8 Octobre 2023
27ème dimanche du Temps Ordinaire - Année A
Is 5,1-7 / Ps 79 (80) / Ph 4,6-9 / Mt 21,33-43
Je ne sais pas comment vous recevez tout ça, mais franchement c’est un peu heurtant ce qu’on vient d’entendre ! C’est un peu déroutant et c’est même un peu incompréhensible ; d’autant que dans la prière d’ouverture, tout à l’heure, on a rappelé à Dieu sa tendresse inépuisable, sa miséricorde qui va nous rassurer de tout ce qui peut nous inquiéter, et puis le fait que Dieu nous comble bien au-delà de nos mérites…
Mais là, ce qu’on vient d’entendre, ça donne l’impression que c’est tout l’inverse ! Dans l’évangile comme dans la 1ère lecture ! Certes, au milieu, avec la 2ème lecture, on a eu un « truc » plus calme, des paroles plus apaisantes, l’appel à prier et à supplier Dieu, l’appel à ne s’inquiéter de rien. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, quoi !
Ben non ! Justement ! Ou plutôt : c’est justement parce qu’il y a de la violence – c’est un fait – qu’il va falloir qu’on apprenne à s’en remettre à Dieu, à déposer en lui tout ce qui nous inquiète, y compris cette violence qui nous habite nous aussi. Et l’enjeu c’est quoi ? c’est de pouvoir ainsi avancer sur un chemin de paix, un chemin de pacification – pacification de notre vie à chacun et de notre vivre-ensemble.
Sauf que tout ça c’est bien gentil, et ce qui peut nous heurter ou nous dérouter plus encore c’est en fait ce qui semble être dit d’une violence de Dieu, justement dans l’évangile qu’on vient d’entendre et dans la 1ère lecture. Alors que comprendre, qu’entendre ? Qu’est-ce qu’on va faire de tout ça ?
Je propose qu’on essaye d’y aller pas à pas, tranquilou, en regardant ce que ces textes essayent de dire. Et en essayant d’entendre alors à quoi ça nous appelle nous aujourd’hui…
La première chose à avoir en tête c’est que cette vigne dont il est question c’est le peuple de Dieu. Le peuple que Dieu s’est donné, Israël, ce peuple qu’il s’est donné pour devenir témoin pour toutes les nations de l’existence et de la présence de Dieu avec nous. C’est sa mission. Encore faut-il qu’il la vive ! Et c’est là le problème !
On la connaît l’histoire, si on va lire dans nos bibles. C’est l’histoire de ce peuple qui apprend à compter sur Dieu et à faire ce qu’il lui propose, à se laisser conduire, mais c’est aussi l’histoire de ses infidélités aux appels de Dieu, ses ras-le-bol et ses découragements parce que ça ne se passe pas comme lui, le peuple, voudrait, c’est difficile parfois, il y a des épreuves, il y a aussi des nations ennemies qui ne veulent pas se laisser faire. Et puis il y a ce désir qui nous guette tous à vivre par nos propres forces, celui aussi à vouloir contrôler l’autre, cette soif de pouvoir, de richesse, de reconnaissance qui nous habite tous. Et qui va finir parfois par détourner Israël de Dieu et de cette mission qui lui est confiée…
Et Dieu va essayer de se faire entendre, Dieu va essayer de réveiller le peuple de ses endormissements ou de ses compromissions, il va faire se lever des témoins, des prophètes, des rois qui veulent conduire le peuple sur le bon chemin. C’est ça que nous redit la parabole de l’évangile de ce jour, c’est ça qu’il veut nous rappeler.
Et en même temps, nos cœurs sont parfois endurcis, on ne veut pas entendre, on veut compter sur nos seules forces, on veut contrôler, maîtriser, asservir l’autre, etc. etc. etc.
Que fait Dieu, alors ? Il fait ce que nous raconte la 1ère lecture : il nous laisse libre, il nous livre à nous-mêmes. Il laisse Israël à la merci de ses ennemis. C’est comme s’il lui disait : « tu ne veux pas de moi, tu n’en as rien à faire de mes commandements qui sont pourtant des balises pour ton chemin de vie et de bonheur, ok, alors je te laisse, je te laisse te démerder tout seul comme un grand, je ne te protégerai plus, fais tes expériences, et on verra, tu verras, mais débrouille-toi puisque c’est ce que tu veux ! »
Et qu’est-ce qui va se passer ? Le mal va déferler. Israël va se demander ce qui lui arrive, il va crier vers Dieu.
Tiens donc, il se rappelle que Dieu existe ?! il a même besoin de lui ?! Et on va trouver ça dans les psaumes, des appels à Dieu à revenir, à sauver son peuple. C’est ce qu’on a entendu dans celui de ce soir quand le psalmiste s’écrie : « Dieu de l’univers, reviens ! (…) regarde et vois : visite cette vigne, protège-là (…) Jamais plus nous n’irons loin de toi [Promis !] : fais-nous vivre et invoquer ton nom ! Seigneur, Dieu de l’univers, fais-nous revenir ; que ton visage s’éclaire, et nous serons sauvés » !
C’est beau ce cri, je trouve. Et sans doute qu’il faudrait que ça devienne le nôtre aussi, quand on oublie Dieu ou qu’on s’en fout un peu de ses appels...
