17 Septembre 2023
24ème dimanche du Temps Ordinaire - Année A
Si 27,30 – 28,7 / Ps 102 / Rm 14,7-9 / Mt 18,21-35
Je ne sais pas comment vous recevez la Parole de Dieu dimanche après dimanche, mais je sais par l’un ou l’autre que parfois ça vous paraît pas très concret, du moins pas très évident pour faire le lien avec votre vie de tous les jours, notamment votre vie d’étudiants et de jeunes Pros.
Ceci dit, avouez que parfois on aimerait que ce soit moins concret et peut-être moins exigeant que ce qu’on vient d’entendre ! Parce que pour le coup, c’est bien concret tout ça ! En tout cas si on accepte d’écouter pour de vrai et de regarder la vérité de nos relations les uns avec les autres… qui sont loin d’être toujours très simples ou très faciles…
Alors de quoi il s’agit avec ces textes de ce jour de la Parole de Dieu ?
Deux choses m’ont plus particulièrement frappé en méditant ces textes ce matin :
C’est quoi son problème, à Pierre ? Je crois qu’il trouve que les appels de l’Évangile et ce que nous demande Jésus c’est un peu trop, c’est trop exigeant. Et son problème, sa question, c’est lié à ce qu’on a entendu la semaine dernière quand Jésus a dit à ses disciples : « Si ton frère a commis un péché contre toi, va lui faire des reproches seul à seul. S’il t’écoute, tu as gagné ton frère. S’il ne t’écoute pas » etc. ; vous irez relire, c’est au chapitre 18 de St Matthieu (verset 15-20) et c’est très exactement ce qui précède la page d’évangile de ce jour.
C’est concret cette histoire : quelqu’un qui nous a fait mal ou qui nous a fait du mal. Et on ressasse, ça nous met dans une forme de rancune voire de colère – pour reprendre les mots de la 1ère lecture. Et on ressasse, et on juge l’autre ; pire : on en parle à d’autres, et on enferme l’autre dans ce qu’on lui reproche, et on trouve peut-être même du plaisir à ce que d’autres du coup fassent de même. Et on ressasse encore…
Vous m’excuserez mais c’est très concret, au boulot, entre amis ou en famille, ou dans je ne sais quel groupe auquel on appartient, y compris pour tel groupe ou engagement en Église auquel on participe. Ça nous arrive de médire les uns sur les autres, voire de « vomir » sur l’autre – excusez l’expression. Ça nous arrive, avouons-le. Et là il y aurait des chemins de pardon à vivre, des chemins de réconciliation à bien vouloir emprunter. Sauf qu’on ne veut pas toujours. Ou alors un peu, mais faudrait pas exagérer quand même !
Et c’est ça le problème de Pierre, c’est ça sa question ; pardonner une fois, deux fois, trois fois, ok. Jusqu’à sept fois, ok, à la rigueur. Mais tout le temps ? C’est-à-dire : pardonner vraiment, pardonner pour de vrai, chaque fois qu’il faudrait ?
La question qu’il y a derrière tout ça, l’enjeu pour notre vie bien concrète, c’est quoi ? C’est le salut ! Excusez ce « gros » mot, mais c’est vraiment ça la question, c’est vraiment ça l’enjeu. Le salut, c’est-à-dire : être libérés des chemins mortifères que nous empruntons ou sur lesquels les autres nous laissent. Être libérés, délivrés, de ce qui paralyse nos cœurs et nous empêche d’aimer l’autre ou de vouloir apprendre à l’aimer, à ne pas l’enfermer dans je ne sais quel jugement, au regard de je ne sais quelle réalité de ce qui a pu se vivre entre nous et qui, de fait, a pu faire mal – me faire mal ou lui faire mal.
L’enjeu c’est la guérison, si j’ose reprendre ce mot de la 1ère lecture. Être guéri de la rancune qui ressasse et fait que ça pourrit en moi – quand je dis « moi » je parle bien de vous et moi, de chacun de nous – ; être guéri de la rancune, donc, être guéri de cette colère aussi qui fait que ça prend toute la place ; être guéri, oui, pour avancer sur un chemin de paix… Un enjeu pour moi, donc – pour chacun de nous –, pour moi qui reproche je ne sais quoi à l’autre, mais aussi un enjeu pour l’autre, car l’autre n’est pas que ce mal qu’il a pu faire et me faire, l’autre n’est pas que ses erreurs ou ses difficultés relationnelles. L’autre, comme moi, est aimé de Dieu, malgré tout, malgré ses faiblesses et ses fragilités, malgré ce mal dont il est partie prenante parfois, comme moi…
C’est concret tout ça. Et c’est vrai c’est exigeant. Mais il y a un enjeu de vie. Ou pour le dire autrement : c’est une question de vie ou de mort. Et je n’exagère pas… Mon jugement sur l’autre à qui je refuse le pardon enfonce l’autre. Et quand je parle sur lui à d’autres et que ça l’enfonce encore un peu plus, c’est une façon de tuer l’autre – je n’invente rien, c’est Jésus qui le dit en Mt 5,21-22. Sauf que ça ne résout rien ! Et l’enjeu c’est de pouvoir nous en sortir, de nos histoires. C’est l’enjeu du pardon. C’est l’enjeu de la réconciliation – le mot « réconciliation », si on regarde l’étymologie, ça veut dire : « remettre des mots ensemble » : mettre des mots ensemble sur ce qui s’est passé, sur ce que ça a provoqué pour moi, sur ce que ça provoque entre nous et peut-être plus largement. Et l’enjeu c’est d’avancer, c’est d’en sortir grandis, chacun.
