3 Septembre 2017
22ème dimanche du Temps Ordinaire / Année A
Jr 20,7-9 / Ps 62 / Rm 12,1-2 / Mt 16,21-27
Les appels que Jésus nous adresse aujourd'hui, il me semble que nous n'aimons pas trop les entendre, ou nous les pensons parfois réservés aux moines et aux moniales, dans la radicalité de leur choix de vie. Ça nous arrange... Or c'est bien chacun d'entre nous qui sommes ses disciples à qui il adresse ces appels à renoncer à soi-même, à porter sa croix, à perdre sa vie, pour le suivre, lui le Christ notre maître.
En écho à ces appels nous avons entendu plusieurs fois au cours des messes de semaine de l'été cet autre appel à tout quitter pour vivre à la suite de Jésus. Avec toujours cette question qui me vient spontanément, au coeur de notre état de vie à chacun, que ce soit dans le célibat ou la vie conjugale, que ce soit dans la vie religieuse et consacrée ou au coeur d'une vie laïque dans le monde : qu'est-ce qui me retient, qu'est ce que je devrais sans doute quitter mais que je n'arrive pas encore à laisser ou à mettre à une autre place, qu'est-ce qui m'empêche aujourd'hui de suivre vraiment ou plus pleinement le Christ ; qu'est-ce qui me retient, qu'est-ce qui m'empêche de lui laisser la place centrale dans ma vie ? Pour le suivre...
L'appel il est à se décentrer de soi... Il est à avoir pour horizon de vie Dieu lui-même. L'appel il est à entrer toujours et encore dans sa dynamique de résurrection, au coeur même de ce que la vie nous fait et nous fera traverser.
Comme le Christ, savoir que nous avons à porter notre croix. Qu'il le faudra. Car c'est le mystère de la vie, et parce que nous le savons bien, notre vie à chacun est traversée par la question du mal. Nous pourrions rêver autre chose ou nous pourrions rêver que Dieu ait permis que ce ne soit pas ainsi ; mais c'est comme ça, c'est le réel de ce que nous vivons. C'est un constat : notre vie est traversée par la question du mal, celui qui nous tombe dessus ou sur celles et ceux que nous aimons, et le mal aussi dont nous sommes partie prenante, au cœur de nos difficultés à aimer et à pardonner.
Porter sa croix... Renoncer à soi-même, à soi-seul d'abord. Décider de prendre le chemin de l'amour qui se donne. C'est ce que le Christ a accepté et vécu, de façon radicale et dérangeante. Par amour pour nous, et pour nous sauver du mal et du péché.
Et il sait déjà, Jésus – l'évangile de ce dimanche nous le rappelle –, que tout chemin de vie va traverser et être traversé par la souffrance et la mort. Il ne se défilera pas. Au contraire, même, c'est au cœur de cela qu'il nous assurera en son corps livré et par le don de lui-même jusqu'au bout, que la vie, avec lui, est et sera plus forte que tout mal et que toute mort. Quoi qu'il arrive. Et malgré les apparences.
Pour Pierre, vous l'avez entendu, c'est inaudible et impensable. Si Jésus est vraiment le Messie de Dieu, le Fils de Dieu, alors la puissance de Dieu doit lui permettre d'éviter le mal et la mort pour en être vainqueur. C'est ce qu'il pense Pierre. Et c'est ce que nous pensons bien souvent face au non-sens de la souffrance et des épreuves qui parfois, peut-être, nous clouent au sol. Nombreux sont-ils – et peut-être en sommes-nous – à se demander alors que fait Dieu et où sont Dieu et sa toute-puissance !?
Oui, Jésus a raison, c'est difficile d'entrer dans les vues de Dieu. On le comprend bien Pierre et nous sommes bien comme lui, spontanément. C'est dur de comprendre et d'accepter la force de vie et d'amour de l'abaissement de Jésus, jusque dans l'acceptation et la fragilité de la traversée du mal, comme pour nous ; en acceptant même, en plus, d'en être victime puisqu il est mort, Jésus, comme un malfaiteur, à cause du péché des hommes et dans l'abandon et la trahison de ceux qui étaient pourtant ses proches...
