7 Janvier 2024
Dimanche 7 janvier 2024 – Épiphanie du Seigneur
Cathédrale Notre-Dame - Grenoble
Is 60,1-6 / Ps 71 / Ep 3,2-3a.5-6 / Mt 2,1-12
Jésus est né, il est là dans la crèche. Et comme les mages, nous voilà invités à le contempler qui est là, invités comme eux à le rejoindre et apprendre à le reconnaître en sa royauté. Mais quelle royauté ? Ce sera d’ailleurs la question qui parcourt tous les évangiles : qui est-il ce Jésus, fils de Joseph, de Nazareth ?
Comme les mages nous sommes invités à nous approcher du Christ pour le reconnaître et le célébrer comme le Messie de Dieu, le Fils de Dieu, mais comme eux et pour ce faire, il nous faut nous laisser déplacer. Eux ont suivi une étoile, nous il nous faut écouter vraiment ce récit, comme si c’était la première fois. Et ça n’est pas facile, car nous la connaissons bien cette histoire, peut-être même trop pour entendre vraiment. Alors je vous propose tout simplement de cheminer tranquillement avec nos mages en nous arrêtant sur l’un ou autre détail qui n’en sont pas et qui sont comme des « bizarreries du texte » qui devraient nous interroger…
Première chose que nous écoutons « la bouche en cœur », comme une évidence, c’est le fait que nos mages cherchent celui qu’ils appellent « le roi des Juifs ». C’est la vérité, nous le saurons notamment à la fin des évangiles quand nous contemplerons la Croix sur laquelle Pilate fera inscrire cette mention. Mais eux, qu’en savent-il ? D’autant plus qu’ils vont rencontrer celui qui porte en ce temps-là le titre de roi en cette terre des juifs, Hérode ?
Il nous faut entendre, nous, que Jésus est « roi des Juifs ». C’est à nous que Dieu veut le dire par sa Parole. Jésus est roi, car c’est Dieu le roi véritable de son peuple, et Dieu n’a consenti à donner un roi au peuple que sous la pression de celui-ci qui voulait être comme les autres nations – vous irez relire 1S 8 – ; c’est Dieu donc, le roi véritable de son peuple. Et Jésus, Dieu-roi qui vient nous visiter, est bien Juif, fils de ce peuple façonné par les Écritures et les attentes messianiques, fils aussi de la libération d’Égypte.
Là vous êtes peut-être en train de vous dire : mais pourquoi il rajoute cette précision ? Bonne question ! A cause de cette deuxième « bizarrerie du texte » que je relève : ce détour par Jérusalem et par la rencontre d’Hérode. Pourquoi donc ?
Pourquoi Dieu prend-il se risque, lui connaît les intentions des cœurs, quand on sait, nous, qu’Hérode est le roi du martyre des innocents, à cause de la peur, la peur de cet autre roi qu’on lui annonce ? D’ailleurs Dieu va inspirer en songe à nos mages de ne pas retourner voir Hérode et ils vont rentrer par un autre chemin. Mais pourquoi ce détour par Jérusalem, pourquoi ce détour par Hérode ?
Pour aller au Christ, il nous faut faire le détour des Écritures, il nous faut passer par l’Alliance première et par les attentes messianiques. Jérusalem en est le signe. Et c’est d’ailleurs à Jérusalem que les mages vont trouver la route vers Bethléem car on y ouvre pour eux les Écritures. Elles sont le chemin le plus sûr pour connaître le Christ, pour comprendre qui il est et quel est le projet de Dieu. Il nous faut entrer dans la longue Histoire sainte qui nous précède.
Il ne suffit pas de suivre nos intuitions du cœur ou de vivre de petit signe en petit signe que nous aurions eu la grâce de recevoir. C’est d’ailleurs une autre des « bizarreries du texte » que nous entendons sans trop l’entendre : cette histoire d’étoile dans le ciel. Qu’ont vu nos mages, comment l’ont-ils vu, que cherchaient-ils d’ailleurs en scrutant les étoiles, on ne sait pas, et ça n’intéresse pas notre texte. Mais ce petit quelque chose sans doute à peine visible ou perceptible qui les conduit, certes ça les a mis en route c’est donc important, certes ça dit quelque chose peut-être d’une intuition intérieure, car là est notre Ciel véritable, dans le cœur ; car l’étoile qui vient et qui éclaire les ténèbres de nos vies, c’est justement le Christ – on l’entendait dans la nuit de Noël avec le prophète Isaïe, et la 1ère lecture de ce jour nous en a redit quelque chose.
Mais on peut se perdre ou s’arrêter en chemin, seul avec nos intuitions ou les signes que nous aurions vus. Seul, même à trois. Et cette page d’évangile nous rappelle et nous donne à entendre que nous ne pourrons pas nous épargner ce détour par les Écritures pour découvrir et comprendre qui est le Christ Jésus et pour entendre où le trouver.
Et c’est bien pour cela que dimanche après dimanche et même jour après jour nous sommes appelés à nous arrêter au cœur de l’eucharistie pour écouter l’Histoire sainte et y entrer, écouter et entendre Dieu qui veut là nous parler aujourd’hui et qui se donne à contempler pour se faire notre maître et que nous avancions en apprenant à répondre à ses appels. Voilà pourquoi nous faisons ce détour par la liturgie de la Parole à chaque eucharistie.
