Homélie dimanche 26 avril 2020

 

3ème dimanche de Pâques / Année A

Ac 2,14.22b-33 / Ps 15 / 1P 1,17-21 / Lc 24,13-35

 

Franchement, je me suis demandé quelle Bonne Nouvelle entendre quand c’est la 3ème fois en 15 jours qu’on a la même page d’évangile ? [Et ici à St Jo, qu’est-ce que vous voulez que j’ajoute à ce qu’Emmanuel et Patrick nous en ont dit dans leurs homélies du soir de Pâques et du mercredi qui suivait ?]

Ce qui m’est venu en priant cette page d’évangile, qu’on connaît bien je crois, c’est un lien qu’on pourrait faire avec celui de la semaine dernière, Jésus qui apparaissait à ses apôtres qui étaient enfermés chez eux par peur de Juifs.

Apparemment la situation est bien différente, la semaine dernière ils étaient donc enfermés – avec le vocabulaire d’aujourd’hui, on dirait « confinés » – alors que dans l’évangile de ce jour les deux disciples rentrent chez eux, « tranquilou » – et vous aurez remarqué que la distance dépasse largement le km et l’heure de sortie autorisés !

Blague à part, il y a pourtant un point commun entre leur situation respective, et même avec la nôtre d’ailleurs. Parce que nos deux pèlerins d’Emmaüs qui rentrent chez eux, ils sont comme enfermés intérieurement, ils sont prisonniers de ce qu’ils attendaient du Messie, qui ne s’est pas passé comme ils l’auraient cru ; ils sont enfermés, « confinés », dans leur tristesse et même une certaine désespérance. On pourrait dire qu’ils butent, non pas sur un mur qui les retient chez eux, mais ils butent sur un horizon qui s’est effondré et qui les retient en eux…

On pourrait faire une « pause », là, et se demander chacun qu’est-ce qui est difficile, qu’est-ce qui est désespérant dans notre vie aujourd’hui, qu’est-ce qui a besoin d’être guéri intérieurement, qu’est-ce qui a besoin d’être rejoint ou réveillé, pour que nous sentions la vie qui est là, pour que nous ayons confiance en la vie qui est belle et bonne, malgré tout, même confinés…

Pour le dire autrement : si nous croyons que dans le mystère de l’eucharistie Jésus vient nous rejoindre, chacun et en Église – que nous puissions, pour quelques-uns seulement, y communier physiquement, ou que nous soyons appelés à y communier spirituellement – si nous croyons, donc, que le Christ ressuscité vient et peut nous rejoindre chacun, comme pour les disciples d’Emmaüs, alors qu’est-ce que nous avons à déposer aujourd’hui avec le pain et le vin ? Rappelez-vous, le pain et le vin sont fruit de la terre, de la vigne et du travail des hommes, ils sont donc le fruit de notre vie et de notre condition humaine que le Seigneur ressuscité a épousées pour les transfigurer de sa présence et de sa résurrection. Alors qu’est-ce que nous avons à offrir ce soir au Seigneur de notre vie et de nos questionnements, de nos désespérances ou notre tristesse, peut-être même de nos attentes de je ne sais quoi de Dieu qu’il pourrait ou devrait faire, pensons-nous, pour que tout aille mieux du moins comme nous le pensons et nous le voudrions ?

J’insiste car c’est là que le Seigneur veut nous rejoindre. C’est au cœur du réel de ce que nous vivons et traversons que le Seigneur veut se révéler à nous. Comme au soir de Pâques sur la route d’Emmaüs.

Et je suis frappé par ce détour que le Christ ressuscité fait avec eux de leur demander ce qui leur arrive. Il aurait pu se révéler à eux en leur disant : « Salut, c’est moi, pas d’inquiétude, je suis ressuscité ! » Ceci dit, pas sûr qu’on l’aurait cru. Non, il prend le temps de les rejoindre là où ils en sont, dans cette tristesse d’avoir cru en en Messie qui serait tout puissant, pas un Messie qui serait mis à mort comme si Dieu ne pouvait rien pour lui, comme si leur vie à sa suite ne s’était finalement construite que sur de belles paroles mais qui n’étaient que du vent…

Et ce qui est étonnant c’est que nos deux disciples, ils avaient sans doute tout pour comprendre la Bonne nouvelle de la résurrection, ils ont suivi Jésus qui l’avait annoncée, et ils savent les femmes au tombeau vide, mais ils n’y croient pas encore, ça n’est que des mots, ça n’a pas touché leur cœur…

Deuxième « pause » qu’on pourrait faire, parce que ça nous concerne nous aussi : on y croit comment, nous, à la résurrection ? Des mots qu’on entend comme une vague promesse, voire une espèce de consolation face à la mort qu’on a tellement de mal à accepter comme une réalité normale de toute vie ? Ou est-ce qu’il y a autre chose pour nous ?

Nos deux disciples, ce qui fait qu’ils vont y croire, ce qui fait que ça devient Bonne nouvelle pour eux au point alors de faire demi-tour pour retourner à Jérusalem, c’est quelque chose de l’ordre d’une expérience qui fait que les mots entendus deviennent réalité de vie ; ça passe de la tête au cœur, ça vient trouver résonnance en eux ; quelque chose quasi du même ordre que ce provoque en nous l’expérience amoureuse, qui leur fait dire que c’est pas que des mots, que c’est vrai. Leur cœur s’ouvre à cette Bonne nouvelle et ils sortent de leur enfermement intérieur, ça les met en route, ils repartent à Jérusalem, ils ne peuvent garder cette Bonne nouvelle pour eux seuls, ils ont besoin de la transmettre à leur tour.

