Homélie dimanche 6 mars 2022

1er dimanche de Carême (Année C)

Dt 26,4-10 / Ps 90 (91) / Rm 10,8-13 / Lc 4,1-13

 

On pourrait dire que Jésus est sorti vainqueur de son carême. Mais ce ne fut pas sans combat. Et quel combat : avec le diable, c’est-à-dire le mal en personne, le « diviseur ». Et c’est bien de cet ordre-là cette histoire de tentations, on le sait bien quand on regarde comment ça se passe dans notre propre vie : en nous la tentation vient mettre du tiraillement, une sorte de division intérieure, on se sent partagé entre ce qu’on a envie de faire, dont on sait bien pourtant qu’on ne devrait pas, et cet espèce de jeu inconscient à voir jusqu’où on pourrait aller sans trop « se brûler les ailes » ou sans « se casser la gueule », et souvent on tombe, on se fait avoir…

Jésus sort vainqueur de ce combat qui est le nôtre. Ça a duré 40 jours, un carême. Et Jésus assume notre condition humaine jusque-là, jusqu’à vivre cette épreuve qui est celle de notre vie à tous, pour nous indiquer le chemin à suivre pour en sortir vainqueur.

Si je vous dis tout cela, c’est parce que si nous décidons chacun de vivre pour de vrai ce temps de carême, de nous en donner les moyens pour que ce soit un temps de grâce où nous fassions l’expérience à Pâques que le salut est à l’œuvre en nous et en nos vies, si on y va pour de vrai – ce qu’évidemment je vous invite à décider – alors ça ne se fera pas sans combat intérieur. Désolé de vous le dire. Mais avec le Christ et à sa suite, nous allons grandir en sainteté, nous allons grandir dans la foi, nous allons nous affermir. Vraiment. Et donc osons, osons y aller pour de vrai.

Vous êtes peut-être en train de vous dire que c’est un peu « maso » comme attitude… Mais je vous assure que non. Car toute vie chrétienne est de l’ordre de ce combat, et même toute vie-tout-court. Car le mal est à l’œuvre en ce monde et en nous. Il n’y a qu’à regarder la situation internationale, non seulement la guerre en Ukraine ou ailleurs dans le monde, mais aussi le dérèglement climatique et toutes les conséquences qu’il a déjà – y compris en termes de crise économique ou de crise migratoire. C’est un fait : le mal est à l’œuvre et nous passons notre temps soit à essayer de le combattre, soit à nous faire avoir et à y prendre notre part. Et parfois même très consciemment.

Mais on vient de l’entendre, Jésus est vainqueur du mal Et c’est notre foi, c’est notre espérance ; c’est bien la visée de ce temps du carême, c’est ce que nous allons célébrer à Pâques et que je vous souhaite d’expérimenter au cours des semaines qui viennent. En prenant au sérieux ce temps de carême qui commence à peine.

Allons-y, donnons-nous les moyens de creuser en nous le désir de Dieu, en nous donnant les moyens d’agir à notre petite mesure pour plus de justice et d’équité concrète – pourquoi pas grâce à l’un ou l’autre des « petits pas » que la Commission carême nous propose de vivre –, et en osant regarder avec réalisme où nous en sommes de notre vie : faire retour en nous-mêmes pour faire retour vers Dieu et être mieux présent à nos frères et sœurs en humanité.

Oui, Jésus est vainqueur. Et il veut nous entraîner dans cette victoire de la vie sur tout mal et sur toute mort. Il nous ouvre le chemin, et il nous promet sa Présence de ressuscité mais aussi la force de l’Esprit Saint. Ce même Esprit Saint dont on nous a dit dans cette page d’évangile qu’il était en lui, avec lui, pour cette épreuve du désert et de la tentation.

D’ailleurs, comment Jésus est-il vainqueur du diable, dans ce qu’on vient d’entendre ? Son arme elle est très concrète. C’est la Parole de Dieu. Il la connaît, il connaît donc vraiment qui est le Père et son projet de salut. J’ai envie de dire : il a les bases solides pour ne pas se faire avoir.

Vous allez me répondre : forcément c’est le Fils de Dieu, Dieu lui-même venu en notre condition humaine, donc heureusement qu’il sait faire ! Et c’est vrai. Mais justement : regardons comment il s’y prend : son arme c’est la Parole de Dieu, qu’il a prié et écoutée à la synagogue et sans doute en famille, la Parole de Dieu qu’il vient accomplir et révéler pleinement, la Parole de Dieu où nous apprenons à entendre qui il est et quel est son projet de vie et de salut pour nous.

Alors j’aimerais qu’on se demande en ce jour quelle place réelle nous faisons à sa Parole dans notre vie chrétienne. Comment nous l’écoutons le dimanche ? Comment nous la méditons et la ruminons au fil des jours ? Comment nous nous laissons former et façonner par elle ? Pour qu’elle vienne ouvrir et dilater nos cœurs aux dimensions du salut, que nous puissions l’accueillir et en vivre. L’accueillir et en vivre concrètement.

