4 Octobre 2010
Je dois l'avouer, je ne savais trop comment intituler ce post... Et j'avais choisi de lui donner le titre du livre dont je veux citer quelques lignes : Le Verbe se fait frère. Mais à la relecture, ces mots un peu provocants qui annoncent cette "prose" me sont apparus plus justes par rapport à ce que je voulais partager. Ceci dit, je profite de cette hésitation de titre pour donner quelques mots plus larges sur l'ouvrage ; après, je vous livrerai ce qui m'a touché, parlé...
Voilà un livre qui comble ce qui pourrait être une lacune du très beau film "Des hommes et des dieux" - ce n'est pas forcément une critique, j'ai bien conscience que le film ne peut tout dire. Christian de Chergé, prieur de Tibhirine, était habité par la question du dialogue avec l'Islam ; celui-ci a forcément a raison d'être aux yeux de Dieu ; et les musulmans, loin d'être tous ces terroristes dont nous parlent les médias, sont pour la majorité d'entre eux avant tout des croyants, des cherchant-Dieu. Christian de Chergé voulait comprendre ce qui les habite, ce qui les tourne vers le Dieu Unique. Et il désirait trouver comment avancer avec ses amis musulmans sur une quête commune de celui que lui révélait le Christ, une marche commune où chacun pourrait enrichir sa propre spiritualité, sa propre foi, sa propre recherche de Dieu.
Dans ce livre Le Verbe s'est fait frère que publient ses jours-ci les éditions Bayard, au milieu des études sur la pensée de Christian de Chergé et sa recherche de dialogue islamo-chrétien, Christian Salenson nous offre une très belle méditation de l'Ascension qui était au coeur de la spiritualité du prieur de Tibhirine. Ce qu'il écrit rejoint un des thèmes qui m'est cher, qui me rejoint dans ma quête spirituelle et dont j'ai parlé plusieurs fois sur ce blog dans des posts liés à l'Arche de Jean Vanier, celui de la vulnérabilité.
Je vous livre quelques lignes de Christian Salenson, dans le chapitre"Une échelle à double sens..." (c'est aux pages 98 et suivantes) :
"[Le Christ] qui est monté, c'est Celui qui est descendu. (...) Il est descendu dans la chair. Il est même allé plus bas que terre en descendant dans les eaux du Jourdain. Il s'est abaissé aux pieds des disciples pour les laver. (...)
Il me révèle que ce chemin là est aussi le mien. Impossible de monter sans descendre. Il m'a fallu descendre de mes idéaux, de ce moi idéalisé et m'éprouver dans l'humus de la réalité de ce que je suis. Il me faut encore et toujours quitter des illusions savamment entretenues pour entrer dans l'acceptation de ma fragilité. J'ai connu l'humiliation de mes fautes. Chacun éprouve l'instabilté de ses piedestaux et finit par se découvrir quelque fragilité qu'il cherchait à mystifier derrière des apparences trompeuses...
Christ est descendu dans la chair. Par l'Esprit il a pris chair. Car rien n'est plus spirituel que de prendre chair, de devenir corps. (...) Le Christ m'entraîne à sa suite et me tient par la main afin d'entrer dans l'épaisseur ambiguë de ma propre humanité, dans mon désir et mon manque, dans mes fragilités et ma soif : "Mon âme a soif de toi, après toi languit ma chair, terre aride, altérée sans eau" [Ps 62,1]. Et plus je descends dans la vérité de mon être et plus je peux entendre pour moi la parole dite au Jourdain : "Tu es mon fils ! Tu es mon unique !" [Lc 3,21-22]
Le Christ est descendu dans la chair mais élevé sur la croix, il est descendu au plus bas, dans la mort. Il est descendu aux enfers et il est allé rejoindre tous ceux qui étaient sous terre, ensevelis dans la mort et sous la fragilité de la condition humaine. Il descend au plus bas dans mes extrémités et mes pauvretés pour chercher et sauver ce qui est perdu en moi. La vie m'a fait descendre dans ces profondeurs, celle de la fragilité, du péché, du désarroi, du deuil. (...)
Tout homme, croyant ou non, expérimente le mystère pascal, éprouve ce chemin de naissance au coeur de ses fragilités. (...)
J'apprends avec Lui cette logique de la vie : on ne monte qu'en descendant. (...) Descendre n'est pas l'humiliation, c'est l'incarnation. Descendre dans l'épaisseur de la vie, dans l'épaisseur charnelle du corps, dans les fragilités non refoulées...
Il ne s'agit pas de se courber, de courber l'échine. Qu'il descende aux profondeurs de la terre ou qu'il soit emporté au plus haut des cieux, Jésus est debout. Il reste toujours debout. Jésus a vécu debout. Il est mort debout... Couché dans la poussière, il est ressuscité. Il a été remis debout, debout de bas en haut, dit-on en grec, anastasis, résurrection ! (...)
Celui qui est descendu et qui est monté, c'est aussi celui qui a ouvert les bras. Il a pris son essor en ouvrant les bras. Pas d'ascension sans extension. Un double mouvement marque la croix. Le signe par excellence du chrétien qui prééxiste dans le coeur de Dieu. Car l'homme a été créé en forme de croix, comme dit saint Bernard et comme le rappelle Christian de Chergé. (...) Pas de verticale sans horizontale. Pas de fils qui ne soit frère. Pas d'élan vers le Père qui ne soit ouverture à la multitude. Pas d'élan vers le Père sans fraternité vers les autres croyants."