Deux petits pas sur le sable mouillé

Notre existence est fragile et en même temps tellement pleine de vie. Nous sommes d'une complexité étonnante... Pas seulement en nos dimensions psychologique et spirituelle ; notre corps lui aussi, dans sa vulnérabilité et ces forces de vie qui pourtant le traversent. Nous le voyons bien avec nos proches malades, ceux là mêmes qui semblent tenir par une lutte intérieure entre la mort et la vie qui pourtant est là, difficile parfois, mais là quand même.

Le livre-témoignage d'Anne-Dauphine Julliand, journaliste, paru en mars 2011, en est un bel exemple. Ce récit est bouleversant. Et il interroge. Qu'est-ce que vivre ? Qu'est-ce que vivre même quand la vie vous emporte, que la maladie vous assaille ? Qu'est-ce que vivre pour un proche qui n'en peut plus de porter cela mais qui pourtant veut se battre et se veut résolument du côté de la vie à accompagner jusqu'au bout ?

Le cri d'une mère. Un cri de souffrance mais surtout un cri d'espérance et d'amour.

Thaïs, deux ans, est atteinte d'une maladie génétique orpheline. L'annonce de cette nouvelle est une bombe, un séisme pour Anne-Dauphine et Loïc, les parents de Thaïs, pour Gaspard son grand frère d'à peine 4 ans, pour tous leurs proches. Il va falloir se battre. Non pas pour que Thaïs soit guérie, mais pour qu'elle vive, qu'elle vive pleinement ces mois qui lui sont donnés... Mystère douloureux au coeur duquel la mère fait cette promesse à son enfant : "Tu vas avoir une belle vie. Pas une vie comme les autres filles, mais une vie dont tu pourras être fière. Et où tu ne manqueras jamais d'amour"... Promesse de vie qui va être un combat avec soi-même pour chacun des membres de cette petite famille qui veut apprendre à aimer jusqu'au bout. Il ne reste pour eux qu'une chose à faire : ajouter de la vie aux jours, alors qu'on ne peut plus ajouter de jours à la vie.

Une nuit, alors que Thaïs est sur le point de "partir", à la fin du récit, Anne-Dauphine Julliand va comprendre :

"ça m'a fait l'effet d'une bombe aveuglante. Sans un mouvement et sans un mot, Thaïs me livre un secret, le plus beau, le plus convoité : l'Amour. Celui avec une majuscule.

Un jour, dans une salle d'attente de consultation d'un hôpital, j'avais promis à ma petite fille malade de lui transmettre tout ce que je savais de ce sentiment qui fait tourner le monde. Je m'y suis appliquée pendant un an et demi. Et durant tout ce temps, trop aspirée par l'ampleur de ma tâche, je n'ai pas vu. Je n'ai pas compris que c'était elle mon professeur d'amour. Pendant ces mois passés auprès d'elle, je n'ai pas compris parce que, en fait, à bien y réfléchir, je ne connais pas grand chose à l'amour, le vrai.

Comment sait-elle ? Comment est-ce possible ? Thaïs est privée de tout. Elle ne bouge pas, elle ne parle pas, elle n'entend pas, elle ne chante pas, elle ne rit pas, elle ne voit pas. Elle ne pleure même pas. Mais elle aime. Elle ne fait que cela, de toutes ses forces. A travers ses blessures, ses infirmités, ses défaillances.

L'amour de Thaïs ne s'impose pas, il s'expose. Elle se présente à nous comme elle est, vulnérable et fragile. Sans carapace, sans armure, sans rempart. Sans peur. Bien sûr, ceux qui regardent ça de loin peuvent railler, mépriser, repousser cette fragilité. Mais ceux qui s'approchent, qui se penchent, qui cherchent à accompagner, ceux là perçoivent comme moi que cette vulnérabilité n'appelle qu'une réponse : l'amour.

Près de deux ans auparavant, en apprenant l'étendue des dégats que provoquerait sa maladie, je m'étais posée la quetion : "Que lui restera-t-il ?" L'amour. Il lui restera l'amour. Celui que l'on reçoit. Et celui que l'on donne aussi." (p.221-222)

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Anne-Dauphine Julliand, Deux petits pas sur le sable mouillé, Les arènes, mars 2011, 228 pages.

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