19 Novembre 2018
Du premier roman que j'ai lu d'elle il y a 7 ans maintenant, je retiens de Delphine de Vigan l'entrecroisement de l'écriture et de la mémoire donnant naissance au récit : l'une faisant advenir l'autre, et celle-ci faisant réciproquement advenir celle-là qui prend forme alors dans l'histoire racontée.
De ce roman que je viens de lire je dirais la même chose, je retrouve le même appel de l'un à l'autre, dans le récit qui s'écrit et se dit, dans ce que l'écriture et la lecture de lettres que le héros reçoit lui font retrouver souvenirs et mémoire, et ce besoin qu'il a d'écrire alors, d'écrire son histoire qui refait surface en lui et pourrait le dévaster. Ces lettres elles-mêmes ne sont-elles pas d'ailleurs le fruit de son écriture première à lui, ce premier roman qui le rendit, lui, à sa mémoire à elle ?
N'en est-il pas de même, d'ailleurs en nos vies ? Tel récit qui réveille telle émotion, et tout se déverse en nous, tout revient en surface, qui nous envahit, nous submerge parfois, et même pourrait nous violenter ? Alors même que nous nous sentions vivants, voilà que la vie, autrement, jaillit et nous tempête intérieurement, bouleverse les équilibres, et nous appelle à la vie, autre, autrement...
C'est l'histoire de Matthieu Brin, écrivain à succès. Marié et père de deux enfants, heureux, ayant aimé beaucoup et ayant été transformé par l'amour de sa femme, sa vie bascule avec ces souvenirs qui remontent. A cause de cette première lettre qu'il reçoit, qui vient réveiller sa mémoire et plus encore la mémoire enfouie, et même la mémoire des sens et des corps. Et le voilà qui ne peut faire autrement que d'écrire tout cela, que d'écrire de nouveau. Il en mourrait alors que c'est la vie qui se déchaîne en lui. Qu'en faire ?
Ecriture et mémoire... Vie et passion... Quête de vérité et besoin d'aimer et d'être aimé... Tout se dit et se croise, tout se tisse. Et comme pour les deux autres romans de Delphine de Vigan que j'avais lus, il y a quelque chose de fascinant, dans l'écriture, dans le récit, dans les émotions que cela ferait surgir en soi.
D'ailleurs, comme je m'en faisais la réflexion dans ces deux précédentes lectures, tel que cela remonte en moi, le travail d'écriture d'un roman ne permettait-il pas cela, justement, au lecteur ? Faire advenir en lui ces émotions qui le font vivant ?
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Delphine de Vigan, Un soir de décembre, Le Livre de Poche, octobre 2018 (JC Lattès, 2005), 186 pages, 6€90.
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Extraits :
“C'est l'histoire d'une femme qui traîne dans les bars à la recherche d'un homme qu'elle a perdu trop tôt. Ce n'est pas tout à fait lui qu'elle cherche, plutôt le souvenir de lui, le souvenir d'avant lui." (p.91)...
“Sans doute on peut se contenter de ça, de cette vie sans peur, sans rien qui brûle, à l'intérieur de soi. Sans doute aurait-il pu se contenter de ça. Mais les lettres continuent de chuchoter au fond du tiroir, font naître en lui un trouble étrange qui l'accapare. Il ne s'est jamais senti aussi vulnérable. Il ne s'est jamais senti aussi vivant.” (p.107)...
“Par définition l'amour est insupportable (...). L'amour est une plaie. (...) L'amour finit toujours par se transformer en cicatrice, plus ou moins vaste, plus ou moins silencieuse. La question n'est pas de savoir si l'amour est supportable ou non. La question est de savoir si l'on se protège ou si l'on s'expose. si l'on vit à l'abri ou à découvert. Si 'ton est prêt à porter sur soi la trace de nos histoires, à même la peau.” (p.163-164)...