Homélie lundi 19 juin 2018

Lundi de la 11ème semaine du Temps Ordinaire

Maison Ste Thérèse (Bruxelles)

 

1R 21,1-6 / Ps 5 / Mt 5,38-42

 

Dans cette page d’Evangile qui se conclura et trouvera son aboutissement dans l’appel que nous entendrons demain à aimer même nos ennemis, dans cette page d’Evangile, donc, Jésus nous invite à sortir de nos logiques bien humaines et impulsives de vengeance et de rétribution, il nous invite à sortir du cercle vicieux de la violence.

 

Si nous regardons notre enfance ou notre histoire personnelle, à mon avis on sait tous ce que ça veut dire cette histoire de cercle infernal de la violence, nous avons tous fait, sans doute, l’expérience de vouloir – ou même de le faire – l’expérience de vouloir rendre la violence reçue, ou au moins de sentir ce bouillonnement en nous qui nous pousserait à rendre le coup reçu, qu’il soit physique, verbal ou psychologique. Et vous verrez que même en paroisse ça peut nous arriver face à certaines situations qui nous exaspèrent… Je pense qu’on a tous vécu ça, cette violence en nous à vouloir rendre le coup ou à chercher comment se venger d’un sale coup…

 

La Loi du Talion – le « oeil pour oeil, dent pour dent » – était déjà un progrès d’humanité, une façon de limiter l’engrenage de la violence, une façon de sortir de l’escalade de la violence.  En même temps que c’était une façon de rappeler à chacun le prix de toute vie. Car si je frappais quelqu’un et que ça lui coûtait un œil, je savais qu’il avait le droit de me frapper tout autant en retour jusqu’à ce que je perde moi aussi le même œil. C’est comme si cette Loi du Talion invitait déjà à prendre conscience de ce qui est en train de se jouer entre nous, prendre conscience de notre humanité et donc de notre dignité, en limitant la violence. [*]

 

Mais ça ne suffit pas, nous sommes toujours quand même dans cette logique de violence et de vengeance. Jésus nous invite à en sortir. Devenir des artisans de paix, disait-il dans les Béatitudes, au début de ce même Sermon sur la montagne. Et ce sera d’ailleurs une des premières paroles de Jésus après sa résurrection : « La paix soit avec vous »...

 

Être des artisans de paix. Et pour cela sortir des logiques infernales de vengeance et de juste et égale rétribution… Comment faire ?

 

C’est la suite de notre texte. Les exemples que donne Jésus font référence à des lois juives et romaines. Frapper sur la joue droite, c’est frapper du revers, car chez les juifs on frappe toujours avec la main droite, la gauche c’était pour les tâches considérées comme viles. Frapper sur la joue droite, frapper du revers de main, c’était un geste de mépris, d’abaissement et d’exclusion, un geste à destination des esclaves et de celles et ceux qui étaient jugés comme impurs, celles et ceux qui n’étaient pas du peuple juif. Frapper sur la joue gauche, l’autre joue, c’était au contraire frapper avec la paume de la main, c’était un geste réservé aux proches et plus largement à tout autre juif, un geste moins violent...

 

Eh bien quand Jésus nous dit « si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre », Jésus invite finalement à rester droit face à l’autre, et il invite à obliger l’autre à se demander ce qu’il est en train de faire avec moi… Et c’est la même chose dans les deux autres situations dont Jésus parle ensuite :

 

· le manteau, c’était le seul bien que la loi juive interdisait d’enlever à une autre personne, car le manteau servait de couverture pour la nuit, c’était un signe concret de la dignité de la personne.

 

· Et cette histoire de mille pas fait référence à la loi romaine qui permettait à l’occupant de réquisitionner qui il voulait pour porter ses bagages ou ses marchandises, mais pas plus de mille pas, pour ne pas faire abuser de l’autre et peut-être risquer sa mort.

 

Jésus invite à sortir de la violence et de la vengeance en invitant à un « plus », mais pas au « plus » spontané qui est un « plus » de mal. Non, un autre « plus », une autre voie... « Tu exiges ceci de moi ? Alors je te donne cela en plus »… C’est une façon d’obliger l’autre à se demander ce qu’il fait et qui est là en face de lui qui lui répond ainsi…

 

Il me semble que dans ces appels un peu bousculant que Jésus nous adresse ici c’est finalement lui, Jésus, que nous pouvons contempler. Il est celui qui ne va pas esquiver la violence contre lui, qui ne va pas sauver sa peau, mais aller jusqu’au bout, celui qui ne va pas subir non plus cette violence et cette injustice de sa condamnation à mort mais consentir librement et par amour, pour nous sauver du mal. Celui qui donne plus que son manteau puisqu’il se donne lui-même et qu’il donne sa vie pour nous, celui qui marchera mille pas et plus encore en portant sa croix jusqu’au lieu de sa mort et de notre salut…

 

Alors dans cette eucharistie, ce matin, où nous célébrons et faisons mémoire de cet acte de salut pour nous et pour le monde, peut-être que nous pouvons tout simplement déposer, avec le pain et le vin, nos violences intérieures ou nos histoires violentées, nos soifs de justice et de réparation, nos difficultés aussi à être artisans de paix en apprenant à aimer même nos ennemis, c’est-à-dire à aimer de cet amour même du Christ qui offre à chacun d’être relevé et de découvrir que quoi qu’il arrive toute vie a du prix. Amen.

 

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[*] Cf. Jean-Pierre Sonnet, jésuite (ancien professeur à lInstitut dEtudes Théologiques de Bruxelles) cité dans Entrer dans lEvangile pour sortir de la violence de Benoît et Ariane Thiran-Guibert, éditions fidélité, novembre 2015, p.34 (1ère édition 2006).

Tout lensemble de pages de commentaire de cet extrait de Mt 5 (p.33-48) est fort intéressant et a inspiré une partie du propos ci-dessus.

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