14 Juin 2020
Solennité du St Sacrement du Corps et du Sang du Christ [Année A]
Dt 8,2-3.14b-16a / Ps 147 / 1Co 10,16-17 / Jn 6,51-58
Ce que nous célébrons ce soir, en fait il faudrait se taire face à un tel mystère. Il faudrait se taire tellement nos mots sont pauvres pour dire ce que le Seigneur lui-même veut nous en faire comprendre. Se taire, oui, car nos balbutiements risquent de n’être que des idées bien fades au regard de ce mystère…
Et pourtant, ce mystère, il concerne notre vie, on vient de l’entendre. Il concerne notre vie et même bien plus que cela, il concerne le sens de notre vie, et de notre vie pour toujours, notre vie tel que Dieu nous voudrait vivant avec lui. Parce que Dieu nous veut vivants, et vivants avec lui. Et si nous voulons pouvoir en vivre, de ce mystère, alors il nous faut consentir à balbutier quelque chose, sinon nous n’avancerons pas sur ce chemin que le Christ ouvre pour nous. Alors, promis, je ne me défile pas…
Et j’ai envie de commencer par une question : qu’est-ce que ça change dans notre vie ce mystère de l’eucharistie ? Avec cette autre question, peut-être : qu’est-ce que nous en comprenons un peu ?
De mes souvenirs de foi, je crois que ça m’a toujours intrigué et même fasciné, ce que nous célébrons chaque dimanche. Et me revenait ce matin un souvenir de ma 1ère communion, j’avais 7 ans, et je m’étais appliqué, comme un enfant sait parfois le faire, à réaliser une sorte de tableau avec les paroles de la consécration. « Ceci est mon Corps… Ceci est mon sang… Vous ferez cela en mémoire de moi… »
Qu’est-ce que je comprenais, franchement je n’en sais rien, et sûrement pas grand-chose. Mais mon cœur pressentait déjà qu’il y a là quelque chose de grand, quelque chose de vrai, de profond, quelque chose qui de fait – et je l’accueille comme tel –, donne aujourd’hui sens à ma vie.
Car si je suis prêtre, certes c’est pour vous, mais c’est aussi et d’abord, dans mon histoire vocationnelle, à cause de l’eucharistie. J’ai toujours pressenti que dans ce que nous célébrons ce soir encore il y a comme un condensé de tout le mystère de la foi. Tout est là, tout est donné. Et tout est à accueillir…
Et je ne sais pas vous, mais moi je veux vivre ! Mais pas vivre à la manière du monde en étant riche, puissant et je ne sais quoi d’autre, non, je veux vivre de ce que veux vivre veut dire. Vivre pleinement, vivre de ce qu’aimer et être aimé vient donner sens à toute vie.
Et c’est le 2ème souvenir qui m’est venu en priant ces textes ce matin : les moines martyrs de Tibhirine, en Algérie. Leur mort, l’année de mon bac, a profondément marqué mon histoire vocationnelle : ils ont donné leur vie comme le Christ, dans le don total d’eux-mêmes jusqu’au bout. Au nom de leur foi en Dieu qui se donne par amour. Et pour cette seule raison qu’est celle de l’amour. De Dieu mais aussi de ce peuple avec lequel il vivait, ce peuple d’Algérie qui était alors en proie à la guerre civile et à la violence.
Je me rappelle avoir été complètement retourné par leur mort, leur mort signant ce don total d’eux-mêmes par amour. Ça n’était pas qu’une belle histoire du passé, c’était vrai aujourd’hui encore.
Et c’est bien cela que nous célébrons à chaque eucharistie. Le Christ qui a consenti librement à aller jusqu’où la vie le menait, jusqu’à la mise à mort au nom même de l’amour qui se donne jusqu’au bout et qui vient bousculer nos certitudes y compris religieuses, le Christ qui s’est donné sans calculer, le Christ qui ne s’est pas défilé, qui n’a pas sauvé sa peau, non, mais qui a aimé jusqu’au bout et qui jusqu’au bout témoigne qu’aimer c’est se donner, qu’aimer c’est être fidèle à sa parole, quoi qu’il arrive, et qu’aimer ce sera toujours pardonner, jusque sur la croix...
