20 Juin 2021
12ème dimanche du Temps Ordinaire / Année B
Jb 38,1.8-11 / Ps 106 (107) / 2Co 5,14-17 / Mc 4,35-41
C’est l’histoire d’un « saisissement » … Non seulement pour Paul, dans la 2ème lecture, mais aussi pour les disciples de l’Évangile, dans leur barque.
St Paul le dit : « l’amour du Christ nous saisit quand nous pensons qu’un seul est mort pour tous. Car le Christ est mort pour tous ».
Je ne sais comment nous recevons ces mots, mais je perçois que pour Paul se joue une sorte d’amour enflammé, une stupéfaction qui fait qu’il y a pour lui un avant et un après de la rencontre du Christ et de sa foi en ce don de sa vie que le Christ a vécu jusqu’au bout, par amour et au nom même de l’amour sauveur du Père qu’il a annoncé et révélé. Et St Paul est bouleversé par cela, sa vie entière en a été retournée, chamboulée. Il est cette « créature nouvelle » dont il parle, il a été « retourné comme une crêpe », si j’ose cette expression un peu familière. Il a été saisi par l’amour du Christ en son passage de la mort à la vie, et il semble qu’il ne cesse de se laisser saisir par ce mystère sur lequel tout se fonde désormais pour lui.
C’est l’histoire d’un « saisissement » …
Et de même pour les disciples de l’évangile. St Marc nous dit en finale de ce passage qu’on vient d’entendre qu’ils furent « saisis d’une grande crainte ». Mot pour mot il y a même une insistance que la traduction rend mal : « ils craignirent d’une grande crainte », la crainte au sens de cette stupéfaction qui vous saisis et ne vous lâche pas. Ils sont estomaqués, pourrait-on dire, mais dans une forme d’éblouissement, de frémissement, qui pourrait les laisser sans voix. D’où cette question qui surgit pourtant : « Qui donc est-il, celui-ci, pour que même le vent et la mer lui obéissent ? »
Qui est Jésus ? C’est la grande question des évangiles et tout particulièrement de l’évangile de Marc. C’est la question à laquelle nous sommes appelés à répondre petit à petit, au fil du chemin de notre vie avec le Seigneur, au fil des rencontres et des évènements et de nos questionnements de vie. Qui est Jésus pour nous ?
Qui est Jésus pour toi ? Qu’en est-il de ta vie avec lui ?
Si les disciples se posent cette question c’est parce que, contrairement à Paul, nous sommes, dans cet épisode de la tempête apaisé, bien avant la résurrection. Nous sommes quasiment au début de l’évangile, et c’est progressivement, petit à petit, qu’ils vont pouvoir comprendre un peu que Jésus vient de Dieu, qu’il est Dieu lui-même venu partager notre condition humaine, pour la traverser avec nous et nous ouvrir un passage de vie, un passage de confiance en la vie qu’est celui de la résurrection, passage au cœur même de l’expérience douloureuse du mal et de la mort.
Mais ils n’en sont pas encore là nos disciples. Ça va se faire, petit à petit. Et ce récit, cette expérience de la tempête apaisée, en est une étape. Une étape sur leur chemin de « saisissement », ce qui fera qu’un jour plus rien ne sera comme avant, ils seront passés sur une autre rive, ils sauront, ils croiront que Jésus est bien le Fils de Dieu, qu’il est mort et ressuscité pour nous, par amour et au nom même de l’amour, et qu’avec lui, quoi qu’il arrive et quelles qu’en soient les apparences, nous pouvons faire l’expérience de la vie plus forte que tout mal et que toute mort, la vie qui est aussi plus forte que toute peur.
C’est l’expérience qu’ils viennent de vivre. Dans cette autre expérience qui nous est commune d’une forme de silence de Dieu au cœur même de nos épreuves. Expérience douloureuse parfois, expérience déroutante, questionnante, qui peut venir ébranler notre chemin de foi avec le Seigneur.
Il dort. Il est là, puisqu’il est dans la barque avec eux et qu’il a dit « Passons sur l’autre rive », et non pas seulement « Passez, vous seuls » ; non, « Passons », « Passons ensemble ». Et de fait ils vont vivre un passage. Une Pâques. Et ils vont être appelés à faire le pas de la foi, le pas de la confiance : même si Jésus semble les laisser au pouvoir de la mort, que symbolise la tempête, même s’il semble les laisser seuls se débrouiller avec leur peur et ce désarroi qui les prend, il est là. Et il va répondre. Encore faut-il qu’on l’appelle.