Est-ce que la résurrection c’est Bonne nouvelle pour nous ? Qu’est-ce que ça change pour nous ?

Peut-être il est bon de se redire ce que c’est que la résurrection : c’est la vie plus forte que tout mal, y compris plus forte que tous nos chemins de mort. C’est la promesse que Dieu nous fait que quoi qu’il nous arrive, et au cœur de ce qui nous arrive, la vie, en fait, est plus forte. Et qu’avec lui c’est sûr, mais c’est livré à notre foi c’est-à-dire à la confiance. Et que l’enjeu de notre vie à tous ça va être d’apprendre à voir cela, à le pressentir comme une réalité de vie qui nous rend vivant, justement, qui nous met ou nous remet en route, qui nous relève de ce qui nous clouait au sol, qui nous réveille et nous libère de nos peurs.

On fait parfois cette expérience. Il y a des rencontres ou des évènements de notre chemin de vie qui sont peut-être de cet ordre-là, d’un quelque chose de la vie qui nous a traversé et qui nous a donné d’y croire à nouveau, croire que la vie avait un sens, croire aussi que quelque chose qui nous dépasse et que nous pouvons nommer Dieu était là avec nous, comme une force intérieure, ou comme une paix qui nous met dans une sorte de joie profonde. Pour le dire autrement, quelque chose de l’ordre d’une libération intérieure. Ça s’appelle le salut.

Ça peut être aussi dans une expérience spirituelle plus ou moins bouleversante, ou comme une certitude intérieure qui s’impose à nous et qui peut nous faire dire à nous aussi : « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant en nous… » ?

J’aimerais vous partager un petit exemple personnel. Pendant mes longs mois de maladie, une de mes grandes questions existentielles c’était non seulement quel pouvait être le sens de tout cela mais quelle fécondité de mon ministère au cœur de cette traversée. Qu’est-ce que le Seigneur attendait de moi dans cet état ? Et je ne supportais plus les prières ou les textes de la Parole de Dieu ou les chants qui parlaient de « porter du fruit ». Jusqu’à ce que dans la prière je réalise que là où Dieu m’attendait c’était dans cet appel qu’il nous adresse en Jn 15 à « Demeurer en son amour ». Un appel qui m’était adressé au cœur de ma maladie et que je pouvais vivre vraiment, même malade.

Et là j’ai pu entendre la suite de ce que Jésus nous dit dans le même chapitre : « alors vous porterez du fruit ». J’ai compris qu’il ne s’agissait pas de porter du fruit à la force de nos bras et de tout ce qu’on peut faire nous, y compris avec un désir sincère d’évangéliser et d’annoncer Jésus Christ mort et ressuscité, y compris avec le désir de bien faire mon job de prêtre et à faire tourner une paroisse du mieux qu’on peut. Non. Ce que j’ai compris c’est que si je demeurais vraiment dans l’amour de Dieu, si je « demeurais » avec Dieu,  en Dieu, par la prière et l’écoute de la Parole et en vivant l’évangile concrètement avec celles et ceux avec qui je vivais, si je demeurais vraiment dans l’amour de Dieu, même malade, alors ça porterait du fruit. Pas de mon fait à moi, pas de mon faire à moi. Mais comme Dieu voudrait et permettrait.

Mes yeux se sont ouverts, mon cœur était comme tout brûlant. C’était une forme de libération, une forme de résurrection. Je n’y voyais pourtant pas plus clair, au sens où je n’étais pourtant pas plus guéri physiquement. Mais libéré, oui, libéré intérieurement et vraiment vivant, avec le Christ présent avec moi à ce que je vivais…

Alors… je vous le redis, je vous le redemande : c’est quoi nos tristesses ou nos désespérances ou nos doutes ou nos questions de vie et de foi du moment au cœur desquelles nous avons à nous laisser rejoindre par le mystère d’une présence, la présence du ressuscité ? C’est quoi que nous avons à déposer très concrètement de notre vie, dans la prière mais aussi avec le pain et le vin de l’eucharistie qui vont être offerts tout à l’heure sur l’autel de cette chapelle ?

Prenons le temps, là maintenant, dans le silence, ici à St Jo ou chez nous, prenons le temps de déposer tout cela pour demander au Seigneur qu’il nous soit donné de pressentir de façon renouvelée quelque chose de sa présence et de la vie qui est plus forte que tout… Et si nous avons déjà vécu des expériences de salut, si nous avons déjà fait l’expérience de rencontres ou d’évènements qui nous relevaient ou nous redonnaient confiance en Dieu ou en la vie, alors déposons-le aussi, en action de grâce. Que le Seigneur vienne là nous rejoindre chacun et qu’il nous donne sa paix... Amen, alléluia !

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L’illustration de ce post’ : Les pèlerins d’Emmaüs, icône écrite par Mickaël Greschny, détail, cadeau de départ des paroisses du Haut-Grésivaudan, été 2013.

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