Voilà pourquoi aussi il nous faut apprendre à ruminer et cette Parole et la laisser nous nourrir. Pas seulement l’écouter bien sagement à la messe, mais comme nous y invitait le P. de Kerimel dans sa lettre pastorale de 2013 nous retrouver régulièrement à quelques-uns pour apprendre à entendre ensemble ce qui se dit de Dieu, apprendre aussi à entendre ce qu’il me dit à moi aujourd’hui par cette Parole, et faire monter vers lui la prière qui jaillit alors de notre partage. Ça s’appelle des « fraternités de la Parole » et je ne peux que vous encourager à vous y mettre, on peut toujours ! Il suffit d’être 4-5 du même quartier ou de la même rue, et de se réunir de temps en temps. Le diocèse propose même des fiches pour chaque semaine…
Fin de la pub et je reviens à Hérode. J’ai dit tout à l’heure à propos de la mention « roi des Juifs » que Jésus est fils de ce peuple d’Israël, fils de la libération d’Égypte. Dieu qui se révèle le Dieu sauveur. C’est la figure d’Hérode qui nous permet d’entendre déjà cela, que la mort et la résurrection de Jésus nous révèlera pleinement.
Parce que si Hérode est celui qui va mettre à mort les enfants nouveaux nés du peuple d’Israël, par peur de ce roi nouveau, rappelez-vous cet autre roi puissant qui va mettre à mort tous les enfants premiers nés d’Israël pour se mesurer à Dieu lui-même : c’est Pharaon. Rappelez-vous, le début du livre de l’Exode, Dieu qui entend la misère et le cri de son peuple, Dieu qui appelle Moïse à conduire le peuple et à sortir d’Égypte. Dieu qui va se révéler comme le Dieu sauveur. Jésus – « Dieu sauve », c’est son prénom – Jésus est le nouveau Moïse, celui qui annonce la libération pour le peuple et pour toutes les nations qui sont appelées à devenir en lui l’Israël nouveau ; il est celui qui vient et qui veut nous libérer de tout ce qui nous asservi et nous enferme, tout ce qui nous recroqueville ou nous paralyse ou nous cloue au sol, tout ce qui nous empêche de vivre pleinement, d’être des vivants debout et en marche avec lui. Vous reconnaissez là ses promesses de vie éternelle, ses promesses de salut qu’il va ouvrir pour nous et faire advenir dans le don de sa vie par amour pour nous jusqu’au bout.
Et bien figurez-vous qu’on rejoint là une autre « bizarrerie du texte », celle des cadeaux que les mages font à Jésus, ces présents qu’ils lui offrent.
L’or, on voit bien, c’est la royauté. L’encens on comprend assez facilement je crois qu’il s’agit de l’offrande du Temple et donc la question de la prière et du lien entre Dieu et les hommes : le Christ Jésus, cet enfant nouveau-né de la crèche, c’est bien l’unique médiateur, le seul Grand prêtre de la nouvelle Alliance – comme dira l’épitre aux Hébreux.
Et la myrrhe alors ? C’est un cadeau déroutant qui devrait nous perturber ! C’est le parfum pour embaumer les morts ! C’est quoi cette histoire ? Ce présent est une confession de foi prophétique : cet enfant nouveau-né, ce roi, ce Messie de Dieu, c’est la mort qui va lé révéler pleinement en ce qu’il est et ce pour-quoi il est venu. La mort comme passage de vie. Mort et résurrection. Le cœur de notre foi, ce que nous célébrons et confessons chaque fois que nous célébrons l’eucharistie. Un mystère qu’il nous faut apprendre à connaître petit à petit, qui va nous façonner de messe en messe et d’année en année, si nous acceptons de nous laisser faire par Dieu lui-même, à l’écoute de sa Parole qui va venir préparer nos cœurs et nous donner de vivre en paroles et en actes ce que nous célébrons, et à devenir chacun et surtout ensemble ce que nous allons recevoir tout à l’heure en cette eucharistie : le Corps du Christ, c’est-à-dire sa Présence au milieu de son monde.
Je fais là un dernier lien avec Hérode et le détour par Jérusalem : avec le Christ nous devenons le Temple nouveau, le Temple de Dieu, le « lieu » de sa présence qui doit être signe au milieu des nations de l’existence et de la présence de Dieu, ce Dieu qui vient et qui veut nous visiter, ce Dieu qui veut naître aujourd’hui encore en ce monde qui en a tant besoin, pour y apporter le salut. Et ça c’est notre mission, Jésus le redira avec force après sa résurrection.
Alors que retenir de tout cela. Qu’est-ce que j’ai voulu vous donner à entendre ? Une seule chose : comment écoutons-nous et scrutons-nous les Écritures ? Comment est-ce que nous acceptons de nous laisser conduire par Dieu lui-même en sa Révélation ? Comment nous lui permettons de se révéler à nous aujourd’hui encore et d’avancer avec lui dans une connaissance toujours à approfondir de qui il est et de ce à quoi il nous appelle ? C’est la question de l’adoration véritable, c’est la question de la place de la Parole de Dieu dans notre chemin de vie avec le Christ…
Je vous laisse méditer… et offrir au Seigneur, là maintenant, ce que ces mots et ces lectures de ce jour viennent éveiller en vous. Nous le déposons bien humblement auprès du Seigneur. Et nous lui demandons sa lumière, qu’il éclaire le pas que nous avons à poser pour mieux le rejoindre et nous laisser rejoindre. Amen.