Alors ce soir Jésus nous dit que manger sa chair et boire son sang, manger cette nourriture qu’il se fait pour nous, c’est pour vivre. Pour vivre éternellement. Non pas que nous n’allons pas mourir, mais pas de cette mort qui est la fin de toute vie. Non, mais de la mort qui devient avec lui passage de vie, passage en vie éternelle. Et c’est cela que Dieu veut pour nous, que nous vivions en vie éternelle.
Or qu’est-ce que la vie éternelle, demanderont un jour ses disciples à Jésus ? Réponse : C’est de connaître Dieu le Père, le seul vrai Dieu, et de connaître celui qu’il a envoyé, Jésus le Christ (Jn 17,3). Connaître au sens de comprendre pleinement qui il est et son projet de vie pour nous, mais plus encore vivre en relation d’intimité avec lui.
Et c’est promis dès aujourd’hui, dès maintenant. On l’a entendu dans l’évangile de ce soir quand Jésus nous dit – et c’est au présent – : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ». Et Jésus d’ajouter – encore au présent – : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi je demeure en lui ».
Et voilà l’inouï de ce que nous célébrons : Jésus demeure en nous par ce mystère qu’est l’eucharistie. Il demeure en chacun de nous, il se fait nourriture pour venir en nous et se faire notre force pour vivre à sa suite et vivre les appels de l’Évangile, mais aussi, c’est inséparable, il demeure en nous, nous tous, nous tous ensemble, nous qui devenons par notre communion au même pain son Corps qu’est l’Église, son Corps qui est le Temple de l’Esprit Saint, appelés ensemble à devenir ce que nous recevons, sa présence en ce monde pour que sa mission de salut continue, qu’elle soit annoncée en paroles et en actes, que nous soyons les mains du Père qui prennent soin et sa voix qui console et qui pardonne, qui remet dans la confiance et dans l’espérance, quelles que soient nos traversées.
Car voilà ce qu’il nous faut encore entendre ce soir et que la 1ère lecture veut nous donner à nous rappeler : que dans nos traversées parfois décourageantes et désespérantes, alors même que nous avions pu faire l’expérience peut-être de Dieu qui nous sauve mais que nous sommes en train de l’oublier, dans nos pertes d’un sens à ce que nous vivons, Dieu est là, et Dieu veut nous donner ce dont nous avons besoin pour tenir et avancer. Ce fut l’expérience de la manne au désert, ce pain qui préfigurait cette force pour tenir dans la confiance et l’espérance et pour avancer, pour continuer notre marche ici-bas, qu’est le Christ lui-même.
Quel mystère quand même !? … Et c’est vrai que nous n’y comprenons peut-être pas grand-chose… Il nous faut juste faire confiance. C’est ça d’ailleurs la foi, faire confiance…
Alors nourrissons-nous du Christ, nourrissons notre vie de ce qu’il est et de ce qu’il nous offre. Le pain de l’eucharistie mais aussi la Parole qui nous donne de connaître Dieu et de grandir en relation avec Lui. Contemplons qui est Dieu, contemplons Jésus dans cette Parole que nous entendons à chaque eucharistie.
Et apprenons toujours plus à l’écouter ensemble, par exemple en frat’ de la Parole, comme nous y invite notre évêque depuis plusieurs années et comme on le propose ici à St Jo. Je me permets d’insister une fois de plus – et comme dirait Emmanuel notre cher curé : « Je vous encourage » – parce qu’il en va de notre vie spirituelle et même, en fait, de notre vie tout court. C’est en Dieu et c’est dans une vie en réponse aux appels de l’Évangile que tout prendra sens petit à petit dans notre marche de chaque jour. Vraiment, je vous l’assure…
Alors… je reprends ma question du début : qu’est-ce que ça change dans ta vie ce mystère de l’eucharistie ? C’est quoi tes questions de vie et de sens de la vie où le Christ pourrait peut-être te rejoindre pour t’éclairer et t’accompagner, si tu veux bien lui faire cette confiance-là et le lui demander ?
Il veut vivre avec toi, il veut demeurer en toi, il veut porter avec toi le poids des jours. Alors fais-lui place, offre-lui ce soir encore ce qui t’habite, ce qui fait tes joies et tes difficultés. Confie-lui tes attentes, confie-lui tes espérances comme tes découragements. Ose croire qu’il peut être et qu’il est ta force pour vivre, si tu acceptes de lui faire cette confiance-là… Amen.