Prêtres à l’école du lavement des pieds

Prêtres à l’école du lavement des pieds

Il sort ces jours en librairie, ce petit livre de mon évêque sur les prêtres. Nul doute qu’on va le lire ! Déjà les prêtres du diocèse, pour entendre là ce que notre évêque pense de ce que devrait être notre ministère, et nos fidèles laïcs pour mieux comprendre peut-être ce que sont censés être ou faire les prêtres – et s’assurer que nous vivons notre ministère dans « la droite ligne » de ce qui nous serait demandé ?!

Blague à part, je termine ces pages et les trouve plutôt intéressantes. La réflexion qui nous est ici partagée est de l’ordre d’intuitions et convictions pastorales et spirituelles, de l’ordre d’un questionnement aussi, plus qu’un essai théologique et pastoral sur ce qu’est ou devrait être le ministère de prêtres ; des pages, du coup, qui pourraient nous appeler à aller creuser ce que telle ou telle pistes abordées peuvent impliquer concrètement et qu’est-ce que cela pourrait nous inviter à vivre autrement ou de façon plus ajustée...

Ceci étant, de quoi est-il ici question ? Le constat de départ est le suivant : non seulement la baisse des vocations, mais aussi – et même d’abord – cette espèce d’attente qu’ont certains – ou cette image qu’on a – de prêtres qui soient tels de « supers managers et leaders ». Avec cette question dès le début du livre – je le dis avec mes mots à moi – : dans les séminaires, aujourd’hui, à quoi forme-t-on ? à devenir prêtres ou à devenir des « futur-super-curés » ? En contexte de baisse assez massive des vocations... et dans ce monde moderne où l'on aspire en plus à un partage des responsabilités et à une gouvernance partagée ! Alors quels appels entendre là ?

On le devine dès les premières pages et à nouveau en finale de ce petit livre : il y a un acte de foi à poser, croire que Dieu appelle aujourd’hui encore – s’il veut des prêtres pour son Église – et croire qu’il nous donne et nous donnera ce dont nous avons besoin, même si ça bouleverse nos schémas – ça me fait penser à l’expérience d’Israël au désert, celle du don de la manne : Dieu donne mais pas forcément comme on voudrait ou comme ça nous rassurerait ; il nous faut apprendre à l’entendre, à l’accueillir et à le vivre.

Et ces pages viennent développer cet appel que Jean-Marc Eychenne offre à notre réflexion d’un ministère qui soit vécu dans une attitude profonde d’abaissement, là où les siècles passés en ont fait une figure centrale, par certains côtés incontournable, parfois même dominante – et l’on a même droit ci ou là à l’une ou l’autre piques envers des prêtres qui seraient dans un positionnement très « descendant » et clérical (même si le mot n’apparaît pas en ces pages). Mais attention, il ne s’agit pas de penser qu’il ne faille pas de prêtres, notre auteur le dit clairement dès les premières pages – et c’est repris et donné à lire dès la 4ème de couverture – mais qui soient positionnés autrement, en cet abaissement que dit ce geste du lavement des pieds en Jn 13.

Concrètement ces pages sont de courts petits chapitres sur différents aspects du ministère. Il est notamment question de comment nous donnons à voir le Christ dans nos attitudes pastorales et notre relation aux uns et aux autres – par exemple en nous positionnant plus comme « frères », pour une certaine « paternité » qui soit ajustée – ; il est également question du célibat – comme signe de contradiction et qui donne de vivre en sa chair quelque chose de cette posture d’abaissement !? – ; il est question aussi de l’acceptation et de la reconnaissance de nos fragilités comme lieu de fécondité par grâce de Dieu ; mais encore du ministère comme service du sacerdoce commun des baptisés, ce qui amène à parler de gouvernance et de coresponsabilité...

