29 Avril 2020
Certains se diront peut-être : “Enfin, ça y'est, il l'a vu !” Et bien oui ! Je résistais, je n'avais pas très envie, car je me doutais que ce ne serait pas très distrayant, sans doute plombant, et en même temps certains amis ou connaissances du diocèse m'y poussaient, encore ces derniers jours. Alors à un moment, ben faut y'aller, faut écouter l'appel !
Je ne regrette pas. Car mis à part l'un ou l'autre trait du jeu des personnages un peu (beaucoup) caricatural, c'est très juste il me semble – même s'il ne faudrait pas que certains croient trop vite que l'Eglise n'est que comme cela, il s'agit bien ici de dérive sectaire. En tout cas un film qui permet d'entrer dans les mécanismes d'abus qui peuvent malheureusement exister dans certains lieux ecclésiaux. Abus spirituel d'abord. Et emprise. Avec tout ce que ça veut dire de dépendance au “berger” et de manipulation, d'aveuglement aussi de la part de celles et ceux qui tombent dans le piège et ne voient pas le problème de ce qui est en train de se passer pour eux. Ils sont pris dans une sorte d'infantilisation qui en même temps est mêlée d'une forme de valorisation des bonnes actions de la personne qui fait bien ce qu'on lui dit....
Pour entrer un peu dans le concret, c'est l'histoire de Camille, cette jeune fille de 12 ans, passionnée de cirque, qui se retrouve avec sa famille à vivre dans une communauté nouvelle charismatique qui se révélera déviante. Certaines pratiques vont la heurter, dès le début, mais il faut suivre le mouvement, c'est pour le bien de tous. Et nous voilà entraînés dans des dérives sectaires qui riment avec emprise et abus spirituel. Et même avec abus sexuel, qui en sera une des conséquences et qui sera – c'est terrible – ce qui va permettre qu'on démasque l'ampleur de l'emprise, ce sur quoi les autorités vont pouvoir s'appuyer pour protéger alors les enfants.
J'ai trouvé ce film assez juste dans ce que ça met en oeuvre pour nous raconter cela. Sauf deux traits de mise en scène qui m'ont été insupportables : les bêlements des adeptes de cette communauté de la Colombe quand ils attendent leur “berger” – c'est tellement ridicule, même si ça veut montrer à quel point ils sont tous aveuglés par lui et par le vivre-ensemble communautaire qu'il induit – et ce côté exalté des membres de la communauté, tellement caricatural aussi... Dommage, me disais-je, sauf que cette pratique des bêlements, en fait, existerait bien dans certaines de ces communautés (cf. lien ci-dessous de Sarah Suco)...
Après, tout y passe de ce qu'on connaît des communautés nouvelles et qui peut interroger voire choquer, et sur quoi il faut de fait être prudent car on peut vite glisser vers des formes d'abus : prières d'anamnèse et de guérison de blessures familiales dont on n'avait pas conscience, prières de délivrance et même d'exorcisme – abusif, puisque dans nos diocèses seul un prêtre ou deux reçoivent ce ministère très officiellement de l'évêque ; qui veut pratiquer des exorcismes ne le peut en tout cas n'en a pas le droit –, le “parler-en-langues” qui peut tellement heurter qui ne sait pas ce que c'est et ce qui se passe alors, mais encore les temps de demande communautaire de pardon et d'aveu public des fautes, la coupure du reste de la famille, etc.
Un film qui pointe la difficile question de la vie de famille au sein d'une communauté religieuse, et particulièrement ici de la liberté de chacun à ce lieu-là même, parents vis-à-vis du “berger” pour l'éducation des enfants, et leur liberté à eux là dedans et vis-à-vis des membres et des pratiques communautaires. Sans parler des liens familiaux plus large mais aussi de la liberté de chacun au coeur de la manipulation de certains...
Camille ne va pas supporter, elle va vouloir dénoncer. C'est ici à la fois terrible et très beau, très bien interprété. Et en tout cas très intéressant pour comprendre les mécanismes de l'emprise et de l'abus.
Réalisé par Sarah Suco qui s'inspire ici de sa propre histoire, ce film vaut le coup, cinématographiquement, ce qui est un plus non négligeable ! Avec Camile Cottin, superbe, dans le rôle de Christine, la maman de Camille, qui pousse et entraîne sa famille dans cette communauté, avec Eric Caravaca dans le rôle de son mari, Frédéric. Avec encore Jean-Pierre Darroussin en “berger” de la communauté, très convainquant, et surtout Céleste Brunnquell, étonnante de justesse ou d'authenticité, dans le rôle de Camille.