Jésus est celui par excellence qui a renoncé à lui-même. Et il nous appelle à le suivre jusque là. Nous sommes même invités à croire que c'est Bonne Nouvelle et chemin de vie... C'est un appel à apprendre et à voir chacun et chaque situation non pas de notre point de vue d'abord, mais avec les yeux et le cœur de Jésus, avec son regard qui aime et qui pardonne, et avec son cœur qui croit, quoi qu'il arrive, que Dieu notre Père est là à nos côtés, qu'il nous accompagne et ne nous abandonne pas, malgré les apparences peut-être, mais qu'il est là, quoi qu'il arrive. Et même qu'il nous donnera pour la route ce dont nous avons besoin, comme pour Israël dans sa longue et parfois désespérante traversée du désert.
Il est là notamment par celles et ceux qui vivent ses appels d'Evangile, celles et ceux qui entrent dans la dynamique de vie du Christ, celles et ceux qui deviennent ses disciples et qui sont désormais ses mains pour prendre soin de chacun, ses pieds pour aller à la rencontre du souffrant ou de l'exclu, et sa voix pour tenter et pour oser des paroles de réconfort, de consolation et d'encouragement.
Renoncer à soi-même c'est du coup sortir de nos conforts et de nos habitudes pour décider de suivre le Christ dans une vie toujours plus d'Evangile. Et pour cela, pour y arriver petit à petit, il nous faut entendre l'autre appel du jour, celui de Paul dans la 2ème lecture, à nous laisser transformer par le don de nous-mêmes pour Dieu et pour nos frères, nous laisser transformer en renouvelant notre façon de penser, en cherchant à faire la volonté du Père.
Alors comment faire, concrètement, me direz-vous ? Votre vie, mes soeurs, est ici témoignage et appel pour chacun d'entre nous. Car comment faire, comment se laisser transformer et renouveler par Dieu lui-même, si ce n'est en prenant et en apprenant à prendre le temps du cœur à cœur avec le Seigneur, dans la prière. Ce temps offert à Dieu où nous allons nous laisser aimer petit à petit par le Seigneur qui toujours nous y attend. Et comme Jérémie nous pourrons murmurer : « Tu m'as séduit, Seigneur, et je me suis laissé séduire »...
Et dans le silence de la prière mais également en nous laissant façonner par la liturgie, semaine après semaine et même jour après jour, la Parole de Dieu va pouvoir s'imprimer en nous et nous donner d'entrer toujours plus dans les vues et les pensés de Dieu. Alors, comme Jérémie, nous pourrons nous écrier : cette Parole est « comme un feu brûlant dans mon cœur » ! Quelque chose qui va me pousser, me faire vibrer, me faire sortir de moi-même... Un feu qui ne demande qu'à se propager, comme l'amour de Dieu pour nous et pour ce monde qui en a tant besoin !
Me revenaient ces mots de Jésus, au chapitre 12 de l'évangile de Luc : « Je suis venu apporter un feu sur la terre, comme je voudrais qu'il soit déjà allumé » (Lc 12,49).
C'est notre mission, pour ce monde que Dieu aime. À notre mesure évidemment, mais toute notre mesure. Alors dans cette eucharistie nous demandons au Christ qu'il vienne toujours plus nous transformer de l'intérieur par sa présence et son amour, et nous lui demandons ce soir encore qu'il soit notre force de vie, au cœur de ce que nous traversons peut-être mais aussi pour une vie d'évangile où nous trouvions chacun et ensemble comme répondre aux appels que nous entendrons ; que nous trouvions chacun et ensemble comment être les mains, les pieds et la voix de ce Corps du Christ que nous sommes et que nous devenons par notre communion au sacrement de sa présence. Amen.