Le couple homosexuel et la vie baptismale

Ces derniers jours, certains journaux ont attisé le débat en déclarant que le pape François ouvrait la porte aux bénédictions de couples homosexuels. Je crois qu'il a de fait évoqué quelque chose de cela mais sous forme de question et dans une réponse à des doutes émis par certains cardinaux conservateurs quant au synode en cours et les questions qui pourraient y être traitées.

De mon côté je termine ces jours la lecture de ce livre de Bruno Vandenbulcke repéré il y a quelques mois et qui m'intéressait car j'en rencontre des jeunes concernés par cette question – et des moins jeunes – et qui veulent vivre un authentique chemin à la suite du Christ. Ils sont là, parfois déjà en couple ; que leur proposer qui ne soit pas d'abord une liste d'interdits et des jugements qui ne vont justement pas permettre qu'un chemin puisse se faire ?!

Ils sont là. Ils se sont découverts homosexuels. Pour un certain nombre c'est une blessure ou en tout cas une question. Et ils veulent vivre, ils veulent avancer sur un chemin de vérité et de liberté, vérité avec eux-mêmes déjà, et un chemin de liberté c'est-à-dire de libération de tout ce qui les les rend peu-vivant, peu eux-mêmes, ce qui les cloue au sol, vivre libérés des jugements enfermants qu'on pose sur eux, dans leur famille, leur entourage, leur communauté chrétienne. Quel chemin pour eux ?

Ils sont là et pour certains ils sont baptisés. Comment déployer dans leur vie ce chemin du baptême, cet appel à la sainteté, et la grâce de vie que le Seigneur veut leur offrir ?

Je suis très marqué depuis la publication d'Amoris Laetitia du pape François par ces 4 verbes qui marquent son texte et qui sont comme une boussole pour notre agir pastoral : accueillir, accompagner, discerner, intégrer. Accueillir chacun là où il est, là où il en est, comme il est, pour pouvoir faire un bout de chemin ensemble. Accompagner donc. Et pour cela discerner ensemble, à l'écoute de ce que l'autre porte et de ce que Dieu peut vouloir souffler en lui, discerner les chemins possibles, discerner où Dieu veut le conduire et nous conduire. Pour intégrer. Car le but sera toujours d'accueillir vraiment, jusque là. Le fameux « todos, todos, todos » qu'a martelé le pape François aux dernières JMJ de Lisbonne.

Ce livre – j'y reviens – part donc de ce constat : il y a autour de nous des personnes homosexuelles, certaines sont baptisées et veulent vivre un authentique chemin avec le Christ et à sa suite. Authentique donc sans nier ce qu'elles sont profondément, mais en vérité, avec le Christ. Et elles sont là à notre porte, qui demandent d'être écoutées en ce qui peut être blessé ou douloureux de leur histoire et dans leur aspiration à vivre de l'Evangile. Et certaines sont en couple. C'est un fait, un constat. Et leur couple est un vrai lieu ou chemin d'épanouissement, d'acceptation d'eux-mêmes et de leur histoire, de fidélité aussi et de compagnonnage dans leur vie à la suite du Christ. Que leur dire ? Que leur proposer ?

Ce livre essaye juste de poser cela. Et d'envisager une théologie morale qui regarde cela positivement pour accueillir l'autre tel qu'il est et pouvoir cheminer ensemble. Ces pages sont passionnantes. Mais elles sont aussi difficiles, car denses, pas très simples à lire, faisant appel à pas mal d'auteurs. Et ça peut en plus nous bousculer.

Je ne sais trop quoi en dire de plus, je ne sais trop dire qu'elles en sont les idées fortes qu'il faudrait entendre et retenir. J'ai juste envie de dire : ça nous met en chemin. Et je crois qu'il le faut. 

Je ne savais trop s'il fallait en écrire ces lignes ici, à qui ça peut servir, ni même si ça sert. J'entends toutefois l'urgence à accueillir et à marcher ensemble, l'urgence à discerner ce que le Seigneur veut pour chacun et comment aider et nous aider à déployer en nos vies la grâce de notre baptême.

