuse, supérieur ou chargé de la formation, et plus largement à toute personne en exercice d'autorité dans l'Eglise. Religieux et religieuses ne perdront pas leur temps non plus, au moins pour comprendre les mécanismes possibles de déviance et relire leur propre vie et les fonctionnements de leur communauté.

Car ce livre analyse de façon très approfondie les pentes et la mise en place de dérives sectaires dans la vie religieuse avec notamment un très bon chapitre spécifiquement sur cette question là où le prieur de la Grande Chartreuse laisse la parole à l'abbé de Maylis, dans les Landes, Dom François You. Il est également question de la vie communautaire et de la difficile question de l'autorité (pour et non pas sur) qui devrait toujours être exercée non comme un pouvoir mais bien comme un service.

Ces pages qui disent des choses difficiles n'en sont pas moins passionnantes pour découvrir en filigrane la beauté de la vie religieuse, son exigence aussi, sa radicalité, les rôles de chacun. Mais sa beauté, comme le rappellent tout particulièrement les dernières pages du livre. Malheureusement les risques aussi et déviances qui guettent certaines communautés qui pour certaines tombent dans le piège ou se laissent manipuler par des responsables tordus...

Je le disais, le propos de Dom Dysmas de Lassus est très documenté, sur la question des abus et des dérives possibles, mais aussi en références et analyses de textes spirituels fondamentaux, que ce soit le Règle de St Benoit, ou certains points de discernement des Exercices spirituels de St Ignace, ou encore des citations des Pères du désert ou de Pères de l'Eglise, de Ste Thérèse d'Avila ou de St François de Sales, sans parler des témoignages qui agrémentent tout le texte de religieux ou religieuses victimes d'abus et qui ont osé et réussi à prendre la parole...

Après des des pages fort intéressantes sur la vie commune ou d'autres sur l'obéissance, notons un très bon chapitre sur l'abus spirituel et les risques de déviance, avec de très bonnes pages je trouve pour les accompagnateurs spirituels – des pages presque encore plus intéressantes que le chapitre qui précède qui est justement sur l'accompagnement – ; un très bon chapitre aussi sur les abus sexuels, notamment pour comprendre les mécanismes de « consentement » des victimes... A lire également, le chapitre sur les victimes, justement, pour comprendre les mécanismes qui nous rendent inaudible leur parole, dans un premier temps – sous l'effet de la sidération – et qui rend si difficile de les entendre vraiment, d'accepter, de les croire et de réagir alors, combat tellement difficile du coup pour la vérité que cela appelle pour elles mais aussi pour nous tous...

Le constat n'en reste pas à tout ce qui ne va pas et aux déviances qui peuvent guetter, il nous est aussi partagé en ces pages des éléments de discernement et de « redressement » d'une situation qui semblerait sur une pente à risque voire une dérive déjà présente. Et c'est important que notre auteur nous propose cela aussi, pour aider les supérieurs et personnes en charge de la formation à relire jusqu'au bout leur propre pratique et voir comment corriger ce qui aurait peut-être besoin de l'être, même s'ils ne sont pas dans une situation encore alarmante. Mais justement, avant que ce soit le cas !

Vous l'aurez compris, il s'agit je crois d'un livre d'importance. Il est complété du témoignage d'une victime, en annexe, pour que nous puissions comprendre un peu mieux tout ce qui se joue qui a été développé au fil des chapitres. Et il est préfacé de Mgr José Rodriguez Carballo, secrétaire de la Congrégation pour la Vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique. La conclusion, elle, s'achève par une très belle prière au Christ que je me permets de vous partager ci-dessous (p.423-425)...

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Dysmas de Lassus, Risques et dérives de la vie religieuse, éditions du Cerf, mars 2020, 446 pages, 24€.

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« Tu nous a fait pour toi Seigneur et notre coeur demeure inquiet tant qu'il ne repose en toi. » Cet appel que tu adresses à tous parce que tu les as tous créés à ton image, tu l'adresses d'une manière particulière à ceux et celles que tu invites à une communion spéciale avec toi. Pourquoi faut-il que leurs guides soient toujours si imparfaits et dans certains cas, hélas, si trompeurs ? Nous savons que tu prends soin de tous parce qu'ils sont à toi, mais comme la destinée humaine est parfois difficile à comprendre et même à accepter.

Depuis des années tu chasses de ton Temple les boeufs, les moutons et les changeurs. Tes cordes font mal  à ton Eglise humiliée et certains de ses enfants la quittent. Prends soin d'eux, parce que tu les comprends, mais ne t'arrête pas avant que tout ce qui doit être déménagé soit dehors et aide-nous à nettoyer ce qui reste pour que ton Eglise retrouve sa beauté perdue. Donne-nous le courage de parler quand il le faudrait, en acceptant les conséquences. Et s'il faut nous secouer un peu – ou beaucoup – parce que nous sommes trop timides, mieux vaut le faire, pour que ce ne soient pas d'autres qui en souffrent. Donne-nous le courage de ne jamais accepter l'inacceptable et de ne pas fermer les yeux et les oreilles lorsque tu souffres pour que nous ne t'entendions pas dire un jour : Je suis Jésus que tu as laissé abuser sans rien dire. La nuit profonde des silences coupables va vers son terme et l'aurore approche, aide-nous à ne pas baisser les bras car un travail immense demeure, il reste tant à écouter, à panser, à rectifier, à protéger. Fais de nous de bons samaritains des blessés de la vie religieuse.

Que feras-tu de ceux et celles dont tu es le seul à connaître la souffrance ? Sois bon de conserver comme un trésor leur élan, leur désir de t'aimer et de se donner à toi. D'ailleurs ne l'as-tu pas toi-même transformé et embelli pendant leurs années de souffrance ? Nous aimerions qu'ils puissent voir ton oeuvre dès cette vie. Ce ne sera pas possible pour tous, mais finalement qu'importe ? Pour ceux et celles qui apparemment t'ont abandonné, ne suffit-il pas qu'au jour où ils te rencontreront face à face, ils puissent s'écrier : Ah, c'était donc toi ? Toi qui continuais à les habiter silencieusement parce que tu ne pouvais pas oublier qu'un jour ils avaient décidé de te donner leur vie.

L'heure est grave, aide-nous à ne pas la rater, à ne pas faire le travail à moitié. Notre responsabilité est grande par rapport à ceux qui viennent encore nous rejoindre, sans se laisser arrêter par tout ce qu'ils entendent, parce que c'est Toi qu'ils cherchent. Garde-nous humbles, afin que ne repousse pas le vieil orgueil, toujours tapi dans les décombres et que nous ne leur fassions pas de mal.

Nous t'aimons, Seigneur, parce que tu nous as aimés. Ne permets pas que la quête de ton visage se pervertisse en recherche de nous-mêmes. Conduis-nous tous, les jeunes, les anciens, les supérieurs, les malades, reste avec nous sur le chemin de pauvreté et d'espérance.

Amen, viens Seigneur Jésus.

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