Au défi des addictions

Au défi des addictions

Beaucoup de personnes autour de nous souffrent d'addictions ou semblent en prise à une conduite addictive grandissante. Je suis frappé par une certaine addiction à la pornographie chez beaucoup de jeunes, comme à celui de la drogue pour certains, comme ça peut l'être pour l'alcool pour d'autres et aussi pour une génération plus âgée. Il y a en tout cas, on le sait bien, des conduites à risque qui peuvent conduire à une réelle addiction.

Je me questionne souvent, comme prêtre et donc comme confesseur : qu'est-ce qui relève alors du péché, de la responsabilité de la personne, et qu'est-ce qui relèverait plutôt  de ce qui s'apparenterait à une maladie, où la personne se retrouve finalement victime, esclave de ce mal dans lequel elle est tombée ?

J'ai deux convictions, l'une reçue d'une psychothérapeute, lors de ma formation à l'accompagnement spirituel, il y a quelques années, l'autre qui m'est venu à force d'écoute et de similitudes perçues avec ce que je vis de ma propre maladie chronique : d'abord (1) qu'une addiction est une béquille pour vivre ou survivre*, et qui si on l'enlève il faut avoir pensé ou trouvé à mettre un étai ; et ensuite (2) que si l'addiction est telle une maladie chronique, l'enjeu va être d'apprendre à vivre avec, à trouver comment équilibrer les choses, comment s'autoriser aussi à vivre malgré ce mal, pour pouvoir avancer quand même et peut-être alors trouver des chemins de guérison au coeur même de cette maladie ou de ce qu'elle fait traverser.**

Ce livre à deux voix que je viens de lire vient me conforter dans ces deux convictions, et les exprime bien mieux que mon balbutiement ci-dessus. En tout cas la première partie – ce qui m'a d'ailleurs le plus intéressé en ces pages. L'auteur, Laurent Lemoine, est prêtre et psychanalyste, et son propos vaut vraiment le coup de s'y arrêter, je trouve ; c'est intéressant, plutôt facile à lire et bien construit, progressif dans la pensée, et ça aide à comprendre les mécanismes, les ressorts spirituels aussi et combien ça ne doit pas remplacer le soin, l'accompagnement et une thérapie, combien l'accueil inconditionnel de la personne est indispensable aussi pour qu'elle puisse consentir à avancer, à nommer, à se faire aider, et à traverser comme elle pourra ce que la vie lui donne de traverser.

La suite de l'ouvrage est plus technique, écrit par une psychologue clinicienne et addictologue, Micheline Claudon. Ce qui est intéressant c'est les exemples de cas concrets sur lesquels elle s'appuie. Mais c'est très centré sur l'addiction à l'alcool et un peu aux drogues, et c'est surtout plus ardu à lire, plus spécialisé je trouve...

En tout cas si vous êtes confrontés d'une façon au d'une autre à des questions d'addiction, dans votre entourage familial ou dans des situations d'écoute ou d'accompagnement de personnes souffrant d'une certaine addiction quelle qu'elle soit, ces pages sont vraiment intéressantes, la première partie notamment que je recommande donc tout spécialement ; vraiment ça peut aider, même si les repères exposés et développés ne sont pas des recettes magiques mais bien des balises pour la rencontre et le chemin avec les personnes.

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Laurent Lemoine et Micheline Claudon, Au défi des addictions. Comment réagir ?, Salvator, février 2023, 166 pages, 17€.

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Extraits :

* Ayons conscience, dit notre auteur, que « l'addiction n'est pas seulement l'addiction... », qu'elle est telle « Un corps étranger en mon corps », et que l'enjeu sera « de chercher à la connecter, et même à l'interpréter dans mon récit de vie, dans la parole que je vais pouvoir faire émerger, y compris, à partir de la fange, de la boue, de la trouée ou du chaos. » Et notre auteur d'ajouter combien il entend chez bon nombre de patients que « l'addiction aura d'abord été une solution avant de devenir un problème » (p.31).

** à propos des maladies chroniques : « la personne malade découvre un nouvel enjeu, qui consiste à adapter ses forces tant physiques que psychiques à un hôte étranger – la maladie – qui ne disparaîtra pas : cet hôte impose de dégager un nouvel équilibre, autrement dit une nouvelle relation à soi, aux autres, à son environnement » (p.55-56). Et notre auteur d'ajouter que cela vaut pour les addictions, qu'il s'agira de « ne pas tout miser sur l'éradication des symptômes », de quitter « une conception spontanée de la guérison au profit du consentement à progresser vers la terra incognita, nomadique sûrement pour une part, d'une relation nouvelle à sa maladie. Le défi est d'apprendre à “faire quelques chose” de l’évènement de la maladie, à savoir de la rupture irrémédiable avec qui j'étais avant » (p.57).

Notre auteur insiste : « se reconnaître malade est une étape décisive » (p.62 notamment ou encore p.70).

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