Paternités et fraternités spirituelles

 

Avec la crise des abus et la “chasse” au cléricalisme, on peut se demander ce qu'il en est d'une certaine “paternité” ministérielle ou spirituelle des prêtres. Un colloque s'est tenu il y a quelques mois à Ars, sur ce thème là, et je relayais déjà sur ce blog deux propositions de lectures qui en sortaient, sur ces questions de ministère et de paternité spirituelle.

Je vous propose ici quelques lignes sur le petit livre du fr. Benoît-Dominique de la Soujeole, dominicain, des pages qui sont une reprise d'une conférence qu'il donna, augmentée pour la présente édition  – de notes, notamment, et peut-être de telle ou telle précision ou tel ou tel point.

L'intérêt de ce qui nous est ici proposé est de voir que dans les textes de Vatican II et du magistère post-concilaire, notamment dans Pastores dabo vobis de Jean-Paul II et dans le Catéchisme de l'Eglise catholique, il n'est quasi jamais fait mention d'une paternité dans le ministère des prêtres. Alors que l'usage s'est très largement répandu, en France notamment, d'appeler les prêtres “Père”. Il est beaucoup dit dans ces textes qu'ils sont appelés à être “frères” !

Alors en quel sens peut-on parler – et le faut-il – d'une forme de paternité ?

Pour notre auteur il y a deux formes de paternité qu'exercent les prêtres. Une première qui leur serait spécifique, une paternité ministérielle d'engendrement à la foi, en Christ, au nom du seul Père qu'est Dieu, une paternité ministérielle qui s'exerce tout particulièrement dans les trois dimensions du ministère que sont l'annonce de la Parole (et la prédication, au nom du Christ), la célébration des sacrements (qui font don de la grâce divine et nous engendrent ainsi à notre être filial dans le Fils) et la conduite de la communauté. 

Mais cette paternité ministérielle s'enracine dans une fraternité baptismale première et engendre à celle-ci. Nous n'engendrons pas des fils et des filles, du moins ce ne sont pas les nôtres, nous exerçons une paternité qui engendre des frères et soeurs (du fait qu'ils sont fils et filles de Dieu). Comme prêtres nous sommes d'abord et surtout appelés à être frères de celles et ceux à qui nous sommes envoyés et là, au coeur de l'exercice de notre ministère, se joue quelques chose d'une paternité ministérielle.

La seconde forme de paternité de notre ministère, mais qui n'est pas réservée aux prêtres puisqu'elle peut être vécue par des laïcs, est ce qu'on appellerait une paternité spirituelle (au sens plus strict), celle de ce qui se vit dans l'accompagnement spirituel où notre aide et nos conseils qui résultent de l'écoute ensemble de ce que l'Esprit suscite dans la vie de l'accompagné l'engendrent en sa vie en Christ et dans l'Esprit – en lui permettant de continuer à avancer sur ce chemin d'engendrement.

Notre auteur pointe les risques de dérive vers une forme d'emprise quand ces deux paternités sont confondues ou mélangées, ou plutôt : que l'on se sert de la paternité spirituelle pour affermir une paternité ministérielle que j'ai envie de qualifier de durcie, qui ne se penserait pas dans une fraternité originelle ; et d'autant plus quand on ajoute une confusion ou une superposition mal définie ou mal clarifiée avec l'exercice du sacrement du pardon. Non pas que la même personne – prêtre – ne puisse vivre ces différentes dimensions de son ministère et en direction d'une même personne accompagnée, mais en veillant à ce que tout cela soit bien fondé – originé – dans cette fraternité première, sans se servir de l'une ou l'autre de ces différentes dimensions du ministère pour affermir une autorité sur les personnes qui pourrait virer à une forme d'emprise.

Ces pages sont courtes et intéressantes sur ces distinctions, même si elles sont parfois un peu techniques dans l'argumentation ou plutôt un peu didactiques ; mais le style reste simple et la lecture assez facile je crois, on est bien conduit, on sent que c'était une conférence, on avance pas à pas. Et – je le redis – c'est intéressant, pour qui veut lire un peu sur ces questions.

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fr. Benoît-Dominique de la Soujeole, Paternités et fraternités spirituelles, Cerf, 105 pages (format poche), 10€.

Paternités et fraternités spirituelles
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