14 Mai 2019
Je crois qu'il serait bon que beaucoup dans l'Eglise catholique (et plus largement, pourquoi pas) lisent ce livre. Il est né d'une colère au coeur de la crise des abus que traverse l'Eglise, fruit d'une colère aussi à l'écoute de beaucoup de victimes et du silence assourdissant de responsables...
Ce livre est à la fois un constat de ce que met en évidence cette crise, de l'appareil juridique de l'Eglise pour y répondre, des manquements de celle-ci et de celui-là, des questions théologiques qui se posent. Bref, des enjeux. Et c'est en même temps une réflexion quant au chantiers qui s'imposent à nous, qu'ils soient institutionnels et structurels mais encore spirituels et moraux (au sens de l'agir chrétien et donc de son positionnement et son dialogue avec le monde et avec chacun, quel que soit son chemin, et donc avec les plus petits et les plus fragiles, dont les victimes d'abus).
C'est passionnant. Appelant. Un livre que nos responsables d'Eglise devraient lire et travailler, comme une base de réflexion qui les aiderait à mieux cerner les enjeux, avec un regard autre que le seul leur, mais également à relire où ils en sont dans leur diocèse ou leur communauté religieuse quant à la formation et au discernement des séminaristes ou des novices, quant à l'exercice de l'autorité et de la gouvernance, quant à la place laissée aux femmes dans une “refondation” plus ajustée de la complémentarité des ministères et des formes d'engagements de tous, dans une saine articulation du sacerdoce ministériel avec et au coeur du sacerdoce commun de tous les baptisés, etc.
Comme le dit autrement l'avant-propos de Jérôme Cordelier (rédacteur en chef au Point) : “Ce livre est né [d'une] colère, aujourd'hui largement partagée. Il n'a, toutefois, pas pour objectif de juger mais de comprendre et, surtout, de proposer quelques pistes de réflexion pour empêcher que le scandale perdure et... se répète. Il ne se veut pas une dénonciation de plus (...), il s'agit d'aller plus loin, de réfléchir aux racines du mal, aux facteurs théologiques, et pas seulement institutionnels, qui l'ont rendu possible. Le but de ces pages est de poser le débat, d'ouvrir largement ses contours et de proposer une voie de renouveau spirituel” (p.13)...
Concrètement ce livre s'ouvre par une introduction qui est à la fois une présentation de l'auteur et de son chemin de foi – d'où elle nous parle, pour le dire autrement – ; un petit chapitre intitulé “Mon Credo”. Suivent ensuite deux partie : “Faire face” (les enjeux de la crise et les constats) puis ”Vers un renouveau spirituel” (les chantiers qui s'ouvrent). En annexes on trouve enfin quelques textes complémentaire dont un extrait d'une conférence du fr. Adrien Candiard (dominicain) à l'assemblée générale de novembre 2018 de la CORREF (Conférence des religieux et religieuses de France) dont notre auteure est l'actuelle présidente.
Le ton n'est pas polémique, et on ne tombe pas dans les combats parfois un peu (ou beaucoup) idéologiques qui fleurissent partout sur les réseaux sociaux que j'appellerais (un peu vite) anti-institution ou anti-structure, anti-célibat aussi voire anti-ministères. Non. Tout cela est interrogé, oui, mais le but n'est pas de tout déconstruire, mais bien d'envisager un renouvellement au plus près de l'Evangile et de ce que cette crise nous permet d'entendre comme appels de celui-ci (p.154 : “Il ne s'agit pas seulement de produire un remaniement de la structure qu'avant tout un changement d'état d'esprit”).
Deux phrases me donnent plus particulièrement à penser, parmi tout ce qui est exposé dans ces pages et qui a vraiment son importance :
1. Un des enjeux de ce qui nous attend et qui doit être un style de vie chrétienne résolument évangélique : “faire hospitalité à la vulnérabilité” (p.133), celle des victimes d'abus (dont il est question alors dans ce chapitre d'où est extraite cette citation) mais aussi et en fait celle de chacun, dans la vérité de qui nous sommes, de notre histoire, de nos blessures, etc.
2. Autre chantier : “Redevenir (être) des serviteurs de l'humain en sa vulnérabilité et sa dignité intangibles” (p.149). L'humain quel qu'il soit, quelle que soit son histoire...
Enfin, une réflexion qui m'est venu (à la lecture des p.142-143) à propos de l'autorité et la gouvernance dans l'Eglise, avec la question du sacerdoce commun de tous les baptisés et les ministères, celle aussi de la place des femmes dans l'Eglise : penser (repenser ou penser toujours mieux) l'autorité comme service de la communion, dans une collégialité et complémentarité des charismes, des ministères et des états de vie qui soit au service de la croissance personnelle et communautaire de chacun, en réponse aux appels de l'Evangile.
Je vous laisse méditer... et surtout lire ce livre si vous le pouvez. Car on n'y perd vraiment pas son temps.
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Véronique Margron (avec Jérôme Cordelier), Un moment de vérité, Albin Michel, mars 2019, 186 pages, 18€.