Et c’est comme ça que Dieu fait avec nous, c’est en tout ce cas ce qu’il veut pour nous dans notre relation à lui : il veut nous offrir inlassablement son pardon. On l’a entendu avec la parabole de l’évangile de ce soir. Il pardonne sans compter, il veut pour nous la vie, quoique nous ayons pu faire, il veut nous libérer du poids de la culpabilité de tout ce que nous aurions mal fait ou du mal que nous aurions fait, il veut nous remettre de ce en quoi nous en sommes en dette vis-à-vis de lui, son amour pour tous, son désir de salut pour tous… Il veut nous offrir son pardon ; et il nous appelle à en vivre à notre tour… Et l’enjeu, je le redis, c’est de pouvoir vivre, de pouvoir avancer sur le chemin chaotique parfois de nos vies, et l’enjeu c’est de permettre à l’autre aussi de se relever de ses erreurs, de pouvoir avancer et apprendre. L’enjeu c’est d’être relevés, lui comme moi, de ce qui peut nous clouer au sol, y compris ce mal que nous faisons, ce mal que nous nous faisons…
Chaque fois que nous récitons ensemble le Notre Père nous disons au Seigneur : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensé ». Non pas que le pardon de Dieu soit conditionné par notre capacité ou notre désir à vivre entre nous le pardon ; mais si nous voulons que Dieu nous offre ce pardon, que Dieu ne nous juge pas définitivement sur telle erreur ou tel acte que nous avons commis qui a pu faire du mal, comment pouvons-nous le lui demander si nous-mêmes nous ne voulons pas le vivre pour les autres ?
Je ne dis pas que c’est facile de pardonner. Vraiment. Et on a tous à avancer sur ce chemin et à demander à Dieu sa force pour cela. Mais je vois bien dans telle ou telle situation de nos vies à chacun ou de ce que les uns ou les autres vous avez pu me partager, je vois bien qu’il y a aussi à demander au Seigneur le désir du pardon, lui demander qu’il nous donner de vouloir pardonner l’autre là où nous ne le voulons pas, là où ça nous paraît trop difficile, voire là où on s’en fout de l’autre parce qu’on l’a jugé définitivement et sans appel… Quelle tristesse… parce qu’on voit bien combien on reste enfermé alors dans cette rancœur, cette rancune dont parlait la 1ère lecture…
Alors à qui doit-on pardonner chacun ? Quels sont ces chemins de pardon que nous aurions à vivre mais ça nous est impensable pour l’instant ? Envers qui nous avons de la rancune ou de la colère et finalement ça nous paralyse ?
Voilà pour qui et pour quoi il nous fait prier. Ou plutôt voilà le réel de là où nous en sommes que nous pouvons présenter au Seigneur, bien humblement, pour lui demander qu’il nous aide, lui demander qu’il éveille en nous un désir d’avancer et peut-être de pardonner. Et si rancune et colère il y a, si jugement qui condamne et qui refuse le pardon il peut y avoir aussi, alors demandons au Seigneur qu’il nous pardonne nous aussi, qu’il ne nous enferme pas là-dedans, qu’il nous souffle des chemins de vie. Demandons-lui cela, demandons-lui de grandir sur le chemin de vie qu’il nous propose. Petit à petit, pas à pas, en reconnaissant bien humblement combien ça nous est parfois difficile…
Je le redis, c’est un enjeu de vie et de mort. Pour l’autre mais aussi pour soi.
Et la question, du coup, n’est pas tant combien de fois dois-je pardonner, mais qui, pour de vrai, dois-je apprendre à pardonner et quel pardon ai-je à recevoir du Seigneur pour mes difficultés, parfois, à vouloir vivre bien concrètement ce chemin-là ?
Je suis sûr que pour un certain nombre d’entre vous y’a des visages qui vous viennent, des situations bien précises. Alors tout simplement confions-les au Seigneur, déposons tout cela dans le silence de la prière, là maintenant. Et dans cette eucharistie demandons-lui sa force pour tel ou tel pardon que nous avons à vivre ; et s’il fallait demandons-lui le désir de vouloir avancer, au moins un peu si ce n’est plus pour l’instant, le désir de bien vouloir avancer sur ce chemin qu’il nous propose.
Qu’il nous guérisse de nos paralysies, qu’il nous guérisse de tout orgueil, qu’il nous guérisse de toute rancune mortifère. Amen.