Dieu vient nous sauver en Jésus-Christ et ouvrir pour chacun de nous des chemins de réconciliation. N'y-a-t-il pas là quelque chose à entendre ? Dieu nous invite à être miséricordieux comme lui est miséricordieux. Non sans exigence de vérité et de fidélité à ses appels. Mais justement, quels sont-ils ? Je suis très frappé ces dernières semaines et ces derniers mois par l'appel d'évangile à « délier » : tout ce que nous aurons lié ici-bas restera lié au Ciel, tout ce qui sera délié ici-bas sera délié au Ciel. Délier. Ne pas lier l'autre à sa part fragile, ne pas l'enfermer, mais cheminer ensemble. Et cheminer à l'écoute de ce qu'il vit, de ce qu'il est, sans faire semblant ou sans vouloir que l'autre soit dans nos cases morales et bien pensantes. Notre humanité est fragile, nos chemins sont parfois blessés. Et nous sommes chacun tels que nous sommes. Comment avancer là ?!

Je ne remets nullement en doute ici la question du mariage et de la famille comme chemin de vie voulu par Dieu, tel que nous le présente la livre de la Genèse et le Christ le reprenant à son compte. Mais j'entends aussi que d'autres vivent une altérité radicale à ce modèle, que c'est inscrit en eux et que Dieu ne peut vouloir les exclure à cause de cela. Et donc qu'un chemin est à vivre. Et donc à accompagner.

Ce livre, à sa façon, tente de penser cela. Il me semble qu'on y bute régulièrement sur une question pas tellement traitée et qui est un des noeuds du problèmes de la doctrine : la question de la sexualité. Je ne développe pas, je ne saurais qu'en dire... Mais il y a là quelque chose à travailler encore, je crois... Tout comme il faudrait travailler à plusieurs ces pages pour discerner ensemble des chemins d'accueil et d'accompagnement du réel de la vie à laquelle les uns et les autres sont confrontés...

Je terminerai par quelques lignes des pages conclusives, qui disent finalement et pour une part le pourquoi de ce livre : « il me semble que nous ne sommes pas appelés à chercher d'abord des solutions disciplinaires (ce qui est permis et ce qui serait défendu), mais à prendre en considération les personnes, avec leurs situations concrètes. Cheminement est un terme qui a beaucoup d'implications. Il indique qu'un chemin est ouvert, et non pas fermé, et que sur ce chemin, il s'agit d'avancer, en pratiquant non pas des contrôles douaniers, mais le respect et la confiance à l'égard des personnes, en acceptant d'être évangélisés par ces rencontres (...). Nous avons besoin de nous écouter, d'aller au-delà des préjugés ou des rumeurs, pour participer ensemble à l'engagement du Christ quand il vient tout assumer de notre condition humaine. Cela signifie qu'il faut élargir nos horizons. (...) Mon objectif n'est pas de dynamiter la morale catholique mais de contribuer à sa réorganisation en tenant compte de tout ce qui met l'amour humain à l'épreuve, pour bien des personnes, qui ne doivent pas s'exclure elles-mêmes de l'Eglise ou se sentir exclues. (...) Le lieu primordial où Dieu travaille, ce sont nos consciences, nos coeurs, nos corps, nos relations, nos amours, nos amitiés et, dans ces domaines si sensibles, rien ne pourra nous séparer de l'Amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ (Rm 8,39). L'homosexualité convie d'abord à réinvestir la condition humaine et ses particularités. Elle incite ensuite à saisir le visage du Christ là où les mots manquent encore pour le décrire. Elle réinterroge enfin les formes légitimes de reconnaissance des uns par les autres, sur la ligne de crête entre doute et certitude, besoin et désir, perfection et sanctification. (...) Grandir sous le regard de Dieu devient primordial, quand l'homosexualité est comprise à l'intérieur de l'incarnation. Le Christ comme figure de confiance accomplie en l'humanité devient une figure de libération. Une telle vision incarnée du salut, fraternelle et ouverte surtout, traduit la maturation d'une conscience croyante en devenir. De la même manière que Dieu s'est humanisé en Jésus, l'homme est appelé à parcourir l'itinéraire de sa propre humanisation. Les défis à honorer deviennent ceux de l'identité chrétienne dans la diversité des situations et de la fraternité humaine qui sollicitent édification commune et reconnaissance réciproque » (p.223-225)...

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Bruno Vandenbulcke, Le couple homosexuel et la vie baptismale. Repères éthiques pour la vie chrétienne, Lessius, coll. La part-Dieu, avril 2023, 237 pages (petit format), 14€.