4 Février 2024
5ème dimanche du Temps Ordinaire - Année B
Jb7,1-4.6-7 / Ps 146 / 1Co 9,16-19.22-23 / Mc 1,19-29
Je ne sais pas comment vous recevez ces textes, mais moi, ce matin, quand je m’y suis mis pour cette homélie, la première chose qui m’a frappé c’est cet espèce de décalage entre la 1ère lecture de Job – complètement dépressive – et cet espèce d’enthousiasme excité de St Paul, dans la 2ème lecture. Et puis entre les deux, on vient de l’entendre, ce récit de guérisons qui est lui aussi paradoxal, entre la guérison de la belle-mère de Pierre, qui n’a visiblement rien demandé, et tous ces malades que Jésus ne va pas guérir parce qu’il a soi-disant mieux à faire ailleurs – j’exagère exprès !
J’avais envie du coup de commencer ces mots par un petit détour liturgique, le comment sont choisis ces textes qu’on écoute dimanche après dimanche.
Le choix se fait à partir de l’évangile. En l’occurrence aujourd’hui, ce récit de guérisons qui est au tout début de la vie publique de Jésus. Et en rapport à cette page d’évangile qui n’est pas en soit choisie car c’est une lecture continue, ou quasi, de dimanche en dimanche, en rapport à cette page d’évangile, donc, le lectionnaire nous propose une 1ère lecture qui est comme une annonce de l’évangile qu’on va entendre, ou une coloration particulière. En l’occurrence, aujourd’hui, on est dans la tête d’une personne malade qui désespère et qui n’en peut plus de vivre. C’est comme si on nous faisait entrer dans la tête de tous ces malades qu’on amène à Jésus, pour comprendre mieux ce qui se joue en eux… Et en rapport à cette lecture qui est quasi tout le temps tirée de l’Ancien Testament, le Psaume est une prière en réponse à cette 1ère lecture.
Ça donne donc : l’évangile d’abord ; puis par rapport à cet évangile on choisit un extrait de l’Ancien Testament ; et en réponse à ce texte : un psaume.
Et puis vous ajoutez la 2ème lecture, qui pour le Temps Ordinaire n’a souvent rien à voir avec les autres textes, parce que c’est une lecture continue d’une lettre de St Paul – c’est un peu différent pour les temps particuliers comme l’Avent, le Carême et le Temps pascal. Et si aujourd’hui on peut voir un lien assez évident entre cette 2ème lecture et la finale de l’évangile – Jésus qui nous dit qu’il est là pour proclamer l’Évangile – c’est plus le hasard qu’un choix délibéré – mais passons.
Je ferme cette parenthèse liturgique et je reviens du coup à nos textes ; et du coup à cette page d’évangile. De quoi s’agit-il ?
Je le redis, c’est un récit de guérisons – au pluriel – mais aussi de non-guérisons, je crois. Ça commence avec la belle-mère de Pierre. Jésus est là dans la maison, sans doute il entend qu’on s’affaire dans la pièce d’à côté [*], il doit demander ce qui se passe, et c’est comme ça qu’il apprend que la belle-mère de Pierre est malade. Ni une ni deux, il s’approche d’elle et la guérit. C’est comme si Jésus ne pouvait pas rester sans rien faire, son cœur est touché par cette femme qui a de la fièvre. On ne sait pas si c’est grave ou pas et ça n’est pas la question : Jésus est touché et il veut faire quelque chose. Il peut faire quelque chose. Il s’approche, il se fait proche, et il la guérit, c’est-à-dire il la rend à la vie, il lui redonne vie.
Et ça vient d’autant plus souligner le paradoxe de la suite du récit où on peut se demander pourquoi Jésus ne veut pas guérir tous les autres qu’on lui amène sans doute le lendemain, et pourquoi – excusez-moi l’expression – pourquoi il préfère « se barrer », avec en plus cette phrase qui devrait nous étonner : « Allons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame l’Évangile ; car c’est pour cela que je suis sorti. »
Moi j’ai envie de lui dire : « Parce que quand tu guéris les malades, tu ne proclames pas l’Évangile, peut-être ?! » …
Je le dis souvent et je vais donc vous le redire aujourd’hui encore : Jésus n’est pas un guérisseur ou un faiseur de miracles – c’est pour ça que souvent il demande qu’on ne dise pas ses miracles. Et en plus il ne vient pas faire du grandiose avec les foules, mais il vient offrir le salut de personne à personne. Et les récits de guérisons – les guérisons miraculeuses ou physiques – c’est toujours le signe d’autre chose de plus grand, de plus large, de plus profond, à savoir le salut de Dieu que Jésus vient révéler et offrir.
Et le salut c’est quoi ? C’est d’être libérés de ce qui m’empêche de vivre pleinement ; j’ai envie de dire : de vivre vraiment, vivant, debout, en confiance de ce qui est et de la vie qui est là. Peut-être que ça passera par une guérison physique, mais peut-être que ce qui me cloue au sol ou m’empêche de vivre c’est plus profond, plus intérieur, telle cette désespérance de Job, ce découragement à vivre.