St Paul a dit dans la 2ème lecture : « Tout près de toi est la Parole, elle est dans ta bouche et dans ton cœur » … La Parole c’est le Christ Jésus qui est le Verbe de Dieu, et toute sa vie est ce message qu’il veut nous adresser. Il nous faut le manger. C’est bien ce que nous célébrons à chaque eucharistie où il se fait nourriture et vient demeurer en nous, mais c’est aussi ce que nous sommes appelés à vivre avec les Écritures. Nous en nourrir aussi, nous en nourrir car là se dessine pour nous et se dévoile comment Dieu s’y prend pour vivre avec nous et se laisser connaître. Là se dessine pour nous et se dévoile son projet de vie et de salut. Et là se dessine et se dévoile à quoi ça nous appelle concrètement…

Nous le savons mais il nous faut le réentendre. Et prendre les armes de la Parole pour ce temps de carême. Fixer ainsi nos yeux sur Jésus.

Je le redis, c’est l’enjeu de toute notre vie chrétienne, mais le temps du carême c’est ce temps qui nous est offert pour nous en redonner les moyens, pour en redécouvrir toute la saveur. Il nous faut manger, manger la Parole et laisser ainsi le Christ façonner nos cœurs et toute notre vie.

Alors oui, ce carême, vivons-le comme un temps privilégié pour creuser en nous le désir d’une vie chrétienne authentique, d’une vie chrétienne qui ne se contente pas d’une sorte de « vernis de façade » ou qui ne baisse pas les bras à la première difficulté ou à la première tentation.

Demandons au Seigneur qu’il nous aide à creuser en nous le désir de Dieu et de mieux vivre à sa suite. Pour faire l’expérience de la libération de ce qui entrave nos vies, et que nous fassions là l’expérience de la paix profonde et de la joie intérieure que Dieu veut nous offrir et qui sont les signes ou les marques de son salut à l’œuvre en nous.

Parfois nous désespérons de Dieu qui semble ne pas répondre. Parfois même nous le mettons à l’épreuve, comme le diable, nous lui demandons qu’il nous prouve qu’il peut quelque chose pour nous. Parfois aussi nous désespérons de nous-mêmes et de nos chutes et nos rechutes. Entendons aujourd’hui encore ce que nous rappelait la 1ère lecture : Dieu n’est pas sourd à nos appels et il va marcher avec nous. « Nous avons crié vers le Seigneur, le Dieu de nos pères. Il a entendu notre voix, il a vu que nous étions dans la misère, la peine et l’oppression. Le Seigneur nous a fait sortir d’Égypte »

La victoire nous est assurée. Elle nous est promise et elle nous est même acquise par le Christ en sa résurrection. Mettons notre foi en cela, mettons notre foi en lui, comme nous y invite St Paul dans la 2ème lecture. Et parce que nous aurons laissé la Parole nourrir nos cœurs et toute notre vie, parce que nous aurons laissé la Parole nous ouvrir à cette Bonne nouvelle et nous donner de la voir à l’œuvre tout au long de l’histoire du salut, alors nous pourrons avancer en confiance à la suite du Seigneur, pas à pas.

Concrètement, comment allons-nous nous y prendre dans ces semaines qui viennent ? La Commission carême nous propose tout un tas de choses, tout un tas de « petits pas » à vivre, des « petits pas » personnels et communautaires, qui sont là pour nous aider. Je pense notamment à la « Retraite dans la vie » – osez essayer et vous donner ce moyen un peu exigeant mais précieux, je vous assure, pour faire de ce carême un temps fécond pour votre vie chrétienne – ; je pense aussi à la proposition qui est faite de lire en entier un évangile et pourquoi pas un deuxième ; je pense encore à cet autre « petit pas » qui est proposé d’aller à la messe en semaine où nous est justement donné d’écouter la Parole et d’accueillir le Christ pour nous laisser former et façonner par lui.

Et puis si c’est difficile, si vous êtes tentés de laisser tomber ou si vos démons intérieurs prennent le dessus et que vous vous retrouvez sur une pente descendante, voire si vous chutez carrément et que ça vous éloigne de Dieu – c’est ça le péché –, alors n’oubliez pas les deux veillées Miséricorde avec la possibilité de vivre et de redécouvrir la force et la beauté du sacrement de la pénitence et de la réconciliation.

Qu’est-ce que nous y célébrons ? Nous y célébrons l’amour sauveur du Père pour ses enfants que nous sommes, nous lui demandons la force de son pardon pour nos chutes et notre péché, pour tout ce qui nous éloigne de lui et de son projet d’amour pour nous, entre nous et pour ce monde – y compris vis-à-vis de la Création. Nous lui demandons sa force de vie qui nous permet de ne pas succomber à la culpabilité mortifère et la tristesse du cœur qui va avec, nous lui demandons sa lumière pour mieux voir ce qui se joue en nous, mieux voir comment se livre en nous le combat avec le mal. Et nous lui demandons sa paix, la paix du cœur, pour oser vivre debout et croire que nous ne sommes pas que ce mal dont nous sommes partie prenante...

Je m’arrête là, et je prie pour que ce temps de carême soit vraiment un temps de grâce et de renouvellement dans la foi, pour chacun de vous – pour chacun de nous. Amen.

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