Chemin faisant. Pour une pastorale synodale

Chemin faisant. Pour une pastorale synodale

Voilà un livre de théologie (et même de philo) qui m’aura fort intéressé, stimulé aussi, et qui m’aura fait me poser beaucoup de question au fil des pages, crayon en main ! Un livre passionnant, je trouve, de théologie pastorale ; un livre qui vient du coup rejoindre tout un tas de questions qu’on est amené à se poser en paroisse quant à nos propositions et notamment quant aux demandes de sacrements qui, pour une part encore, peuvent rester de l’ordre d’une tradition familiale. Moins qu’avant sans doute, mais encore – vu ce qu’en racontent certains confrères.

Ce qui m’a donné envie de lire ces pages c’est d’abord la mention d’une pastorale qui soit « synodale ». Je ne pensais pas spontanément qu’il serait question d’évangélisation et de pastorale paroissiale sacramentelle mais plutôt de questions comme celles de la place de chacun – hommes, femmes, prêtres, laïcs, etc. – dans la vie de l’Eglise et peut-être même dans la conduite de celle-ci et la gouvernance – les thèmes qui reviennent beaucoup quand on parle du synode romain sur la synodalité, ce processus dans lequel toute notre Église est embarquée depuis deux ans déjà et qui va se poursuivre par une assemblée à Rome en octobre prochain en vue d’une autre un an après.

Non, il est en fait question de pastorale, d’annonce de la foi ; il est question de penser des propositions pastorales qui soient un chemin : un chemin que nous puissions proposer, un chemin fait de rencontres, un chemin où expérimenter la présence de Dieu, chacun à son rythme, c’est-à-dire à partir de là où nous en sommes chacun.

Et il s’agit d’une réflexion pour penser comment sortir d’une pastorale de réponse à la demande à une pastorale d’un compagnonnage avec le Christ, au souffle de l’Esprit Saint, en Église.

Dit comme ça, rien de bien nouveau peut-être ?! Pas sûr… allez voir, allez lire !

En tout cas c’est là la deuxième raison qui m’a motivé à lire ces pages. Car j’entends beaucoup de mes confrères être parfois désemparés ou découragés voire désabusées face à des demandes sacramentelles qui sont tel un but en soi, une case à remplir, puis on ne revoit que peu les gens… Et je savais que notre auteur se questionne pas mal là-dessus, puisqu’il a ouvert en 2017 un blog où il avait commencé à y poser ses réflexions pastorales quant à tout cela.

Et voilà ma troisième raison de me plonger dans ce petit essai : son auteur, que je connais pour nous être rencontrés assez souvent en réunions des prêtres du doyenné (ou du diocèse) quand j’étais curé à Bourgoin-Jallieu et alentours et que lui, comme prêtre du Chemin Neuf, servait sur la paroisse voisine autour de Villefontaine.

Si je parle d’ailleurs d’un « petit essai » c’est parce que c’est finalement assez court et que ça se lit assez vite. Mais ce n’est pas pour autant que ce soit tout très simple de lecture ! C’est dense, et pour une bonne part philosophique. En effet Thibaut Girard (qui est titulaire d’un master de philosophie et d’une licence de théologie), fonde toute sa réflexion théologique et pratique sur une philosophie existentialiste et notamment sur la pensée de Kierkegaard. À deux reprises il y revient sur plusieurs pages, ce n’est pas tout simple, c’est dense, il faut s’accrocher, mais c’est intéressant dans ce que cela lui permet de développer.

Au point de départ de toute cette réflexion il y a un constat, une interrogation quant à la pertinence de ce que nous proposons et vivons en paroisse où la pastorale est surtout de réponse à des demandes sacramentelles et de catéchèse. On « donne » les sacrements, on annonce un peu Jésus-Christ et l’histoire biblique, mais cela ne semble pas faire de ces jeunes ou de leurs parents des chrétiens qui veuillent vivre d’une quelconque foi… Alors que faire ? Comment repenser autrement notre pastorale ?

Et notre auteur part du constat que des parcours ou des propositions tels le parcours Alpha permettent au contraire d’ouvrir à un désir de plus, d’ouvrir à un début de chemin avec le Christ, et même de goûter à la joie d’une vie ecclésiale fraternelle. Mais que proposer ensuite, qu’en faire ?