Et je suis par exemple toujours frappé dans le récit archi-connu de la guérison du paralytique (cf. Mc 2,1-12) par le fait que Jésus ne le guérit physiquement que pour une seule raison : c’est parce que ceux qui sont là autour et qui voient la scène ne croient pas qu’il puisse pardonner les péchés. Et c’était visiblement là le mal véritable qui paralysait cet homme. Et comme les gens n’y croient pas, comme les gens ne croient pas que Jésus puisse faire cela car Dieu seul le peut, alors il le guérit physiquement et miraculeusement, il guérit physiquement et miraculeusement cet homme qui lui espérait sans doute cette guérison-là, lui. Ouf pour lui ! Mais c’est juste pour attester qu’il peut guérir pour de vrai, notamment du péché et du mal qui peut nous ronger intérieurement.
Je le redis : le salut qui nous est promis et que le Christ vient révéler c’est cette libération de ce qui m’empêche d’être un vivant au cœur du réel concret de ce que j’ai à vivre et à traverser. C’est ce qui me cloue au sol ou me paralyse, mais déjà intérieurement.
D’où la 1ère lecture de ce jour, Job qui n’en peut plus de vivre, Job qui ne comprend pas à quoi ça sert d’être encore là alors que la maladie le terrasse mais pas suffisamment pour mourir complètement.
Et si vous connaissez des personnes malades, c’est très concret et c’est très réel. Et c’est une sorte de spirale qui peut vous engloutir : vous perdez confiance et vous êtes alors comme aspiré en vous-mêmes. Et c’est difficile de s’en sortir. Et parfois même on n’a plus le goût ou la force à tendre le bras pour que quelqu’un vous saisisse la main et vous aide à vous relever.
Or l’Évangile c’est quoi ? C’est l’appel à vivre le salut de Dieu. Le lui demander, mais le vivre aussi, le vivre en paroles et en actes les uns pour les autres. Comme Jésus : apprendre à se faire proche de celui qui souffre. Comme Jésus : se tourner vers le Père pour lui demander sa force. Comme Jésus : oser des paroles de consolation, de pardon, de réconfort, etc. Comme Jésus : vivre pour l’autre l’amour en actes, l’amour qui sauve parce qu’il se fait présence qui va prendre soin. Qui « soigne [les] blessures » et qui « guérit les cœurs brisés » – comme disait le Psaume.
Je peux vous le dire d’expérience – et les plus anciens d’entre vous, ici à St Jo, savent l’épreuve de la maladie qui me tient depuis quelques années, avec ses hauts et ses bas et ses rechutes – ; je peux vous le dire d’expérience : on a besoin les uns des autres pour ne pas se décourager dans l’épreuve, pour garder foi et confiance, pour tenir quand ça devient trop difficile. Y compris pour prier, pour tenir dans la prière quand la fatigue est trop forte.
On a besoin les uns des autres, c’est tout l’enjeu de s’obliger à développer nos liens communautaires, c’est tout l’enjeu d’une vie fraternelle réelle, et c’est ça l’Église, c’est ça l’enjeu : nous aider et nous soutenir à pouvoir rester attacher au Christ, à écouter sa Parole, à le prier, et à apprendre ainsi à vivre son Évangile. Non seulement l’annoncer, le proclamer, mais le vivre ; et ce sera un témoignage.
Et peut-être que la plupart d’entre nous ne serons jamais guéris miraculeusement, mais pourtant l’Évangile annoncé et vécu les aura sauvés, libérés, guéris intérieurement, et leur aura donné de croire et de goûter en cette Bonne nouvelle que quoi qu’il nous arrive, et malgré les apparences premières et immédiates, avec le Christ, la vie est plus forte que tout mal et que toute mort. Et c’est ce que nous avons à annoncer, avec le Christ et comme St Paul qui l’a fait avec toute sa fougue et sa foi parce qu’il a été saisi par l’amour de Dieu et ça a complètement retourné sa vie.
Et pour Job ce sera pareil, la confiance quoi qu’il arrive et qu’il va retrouver à force de crier vers Dieu, cette confiance va le rendre à la vie. Et sa vie sera féconde. Non sans cette épreuve qui va durer, mais réellement pourtant.
Alors je ne sais comment vous recevez tout cela, je ne sais quels sont peut-être, pour certains d’entre vous, vos découragements voire vos désespérances, soit à cause de je ne sais quoi que vous avez à traverser ou pour lesquels vous vous sentez exclus ou mal-aimés ou pas aimables, soit à cause d’épreuves que traversent des proches à vous ou à cause de ce monde qui est tellement défiguré par la violence et le mal que ça peut nous faire douter de l’homme et même de Dieu… Je ne sais, donc comment vous recevez tout cela ; mais tout simplement, offrons-le, là maintenant, dans le silence de la prière, offrons ce qui nous vient, déposons ce que ça fait remonter en nous, ce qui est peut-être de l’ordre du doute ou du découragement ou de la désespérance, ce qui aurait besoin d’un salut de Dieu.
Que là le Christ Jésus vienne nous rejoindre en cette eucharistie et par celles et ceux qui vivrons pour nous son amour qui se fait proche. Qu’il vienne porter avec nous, lui le Christ ; et que tout cela nous rende un peu plus et un peu mieux témoins de son Évangile… Amen.
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[*] cf. la mise en scène de cet épisode dans The Chosen – saison 1, épisode 8 (du moins dans mon souvenir).