Et il est là le passage à vivre, l’acte de foi à poser : crier vers Dieu, comme les disciples et comme Job avant eux – c’était la1ère lecture. Crier vers Dieu alors même que je doute peut-être de sa présence et de sa toute-puissance. Crier vers lui car toujours il me laisse libre de l’associer ou non à ce que je traverse. Crier vers lui pour qu’il soit présent à ce que j’ai à vivre et faire ainsi l’expérience, parfois quasi insaisissable c’est vrai mais possible quand même, faire l’expérience de quelque chose de l’ordre de son amour sauveur et de sa présence…
Alors au cœur de l’épreuve et de la tempête, peut se jouer pour nous une expérience de révélation. Qui nous dépasse. Une expérience de révélation qui en appellera d’autres mais qui compte déjà car Dieu déjà se dit là et se dévoile. Comme ce qui se passe pour les disciples qui comprennent ce jour-là que ce qui vient de leur arriver dépasse leur compréhension humaine de qui est Jésus.
Je dis cela car c’est en filigrane de leur question sur qui il est : « Qui est-il donc, celui-ci, pour que même la mer et le vent lui obéissent ? » C’est en filigrane car dans la Bible seul Dieu a pouvoir sur les éléments – on l’a chanté dans le Psaume. Est-il donc de Dieu, cet homme-là ? Voilà qu’ils sont saisis de crainte, de stupéfaction, une sorte de frémissement et d’éblouissement sur ce qui est en train de se jouer là pour eux.
Ils sont en train de vivre un passage. De l’ordre de la foi, de l’ordre de la révélation de qui est Jésus et de comment Dieu se rend présent à nos vies…
C’est l’histoire d’un « saisissement » …
Et il en va de même pour nous, pour notre chemin avec le Seigneur. Certains d’entre nous ont peut-être déjà fait cette expérience de se sentir saisis par la présence de Dieu ou par son amour. Que ce soit par une expérience spirituelle forte, dans le silence de la prière ou d’un monastère, que ce soit par un verset de la Parole de Dieu qui un jour a éclairé d’une façon nouvelle nos questionnements, que ce soit par une rencontre ou un évènement où s’est joué pour nous quelque chose d’une expérience de la vie qui nous traverse, plus forte que nos épreuves ou nos découragements, etc. etc.
Ou peut-être que nous n’avons pas l’impression d’avoir vécu un tel « saisissement » ? Peut-être cela ne nous a-t-il pas encore été donné, du moins pas de façon très claire ? Ou peut-être cela s’est joué pour nous mais dans des toutes petites choses insaisissables mais qu’il y a quand même une confiance en nous, une confiance en Dieu et en sa présence, qui fait que nous osons nous tourner vers lui et pourquoi pas crier vers lui ?
Peut-être que pour certains, c’est encore de l’ordre de l’expérience déroutante voire douloureuse du silence de Dieu qui semble dormir, et que votre foi est du coup bousculée ou mise à mal par ce silence.
Je ne sais où vous en êtes chacun. Mais l’enjeu, je le crois vraiment, il est d’oser quoi qu’il arrive crier vers Dieu, et il est de nous aider les uns les autres non seulement à crier vers lui mais aussi à apprendre à récolter ensemble ce que la Vie nous donne qui est justement de l’ordre de la vie qui nous traverse, même dans des toutes petites choses, de recueillir aussi ce qui est de l’ordre d’une sorte de paix ou d’apaisement qui peut nous prendre, un grand calme au cœur même des tumultes fatigants de certains jours. Là, sans doute, quelque chose d’un passage de Dieu se joue au cœur de ce que nous traversons, et nous pourrions en être saisis…
Alors je ne sais ce que ces balbutiements d’homélie viennent toucher ou éveiller en chacun de vous et dans votre histoire personnelle. Prenons le temps, là maintenant, dans le silence, d’accueillir ce qui remonte en nous et de l’offrir bien humblement au Seigneur. Et demandons-lui que là, au cœur de ce qui fait nos traversées, il se révèle, comme il voudra, et comme nous le lui permettrons ; mais qu’il se révèle, d’une façon ou d’une autre, que ce soit par une sorte de certitude de foi qu’il traverse avec nous, que ce soit dans l’accueil paisible d’une sorte de grand calme intérieur, que ce soit par telle présence de je ne sais qui qui va nous aider à avancer ou à vous relever…
Oui, demandons-lui cela, si vous le voulez-bien, demandons-lui cela en cette eucharistie où il nous promet sa présence et sa force d’amour. Amen.