Homélie mardi 9 juillet 2019

Mardi de la 14ème semaine du Temps Ordinaire

Carmel St Joseph (Bruxelles)

Gn 32,23-32 / Ps 16 (17) / Mt 9,32-38

 

J’ai été pas mal habité au long de la journée par la 1ère lecture qu’on vient d’entendre… On la connaît plutôt bien cette histoire, je crois, mais j’ai trouvé qu’il y avait comme une étrangeté dans ce récit… On le sait que Jacob mène un combat avec Dieu, sous les traits de cet homme qui le rejoint de nuit. Et parfois on parle du combat de Jacob avec l’ange comme si ça nous gênait un peu que ce soit directement avec Dieu…

Moi ce qui m’a habité et qui me donne ce sentiment d’étrangeté, c’est que j’ai l’impression que Jacob se bat avec lui-même. Et qu’on n’en sort jamais indemne. Et que dans nos combats avec nous-mêmes, quand nous sommes croyants, il nous arrive à nous aussi de découvrir qu’il se joue quelque chose du passage de Dieu dans notre vie…

Jacob est seul, dans la nuit. Il est seul car il a peur, il a mis femmes et enfants de côté pour qu’il ne leur arrive rien. Il a peur car son frère Esaü s’approche avec une quasi armée. Et Esaü a de bonnes raisons d’en vouloir à Jacob, car quelques chapitres avant cette scène, et plus précisément quelques années avant, Jacob a usurpé la place d’Esaü pour recevoir la bénédiction de leur père, Isaac. Il y a de la jalousie et même de la haine entre eux. Et ça, nous le savons bien, ça remonte à toujours dans les familles. Depuis Caïn et Abel… Et nous le savons bien, tout cela mène à la mort, qu’elle soit physique et réelle – Caïn et Abel, justement –, ou qu’elle soit symbolique…

Esaü aurait de bonnes raisons apparentes de vouloir se venger… Et des années après c’est comme si Jacob ne pouvait pas vivre en paix. C’est là en lui, ça l’habite, ça le travaille… On lui annonce la venue de son frère, et pour lui, c’est sûr, il vient pour mener contre lui un combat fratricide. On imagine ce poids de culpabilité qui devait ronger Jacob de l’intérieur. Et on comprend mieux du coup ce qui se passe entre cette usurpation de bénédiction (ch. 28) et notre scène de nuit et de combat (au ch. 32) avec cet homme qui est Dieu. Vous irez relire, c’est toute les péripéties de ce qui lui arrive avec Laban son beau-père.

Vous verrez, on a l’impression que Jacob est toujours sur ses gardes, sur le qui-vive. Il n’a pas la conscience tranquille, c’est un peu comme s’il allait toujours se faire avoir, alors que c’est lui qui berne les autres, c’est lui qui est fort et malin et qui donne l’impression d’être sûr de lui et de maîtriser son destin, de prendre les choses en mains. Et c’est peut-être cela, d’ailleurs, son problème. Fait-il vraiment confiance en Dieu et à cette bénédiction et promesse de descendance qu’il a reçue par l’intermédiaire de son père ?

Et voilà que dans cet épisode qu’on a entendu, Jacob est dans la nuit. Il a peur, il se retrouve seul et isolé, vulnérable du coup. Et il ne se rend pas compte que Dieu qu’il a appelé à son secours juste avant est là qui vient le rejoindre. Un homme et tout de suite son sang ne fait qu’un tour et il engage le combat. Comme si c’était une question de vie ou de mort. Comme s’il se battait avec lui-même et sa noirceur, celle de ses peurs ou celle de ses mauvais coups…

Et ça combat. Jacob est fort, et l’autre qui est là manque de ne pas en venir à bout. Ce qui le sauve, si j’ose cette expression pour Dieu, c’est ce coup porté à la hanche, qui fera de Jacob, cet un homme blessé intérieurement qui ne se l’avoue peut-être pas, un boiteux, un blessé physiquement qui toute sa vie se rappellera de cette expérience. C’est comme s’il recevait un signe, une marque, comme Caïn avant lui qui avait peur qu’on se venge d’Abel. Cette blessure ce sera ce comme un rappel qu’il est vulnérable mais que, l’acceptant, sa vie s’en trouve changée.

Il avait appelé Dieu à son secours, il ne l’a pas reconnu, et voilà qu’il est béni au cœur de sa nuit et de son combat. Comme une prise de conscience. Il y aura un avant et un après. Et cette blessure est comme une faille par laquelle la vie peut traverser Jacob et avec elle de la confiance qui va prendre sa place petit à petit et grandir en lui au fil des années.

D’ailleurs, ô surprise, quand il est rejoint par Esaü, il va découvrir que son frère ne vient pas le mettre à mort. Il vient juste, ou tout simplement, à sa rencontre. Et voilà que Jacob se retrouve réconcilié avec son histoire et ainsi avec lui-même. Car Esaü, son jumeau, est comme une part de lui…

Je ne sais quels sont nos combats aux uns et aux autres, ou lesquels ils ont été. Mais ce que je peux partager de mon histoire, c’est que nos lieux de nuit et de vulnérabilité sont bien ce lieu où Dieu vient nous rejoindre, et que parfois nous ne voyons pas et qu’il nous faudra du temps ou des frères et sœurs qui vont nous aider à en prendre conscience. Mais c’est là, pourtant, dans nos combats avec nous-mêmes ou avec celui que nous voudrions être, c’est là dans nos combats avec nos peurs ou dans les nuits que nous avons à traverser comme celles que traversent tant de personnes autour de nous, que Dieu peut se révéler à nous.

Je peux témoigner que nous n’en sortons pas indemne, comme Jacob, que peut-être nous resterons boiteux, d’une façon ou d’une autre, mais si nous y avons découvert le Dieu-sauveur-qui-est-toujours-avec-nous alors pour nous aussi il y a et il y aura un avant et un après…

Alors tout simplement ce soir, dans cette eucharistie, nous pouvons offrir au Seigneur nos expériences de salut ou nos combats actuels. Nous lui demandons toujours et encore sa force et sa présence mais aussi sa lumière qui veut éclairer toute nuit. Amen.

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