Au passage, vous aurez peut-être entendu le retournement qui s’est produit : le psalmiste demande à Dieu de revenir à lui, de revenir vers son peuple, c’est-à-dire de ne pas le laisser livré à lui-même et au mal qu’il fait ou à celui qui s’acharne sur lui, et juste après il lui dit : « fais-nous revenir ». Que nous aussi nous voulions bien faire retour vers Dieu… Et crier vers lui c’est déjà faire retour vers lui…
Dieu ne va pas cesser d’essayer de revenir, il va envoyer ses prophètes, il va même envoyer son propre Fils. Et l’histoire on la connaît : il va être mis-à-mort, au nom même de l’amour de Dieu qu’il veut révéler pleinement, son amour sauveur, sa miséricorde. On la connaît l’histoire. Israël n’a pas reconnu Dieu qui le visitait, qui le visitait en personne.
Mais Dieu s’en sert. Dieu veut tellement nous sauver, que même cette mise à mort va devenir un passage dans lequel Dieu veut nous entraîner. Pas qu’Israël qui n’a pas voulu, mais nous tous, nous tous pour lesquels Israël devait témoigner de l’existence et de la présence de Dieu. Le Dieu sauveur qui libère de l’esclavage et qui fait passer de la mort à la vie, du péché au salut.
La question pour nous c’est de savoir qu’est-ce que nous ferons de tout ça ; c’est-à-dire : qu’est-ce que nous ferons des appels de Dieu ? Est-ce qu’on va faire mieux qu’Israël, est-ce qu’on va vouloir vivre notre vie en faisant notre petit marché entre ce qui nous va de la Parole de Dieu et ce qu’on n’a pas envie d’entendre, ou est-ce qu’on va apprendre à obéir, c’est-à-dire à écouter, écouter vraiment, pour en vivre, et que ça témoigne pour d’autres autour de nous !?
C’est ça l’enjeu. Et on pourra faire toutes les missions d’évangélisation qu’on veut ou toutes les années jubilaires ou tous les week-end d’intégration qu’on veut, ça ne sert à rien si ça ne nous aide pas à vivre l’Évangile et à le vouloir, et si on ne décide pas de s’y aider, de se soutenir, si on ne décide pas d’écouter pour de vrai et de discerner comment on va pouvoir le vivre concrètement et pour de vrai. A notre petite mesure mais toute notre mesure, chacun et ensemble.
Et ça, ça va appeler de mettre le Christ au centre – c’est « la pierre d’angle ». Apprendre à voir le Fils qui est là, envoyé par le Père. Le voir et donc l’écouter, se laisser conduire par lui, se laisser corriger aussi. Accepter qu’il nous déroute et que ça nous entraîne sur des chemins un peu autres que ces certitudes que nous brandissons parfois comme des vérités et des étendards.
Ça va appeler à nous écouter les uns les autres, pour marcher ensemble. C’est exactement l’enjeu du synode des évêques qui se déroule en ce moment à Rome. Et il y a un acte de foi à poser en l’Église et en l’Esprit saint qui veut souffler et travailler les cœurs aujourd’hui.
Alors oui il va falloir prier, comme disait St Paul dans la 2ème lecture. Il faut faire monter vers Dieu nos supplications, nos demandes, nos intentions de prière, ce qui nous habite et ce qui nous est confié, mais également nos inquiétudes peut-être, nos colères aussi les uns contre les autres, parce qu’on sait bien que c’est difficile le vivre-ensemble, et que l’appel à aimer et à nous aimer comme le Christ nous a aimés c’est un vrai challenge, un vrai défi de chaque jour.
Et aimer l’autre, nous aimer les uns les autres ça appelle le pardon, on le sait bien, parce qu’on se blesse, parce que nos idées toutes faites ou nos jugements tranchés, on se les balance à la figure en espérant que l’autre se plie à notre seul point de vue. Non, par pitié !
Je vous dis tout ça, parce qu’il est là le mal très concret qui nous guette tous et qui fait qu’on rejette Dieu et ses appels. Ça tue le Fils, c’est le scandale de la Croix. Jésus est mort à cause de notre péché, à cause de la violence des hommes et le refus de se convertir, le refus d’accueillir Dieu qui passe et qui est là. Il est mort à cause du péché des hommes, mais il a consenti par amour à y aller quand même, à y aller jusqu’au bout, pour nous en délivrer, pour nous délivrer de l’emprise du mal dont on est tous partie prenante.
Dieu veut pour nous le salut. Et oui, il est bien cette tendresse et cette miséricorde dont parlait la prière d’ouverture. Mais il faut qu’on veuille en être, qu’on veuille l’accueillir, qu’on veuille bien que ça fructifie en nous. Dieu nous laisse libre. C’est et ce sera tout l’enjeu de notre vie, et tout l’enjeu de notre vivre-ensemble aussi en Église : d’apprendre à faire place à Dieu, apprendre à le laisser façonner nos cœurs et tout notre être. Et que son amour sauveur puisse ainsi se répandre aujourd’hui encore.
Alors je ne sais comment nous recevons tout ça, mais bien humblement confions au Seigneur ce qui nous habite. Peut-être la violence qui est en nous mais aussi notre soif ou notre désir de plus de paix. Et demandons-lui la grâce d’écouter et de mettre en pratique, comme nous l’a rappelé St Paul quand il nous a dit : « Ce que vous avez appris et reçu, ce que vous avez vu et entendu, mettez-le en pratique. Et le Dieu de la paix sera avec vous. » Amen.