Homélie Jeudi Saint 2021

 

Jeudi Saint 1er avril 2021

[Carmel ND de Surieu]

Ex 12,1-8.11-14 / Ps 115 (116b) / 1Co 11,23-26 / Jn 13,1-15

 

Ce soir-là, les disciples ont dû être un peu perplexes, peut-être même un peu perdus. Ce qui rejoint la question que Jésus leur pose : « Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous ? »

Si Jésus parle là de ce geste du lavement des pieds, qui normalement est fait par un serviteur et avant le repas, et si ça a pu surprendre les disciples – tous, même si seulement Pierre ose interroger le Maître –, il n’y a pas que cela qui a dû les laisser songeurs et un peu perdus. Je pense aussi à ces paroles sur le pain et le vin que Paul nous a rappelées dans la 2ème lecture, ces paroles sur le corps livré et le sang versé.

C’est sûr que cette année-là, ce jour-là, le rituel de la Pâque fut pour eux bouleversé... Et qu’ont-ils bien pu comprendre ?

Nous, nous avons l’habitude – si je puis dire. On connaît ces paroles – on les entend jour après jour –, et on le connaît ce geste du lavement des pieds ; mais essayons d’imaginer la scène. Qu’ont-ils pu comprendre de ces paroles pour le moins énigmatiques que Jésus prononce et qui ne peuvent prendre sens qu’une fois son corps livré et son sang versé, ce sera demain, sur le bois de la Croix. Et encore, il faudra faire les liens, pour entrer dans ce mystère qui là se dit et s’annonce en même temps qu’il se dévoile.

Qui d’entre nous peut d’ailleurs affirmer qu’il comprend vraiment ce qui, là, se joue ? Il y a bien un mystère dans lequel nous sommes appelés à entrer petit à petit, au fil des années, un mystère auquel consentir et dans lequel mettre notre foi, un mystère par lequel nous laisser façonner, jour après jour, pour nous laisser configurer au Christ qui nous appelle à sa suite.

Car c’est bien ce qu’il dit à propos du lavement des pieds : « Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous ? Vous m’appelez Maître et Seigneur, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous ».

« C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous »

L’exemple à suivre, si c’est bien ce geste, comme Jésus nous le dit, c’est ce geste dans tout ce qu’il signifie. C’est un geste eucharistique, ou plutôt l’eucharistie ne peut se comprendre que dans ce geste et c’est toute notre vie qui doit en être un reflet et plus que cela, une continuation.

Ce geste du lavement des pieds dit corporellement le mystère de l’incarnation. Dieu s’est abaissé à hauteur d’homme, Dieu est venu nous rejoindre pour nous sauver, pour nous dévoiler son amour sauveur et nous y appeler.

Et quand Jésus annonce et révèle son corps livré et son sang versé, c’est l’accomplissement plénier, total de sa vie déjà donnée, par amour, sa vie qui est déjà complètement donnée ; et ce qu’il va vivre c’est l’abaissement ultime, plénier et total, jusque dans la traversée du mal et de la mort. Nous le savons, c’est vrai, mais nous n’aurons jamais fini d’en laisser résonner toutes les harmoniques, d’en comprendre toute la portée, et surtout d’en vivre à notre tour.

Le Christ s’est abaissé. Et il se donne jusqu’au bout par amour. Il consent à son corps livré et à son sang versé pour notre salut. Que nous puissions le recevoir et être assurés de la victoire de la vie sur le péché, le mal et la mort, quoi qu’il arrive, et que nous puissions alors l’annoncer mais aussi le vivre à notre tour : devenir sa présence ressuscitante en ce monde pour celles et ceux que Dieu mettra sur notre route et qui en ont besoin.

Voilà pourquoi il nous appelle à faire de même, à faire de notre vie un lavement des pieds. C’est cela aimer, c’est cela l’appel à aimer comme il nous a aimé : nous abaisser à hauteur de l’autre pour prendre soin de lui, pour prendre soin de ce qui en lui est fatigué par la route de sa vie, ce qui est blessé par les pierres de son chemin. Pour qu’il trouve le repos et la paix et qu’il puisse se relever.

C’était ça le sens du lavement des pieds pour l’hôte qui arrivait : il avait pu marcher longtemps sur des chemins en terre ou pierreux et ses pieds devait être sales et fatigués…

Prendre soin, à hauteur de l’autre qui n’en peut plus et qui désespère parfois de la vie ou de lui-même. Et qui peut être laissé pour mort au bord du chemin…

Prendre soin à hauteur de l’autre… Voilà ce que Dieu a voulu nous révéler, voilà ce que Jésus manifeste par toute sa vie et qui le conduit à la mort. Voilà l’appel qui nous est adressé à nous livrer nous aussi, nous livrer corps et âme dans la rencontre de l’autre, donner notre vie, et par là-même être témoins de Dieu qui prend soin aujourd’hui encore, notamment par nos mains, et qui veut faire de nous tous des vivants. Dans l’aujourd’hui de nos vies et pour toujours.

Dans cette eucharistie, aujourd’hui, demandons au Seigneur qu’il soit notre force pour cela, qu’il soit notre force pour vivre de ce salut, et qu’il soit ce salut pour nous et pour celles et ceux qu’il mettra sur notre route. Qu’il nous donne d’oser aimer l’autre quel qu’il soit, qu’il nous donne d’apprendre à l’aimer, en nous donnant, en nous mettant à la hauteur de là où il en est – l’autre avec qui nous vivons comme l’autre qui frappe à notre porte ou que nous trouverons sur le bord du chemin.

Que nous soyons ce que nous devenons à chaque eucharistie : le Corps du Christ. Que nous le soyons chacun et ensemble, en communauté et en Église. Que nous vivions vraiment ce que nous célébrons, que nos vies soient eucharistiques.

Comme dit fr. Christophe de Tibhirine : « N’être plus que le geste seul qu’il me faut devenir eucharistie » [*]…

Alors entrons et avançons avec le Christ dans l’offrande ultime et totale de lui-même, par amour. Suivons-le pas à pas, contemplons-le en ces jours saints, et laissons-nous renouveler plus encore dans le mystère de sa mort et de sa résurrection, sa vie donnée pour nous et pour la multitude. Amen.

 

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[L’illustration de ce post’ est de Tony Castro, de la Communauté catholique (brésilienne) Reine de la Paix, juillet 2017 – cadeau à l’occasion de mon départ de la Paroisse St François d’Assise.]

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[*] fr. Christophe (Lebreton), moine-martyr de Tibhirine, « Devenir », Aime jusqu’au bout du feu. 100 poèmes de vérité et de vie, éditions Monte-Cristo, 1997, p.21.

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