16 Mars 2024
Samedi 16 mars 2024 / Basilique Saint-Joseph – Grenoble [1]
2Sa 7,4-5a.12-14a.16 / Ps 88 / Rm 4,13.16-18.22 / Mt 1,16.18-21.24a
Il me semble que nous connaissons plutôt bien ce récit du « Songe de Joseph ». J’aimerais du coup commencer ces mots d’homélie en faisant un pas de côté, un petit détour par la prière d’ouverture de cette messe à Saint-Joseph que nous avons entendue tout à l’heure au début de notre célébration.
Qu’est-ce qui nous y était dit ? Ou plutôt : qu’est-ce que nous avons demandé au Seigneur ?
Il y a deux éléments dans cette prière : ce que nous disons de St Joseph et ce que nous demandons pour l’Église donc pour nous : « Dieu tout puissant, à l’aube des temps nouveaux [1] tu as confié au bienheureux Joseph la garde des mystères du salut ; [2] accorde maintenant à ton Église, soutenue par sa prière, de veiller toujours sur leur achèvement » – l’achèvement de ces « mystères du salut ».
Quels sont-ils ces « mystères du salut » confiés à Saint-Joseph ? Ce dont il est ici question c’est de Jésus ! Il est ces « mystères du salut » qui adviennent. Il est cette promesse de Dieu attendue. Dieu n’est pas dans des idées mais dans un accomplissement en notre humanité de lui-même. Il vient. Il est venu. Il est ce salut attendu qui vient naître et s’inscrire dans l’histoire des hommes.
On le sait tout ça, mais n’empêche, c’est ce que nous avons dit au Seigneur dans notre prière. Et nous lui demandons, nous son Église, de veiller à veiller à l’achèvement de ces « mystères du salut » que sont le Christ-Jésus lui-même et sa mission d’annonce en actes de ce salut qu’il est et qu’il révèle, sa mission en paroles et en actes que nous sommes appelés à poursuivre en son nom et avec lui. C’est ce que nous réentendrons dans les récits de Pâques et l’envoi des disciples après la Résurrection…
Quand je dis – ou plutôt quand je vous redis, car vous le savez – que Jésus est le salut, et même qu’il est ces « mystères du salut » dont parle notre prière d’ouverture, je ne fais que dire son nom : Jésus, Dieu sauve. Et ce nom c’est aussi cet autre nom, celui des promesses d’Isaïe qui, elles, ont été rappelées à Marie par l’ange Gabriel à l’Annonciation : Jésus – Dieu sauve – c’est l’Emmanuel : Dieu avec nous.
Et ce « avec » il est important. Car veiller à l’achèvement de ces promesses de salut, veiller toujours – tout-jours c’est-à-dire chaque jour et pour toujours – ce n’est pas de loin, ou à distance, dans des idées ou des théories de ce que ça devrait vouloir dire, non ; ce sera toujours, justement, dans un « avec » : avec l’autre à qui nous sommes envoyés, avec l’autre pour qui nous sommes appelés à être humblement témoins du salut, témoins en actes, car Dieu se fait proche, il veut aujourd’hui encore se faire proche, il se fait proche de nous par la venue de son Fils, il s’abaisse jusqu’à nous.
St Joseph a vécu déjà cet abaissement, dans l’acceptation de ce mystère de Jésus en Marie, dans l’humble acceptation aussi de ce que lui dit l’ange, et du coup dans le choix de ne pas répudier celle qui devenait son épouse. C’est un abaissement, car sans doute cela le mettait déjà en porte-à-faux avec le reste du village : il accepte par avance les moqueries, les questions, les propos par derrière, les rumeurs... Oui, sa femme est enceinte alors qu’ils n’ont pas encore finalisé leur union…
Mais Joseph a pressenti par ce songe mystérieux qu’il y a là plus grand que nos vues premières et immédiates et même que nos jugements. Que Dieu est là, et que Dieu va marcher avec eux. Il consent à servir le projet de Dieu et à engendrer à l’existence cet enfant qui vient.