Assez vite dans ma lecture m’est venue cette question qui m’habite plus particulièrement d’une juste articulation à réfléchir entre charismes et ministères – et même entre charismes, ministères et fonctions (trois mots qu’on trouve ensembles à la p.56, les deux premiers étant déjà évoqués à la p.45) – ; il y a là, je crois, une clé théologique et pastorale, une question à creuser pour avancer en terme de synodalité et de « coresponsabilité différenciée » – pour reprendre ici l’expression du Rapport de Synthèse de l’assemblée d’octobre 2023 du « Synode sur la synodalité ».

Une questions que je poserais aussi : de quels prêtres avons-nous besoin aujourd’hui, et dans quelle « ministérialité plurielle », pour répondre à quels besoins pour notre vie ecclésiale aujourd’hui et pour la mission ? Je pense là à ce passage biblique, pour moi capital en théologie des ministères, qu’est celui de « l’institution des 7 » en Ac 6 (texte d’ailleurs mentionné p.35).

Et d’ailleurs – encore une question ! – : que signifie pour notre ministère le fait d’être définis comme « collaborateurs de l’évêque » (expression qui n’apparaît pas en ces pages) et l’être comme pasteurs en son nom, au service de la portion du peuple de Dieu qu’il nous confie ? Il me semble que la réponse ne sera pas la même pour la réalité paroissiale – comme rassemblement du peuple de Dieu en un lieu, en ses diverses composantes géographiques, d’appartenances ecclésiales autres, de sensibilités diverses, etc. – que dans une fonction d’accompagnement dans un mouvement ou une association de fidèles, ceux-ci ayant leurs statuts propres et leur fonctionnements propres. Je pose la question car Jean-Marc Eychenne se demande au détour du chapitre 9 sur la gouvernance s’il n’y a pas là, dans la posture du prêtre accompagnateur d’un mouvement ou d’un établissement scolaire, un chemin d’exercice autre du ministère qui soit à examiner peut-être, pour une paroisse aussi  ; mais est-ce du même ordre ? On rejoint la question à travailler de l’articulation entre charismes, ministère et fonctions, et celle qui pourrait aller avec d’une plus grande diversité de modes d’exercice du ministère ou de fonctions à retrouver et repenser – des prêtres aumôniers ou accompagnateurs dans un mouvement de fidèles ou curés ou vicaires, etc.

En tout cas, tel n’est pas directement le propos de ce petit opuscule, ces pages sont plus sur le comment être prêtres de façon renouvelée pour aujourd’hui – un comment qui est plus sur le fond d’abord (l’attitude ou la posture, l’être-prêtre), plus que sur la forme (que serait le faire ou le « que faire et comment »), même si c’est quand même suggéré parfois en certaines pages. Cette attitude, redisons-le pour conclure, c’est celle du lavement des pieds – c’est le titre de ce petit livre.

Notez enfin qu’au fil des pages, au début de chaque chapitre, le propos est introduit par un tableau du peintre isérois Arcabas, qui là, offert à notre regard, dit quelque chose de ce qui va se mettre en mots. Autre particularité encore : on trouve également, ci et là, au fil du propos, l’une ou l’autre petites résonances littéraires, une façon originale de déplacer légèrement notre regard comme notre façon habituelle de penser... N’est-ce pas justement la visée de ces pages et de cette réflexion ?!

-------------

Mgr Jean-Marc Eychenne, Prêtres à l’école du lavement des pieds, Salvator, mars 2024, 75 pages (petit format), 13€90.

Dans la suite du Synode sur la synodalité et de l’assemblée d’octobre 2023 à Rome à laquelle Mgr Jean-Marc Eychenne a participé on pourra lire l’article qu’il a écrit pour la NRT (la Nouvelle revue théologique des jésuites belges francophones) ; disponible depuis quelques semaines sur le site de la revue cette réflexion paraîtra en format papier dans la prochaine livraison d’avril-juin 2024.

Le registre est ici différent, plus théologique, et il n’est pas question d'abord et seulement des ministères et du ministère des prêtres – même si ça vient dans la réflexion – ; il y est question de la nature missionnaire de l’Eglise : missionnaire et par là-même synodale. Je vous laisse aller lire...

Partager cet article
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :