Ce livre est un appel. Qui va bousculer. Parfois même agacer peut-être. En tout cas interpeler, déranger, inviter à faire un pas de côté. Je l’ai reçu comme tel.
Ce livre se présente comme un acte de réception de ce que la théologie de la libération appelle pour nous aujourd’hui. Et il veut nous aider à entendre – et à prendre au sérieux – l’appel que le Christ nous fait à donner première place aux « pauvres ». Pas tant pour faire des choses pour eux, ni même avec eux seulement, mais croire que ce qu’ils vivent, ce qu’ils ont à dire, et ce que ça vient bousculer pour nous, c’est appel de Dieu, et qu’il en va non seulement du Royaume auquel nous sommes appelés, mais de l’Eglise elle-même, ici-bas – si j’ose cette expression pas forcément très juste.
Ces pages ne sont pas très simples à lire, autant le dire. Mais c’est, par certains côtés, intéressant même si c’est pas mal questionnant. Et autant le dire aussi : ça m’aura pas mal agacé par moments, car je ne sais toujours ce qu’on veut dire par exemple quand on parle des « pauvres » – quels pauvres ? même si l’auteur tente ci ou là de préciser le propos – ni même quand on parle de leur « autorité » – l’autorité de leur parole, face ou en complémentarité à l’autorité ecclésiale ; mais que met-on derrière ce mot, ou plutôt derrière ces expressions : est-ce que c’est bien du même ordre ou n’y a-t-il pas une sorte de confusion dans l’emploi d’un même mot pour des registres différents, qui sont certes à articuler, et qui seraient l’un l’autre critère de « vérification » ou de discernement d’une juste annonce du Royaume et d’un juste positionnement pour la mission ?!
Entendons en tout cas l’appel – c’est le sous-titre – : Hors des pauvres pas de salut ! Entendons aussi l’urgence non seulement de l’annonce du Royaume mais de son accueil dans le réel concret de notre vie et donc de notre vie ecclésiale ! Et entendons que si nous prenons au sérieux ces pages et ce double appel, alors notre Eglise, et donc nous, allons être acculé à nous laisser bouger et à quitter nos sécurités. Au nom même de l’Evangile et d’une annonce en actes du salut.
Concrètement, même si c’est dense et pas toujours très simple à lire – du moins, pour moi – notons que l’auteur se veut pédagogue, avec un plan plutôt bien annoncé et bien repris pas à pas, de chapitre en chapitre et de sous-partie en sous-partie, avec des « conclusions » intermédiaires qui résument le propos et appellent la suite. Pour le détail du plan (et du coup des éléments plus concrets de contenu) c’est en bas de ce post’.
Cette lecture, alors que le Synode sur la synodalité appelle maintenant des suites, vient me confirmer dans une conviction que j’ai : l’enjeu de tout ce travail synodal de ces dernières années, ce n’est pas tant nos modes d’organisation et nos structures (la gouvernance par exemple), mais comment nous vivons l’Evangile et comment nous nous faisons proches des uns et des autres pour marcher ensemble. Et pour ce faire : comment nous discernons à quoi et vers qui l’Evangile nous appelle et nous envoie aujourd’hui, de quoi nous avons besoin pour nourrir ce chemin de foi et de mission, et comment nous écoutons vraiment chacun, y compris ceux qui se sentent plus loin, moins dignes d’être écoutés ou même avec nous, ceux que la vie isole, etc. etc.
Dans mon diocèse de Grenoble-Vienne, notre évêque nous invite à trouver un nouvel élan pastoral par le prisme des plus pauvres et notre relation à eux. Ce livre peut nous offrir une base à une réflexion théologique, et nous aider à nous questionner et peut-être mieux réfléchir et appréhender ce qu’est le Royaume et ce que la place faite aux « pauvres » – réellement faite aux pauvres – vient appeler et décaler de notre regard habituel et de nos mode de vie ensemble, en Eglise. Après... pas si simple à vivre, mais justement, laissons-nous bousculer, laissons-nous interroger et essayons d’avancer, pas à pas.
Ce livre m’aura en tout cas fait reprendre conscience de tout cela, même s’il me laisse un peu songeur dans la façon d’essayer de nous dire les choses ; et ça m’aura fait l’effet d’une sorte d’électrochoc. Car la question est réelle : quelle place faisons-nous aux « pauvres », comment les écoutons-nous et les associons-nous à notre vivre-ensemble, comment nous laissons-nous enseigner aussi par eux et leur foi – qui me paraît être parfois plus simple et confiante que celle de nos questionnements un peu intellectualisants et de certains de nos combats qui peuvent être idéologiques et souvent un peu autocentrés...
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François Odinet, Maintenant, le Royaume, Desclée de Brouwer, août 2024, 175 pages, 16€90.