Son intuition c’est que c’est par là qu’il faut aller, développer cela – ce qu’il veut ici (re)fonder théologiquement – : vouloir non plus préparer au baptême ou à la confirmation ou à la communion ni même au mariage, en soit, comme un but pour les gens et, pour nous, comme un moyen pour essayer de leur transmettre un peu de la foi chrétienne, non. Son intuition c’est qu’il faut repenser notre pastorale – et donc notre façon de la penser théologiquement –, étayer celle que nous pratiquions, la développer, l’insérer dans une proposition autre et plus large qui soit un chemin de rencontre de Jésus et de sa Parole, un chemin d’initiation à une vie authentiquement chrétienne, un chemin où l’on rejoigne chacun à partir de là où il en est de sa vie et de ses questions, pour lui donner de décider et de vouloir devenir chrétien au sens de disciple de Jésus, et donc de vouloir et décider de devenir un « apprenant ». Il s’agira, est-il écrit à plusieurs reprises, de « penser un étaiement » de ce que notre auteur appelle une « théologie de la médiation » par « une théologie pastorale de la vie dans l’Esprit » (cf. p.19 mais aussi p.27 et p.131) – ce qui aura d’ailleurs des incidences sur notre façon de concevoir le ce que notre auteur nomme « le ministère de l’Église » et le cœur de ce qui en fait la mission (c’est un peu abordé autour des p.78-83s. mais sans pour autant le développer sous l’angle d’une théologie des différents ministères ; ça reste à creuser et à travailler)…

Plusieurs fois on peut se dire à la lecture de ces pages, et je me le suis demandé : « ok, et donc, concrètement ? » Et ça finit par arriver, notamment dans le dernier quart du livre : une proposition concrète de « parcours de croissance », des propositions et des parcours qui ouvriraient à une vie ecclésiale « authentiquement » chrétienne. Et c’est intéressant, stimulant aussi.

Attention toutefois : ce livre n’a pas prétention à donner des recettes toutes faites ou je ne sais quelle bonne pratique qu’il faudrait appliquer pour que ça marche. Notre auteur le dit à plusieurs reprises : il s’agit d’une libre réflexion – à partir d’un constat et d’une intuition – qui appelle à être débattue et travaillée. L’enjeu est de chercher ensemble. Certes il ne part pas de rien ni même de ses seules intuitions personnelles ; au fil des pages ça ne manque pas de références bibliographiques quant à ces questions et ce qui a pu se réfléchir ici ou là –  notamment dans les milieux anglo-saxons, notamment protestants ou évangéliques. Et si la pensée se veut par moments philosophique c’est toutefois non sans appuis bibliques également.

Lisant ces pages, je pensais à tel ou tel confères, je pensais à mon évêque aussi ou d’autres, je pensais également aux personnes engagées dans la réflexion et l’accompagnement de la pastorale des sacrements ou de ce qu’on appelle une catéchèse à tous les âges de la vie, dans les paroisses où dans les services diocésains, et je me disais combien il pourrait leur être intéressant de lire ces pages, et combien il serait intéressant et profitable de les travailler à plusieurs ! Pourquoi pas d’ailleurs !?

En tout cas je m’en suis posé des questions, me demandant par exemple comment accompagner quand même et quel chemin proposer à des personnes qui voudraient « leur » sacrement et rien de plus ; quelle proposition concrète leur faire, à partir du réel de leur demande, pour qu’un chemin de découverte du Christ puisse s’initier et que cela leur donne le désir de plus et même de décider vraiment de célébrer le sacrement qu’ils demandaient ? Et alors ou au contraire, quels critères se donner pour finalement dire non quelqu’un, en lui permettant de le poser lui-même, de lui permettre d’exercer sa liberté ? Mais en n’oubliant jamais que l’enjeu est bien que nous puissions annoncer Jésus-Christ sauveur et de faire des disciples comme il nous y a appelé ! Donc de vouloir leur proposer un chemin et le permettre !

Dernier point – et promis je m’arrête ensuite – : il me faut ajouter et préciser combien cette réflexion invite à remettre l’Esprit Saint au cœur du chemin car il s’agit d’ouvrir et de proposer une vie dans l’Esprit qui toujours nous précède et qui nous enseignera la vérité et les profondeurs du mystère de Dieu révélé en Jésus-Christ. Car la foi ce ne sont pas d’abord ou pas seulement des choses à savoir sur Dieu et sur Jésus, c’est croire en Lui qui nous révèle le Père et se laisser conduire par Lui au souffle de l’Esprit Saint qu’il nous faut donc apprendre à découvrir et à accueillir Lui aussi. C’est Lui qui nous permettra cette « appropriation » dont il est tant question tout au long de ces pages, appropriation des vérités de la foi au cœur de notre existence et du réel de qui nous sommes et où nous en sommes, pour que là se dessine un chemin. Je vous laisse méditer… et oser cette lecture !

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Thibaut Girard, Chemin faisant. Pour une pastorale synodale, L’Harmattan, coll. religions et spiritualité, avril 2023, 136 pages, 16€.

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