Voilà, nous le savons, ce que nous apprend aussi St Joseph, voilà l’appel qu’il nous adresse : être de ces hommes et ces femmes qui vont engendrer d’autres au nom de l’évangile, les engendrer à l’existence. Et je ne parle pas que du rôle de père de famille ou de parents ! Vivre les appels de l’évangile envers le prochain qui est là et qui nous sera donné, quel qu’il soit et quelle que soit son histoire, c’est consentir à l’engendrer à l’existence, c’est servir cela, c’est-à-dire à lui permettre d’avancer sur le chemin de sa vie et de découvrir qui il est aux yeux de Dieu, Dieu qui veut dire à chacun : « Tu as du prix à mes yeux et je t’aime » (Is 43,4).
Il s’agit pour nous tous d’être et de devenir toujours plus, toujours mieux, des « passeurs » du salut, des « passeurs » en actes de cette Bonne nouvelle qu’est l’Évangile : Dieu qui veut se faire proche de tous, aujourd’hui encore, Dieu qui a besoin de nous, aujourd’hui encore, pour que résonne l’annonce du salut et que des mains prennent soin, concrètement, que notre présence relève et remette en route, concrètement, que nos voix consolent et réconfortent, concrètement, que le pardon soit osé et vécu, concrètement, et que des chemins de réconciliation soient expérience de salut et de résurrection, concrètement…
Ce sont là les traits de cette miséricorde de Dieu à laquelle nous appelle si souvent le pape François, l’amour sauveur, et même : cette miséricorde qu’est Dieu. Et là est sa justice – la justice de Dieu dont parlait la 2ème lecture –, là est cette justice, ce salut que révèlera le Christ-Jésus et que sans doute il a appris en famille, auprès de Joseph et Marie, qu’il a appris dans le concret des actes comme tout enfant est censé l’apprendre et le recevoir de ses parents…
Nous sommes donc appelés à veiller – disait notre prière d’ouverture –, veiller ensemble, en Église, sur l’achèvement de ces « mystères du salut » que le Christ vient révéler et incarner. Comme il nous y appellera dans l’évangile de Luc, au chapitre 6 quand il nous dira : « Soyez miséricordieux comme [le] Père est miséricordieux » (Lc 6,36) ; être images du Père, ainsi, tel St Joseph qui le vit dès l’annonce de Marie qui est enceinte de cet enfant à venir.
Il ne va pas la répudier, il vit déjà cette miséricorde, cet amour qui passe le jugement des lois et des préjugés, cet amour qui ose faire confiance en ce que le Seigneur fera, cet amour qui va prendre soin de l’autre qui est là.
Et St Joseph ne va cesser de veiller sur la Sainte-Famille, comme on le redira tout à l’heure dans la Préface – au début de la Prière eucharistique – ; il va la protéger, en prendre soin, modèle et appel pour nous à protéger et à prendre soin de la présence de Dieu en ce monde et donc déjà en l’autre, en chaque homme et femme qui est là et qui est a besoin du salut – s’il fallait vous irez relire les appels de Mt 25, quand Jésus nous dit : « Ce que vous aurez fait au plus petit qui est là c’est à moi que vous l’aurez fait »…
Alors, à l’intercession de St Joseph, nous pouvons demander au Seigneur d’être comme lui – St Joseph –, d’être de celles et ceux qui engendrent à l’existence ceux qui nous sont confiés, leur permettre de devenir vraiment eux-mêmes, de se déployer et de déployer ce qui a été déposé en eux. Et d’être comme lui – St Joseph – cette présence aimante, cette présence en actes qui est là « avec » et qui protège la part sacrée en l’autre – et même la part sacrée qu’est l’autre, quel qu’il soit –, et cela au nom de Dieu, au nom du seul Père qu’est Dieu, ce Père dont nous sommes les instruments, ce Père qui nous veut heureux, vivants, sauvés, ce Père qui croit en nous et qui inlassablement veut offrir son pardon et son salut…
Voilà ce que nous pouvons demander…
Je ne sais comment vous recevez ces mots et ce qu’ils éveillent peut-être en vous, y compris de situations bien concrètes de vos vies familiales ou même ecclésiales ou autres. Mais ce qui là maintenant nous habite, eh bien nous l’offrons bien simplement au Seigneur, dans le silence de la prière. Amen.
[1] Pèlerinage annuel à quelques jours de la Saint-Joseph.