25 Février 2024
2ème dimanche de Carême – Année B
Gn 22,1-2.9-13.15-18 / Ps 115 / Rm 8,31b-34 / Mc 9,2-10
La question qu’il faut qu’on se pose, là maintenant, c’est : qu’est-ce que ces textes nous disent de ce carême ? Pour le dire autrement : c’est quoi l’enjeu de ce qu’on vient d’entendre, non seulement de ce qui nous a été raconté, mais pour nous aujourd’hui ?
J’ai envie de commencer ces mots d’homélie en relisant avec vous la prière d’ouverture de cette messe. Qu’est-ce qu’on a demandé au Seigneur ? « Seigneur Dieu tu nous a dit d’écouter ton Fils bien-aimé – jusque-là ça va ! et c’est même ce qu’on vient d’entendre dans l’évangile – ; fais-nous trouver dans ta parole la nourriture spirituelle, afin que, d’un regard purifié, nous ayons la joie de contempler ta gloire » …
Il s’agit donc d’écouter la Parole – ce qu’on vient de faire – pour y trouver notre nourriture spirituelle – et donc ce qui va nous fortifier pour avancer, pour avancer sur le chemin de la vie avec le Seigneur et notamment pour avancer sur ce chemin du carême. Et l’enjeu c’est quoi ? c’est de voir mieux la gloire de Dieu, c’est de contempler sa gloire et que ça nous mette en joie profonde. Pour le dire autrement : c’est de comprendre mieux qui est Dieu et que ce soit chemin de bonheur pour nous. Ni plus ni moins.
Et c’est donc ça l’enjeu de notre carême : progresser dans notre connaissance et notre relation à Dieu, à l’écoute des appels de sa Parole, pour trouver là notre chemin de bonheur. Et le temps du carême c’est ce temps qui nous est donné pour refonder cela au fil de jours, pour nous laisser renouveler dans notre désir de suivre le Christ.
Pour ce faire : écouter le Parole et contempler le Christ… Facile, non ? Alors écoutons ce qui nous est raconté et voyons ce que ça nous dit du Christ que nous voulons suivre et donc à quoi ça peut nous appeler. Tout simplement.
Un « tout simplement » relatif, parce que pour de vrai c’est de fait plus simple avec la page d’évangile qu’on vient d’entendre qu’avec la 1ère lecture qui peut nous heurter ou au moins nous interroger : c’est quoi cette histoire, ce Dieu qui demande à Abraham de mettre à mort son propre fils ? Je vais y revenir…
Ce qu’il nous faut entendre d’abord de l’ensemble des textes de ce jour c’est la visée que ça indique, la direction qui nous est proposée : le Christ, dans l’évangile, nous donne à voir ce vers quoi nous marchons, il nous donne à voir ce qui doit orienter notre regard pour vivre ce temps du carême comme un temps de préparation à ce qu’il veut nous révéler – ce qu’il va révéler d’existentiel pour notre vie à tous – à savoir : sa résurrection. Ce que nous allons célébrer à Pâques.
Et cette scène étonnante de la Transfiguration c’est bien un avant-goût de ce qui va se passer. Jésus le leur dit d’ailleurs quand il leur demande de ne rien raconter avant qu’il ne soit ressuscité. Mais il leur laisse entrevoir cela pour qu’ils comprennent mieux ce qui va se jouer dans sa mise à mort qui vient, qu’ils sachent qu’il ne faudra pas en rester aux apparences premières et immédiates qui vont sembler la fin de tout et l’échec de la prédication de Jésus.
La 2ème lecture nous a dit quelque chose de cela, ce qui s’annonce, cette mort mais plus encore cette résurrection promise, cette promesse et cette assurance qu’avec le Christ, le Christ ressuscité, la vie et le don de soi par amour sont et seront plus forts que tout mal et que toute mort. Malgré les apparences premières et immédiates.
J’insiste par ce que c’est exactement le mystère de notre vie à nous aussi, celui de la traversée de nos épreuves, celui de la souffrance et du mal qui parfois nous cloue au sol. On se demande alors qu’est-ce que fout le bon-Dieu, certains se demandent à quoi ça sert, si ça peut même être une épreuve qu’il nous envoie pour nous punir de je ne sais quoi ou pour tester notre foi ou parce qu’on aurait la force d’en faire quelque chose ? C’est des questions que certains se posent et qui parfois nous habitent – on essaye de trouver des justifications à ce qui nous arrive et qu’on ne comprend pas.
Et en cela on est bien comme Abraham dans la 1ère lecture : finalement on se contenterait de justifications tordues pour se rassurer : Dieu a un plan et donc ça va aller. Dieu peut faire jaillir le bien d’un mal qu’il nous demanderait de supporter… Mais c’est quoi cette façon de penser ? Ce serait quoi ce Dieu ?
Alors oui, c’est vrai, il y a ce récit du sacrifice d’Isaac. On ne va pas faire comme si on ne l’avait pas entendu. Et c’est vrai, il y a cette affirmation de St Paul que Dieu a livré son Fils à la mort. Ça veut dire quoi tout ça ?
Dieu qui « livre » son Fils à la mort, c’est Dieu qui consent à ce que son propre Fils traverse cette épreuve du mal et de la mort qui est inhérente à notre condition humaine à tous. Il n’épargne pas son Fils parce que c’est son Fils, justement, mais il le « livre », il le laisse être livré à la mort à cause de la violence des hommes et de notre péché, il le fait parce que Jésus assume complètement notre condition humaine et que par là-même il ouvre pour nous ce passage de la mort à la vie, ce passage par la mort pour nous ouvrir à sa vie.
Et de fait Jésus n’a pas sauvé sa peau, mais en consentant à ne pas reculer devant cette mort qui devient inéluctable, en consentant à être donné pour de vrai par amour et jusqu’au bout – ce qui va le conduire à la mort –, il nous indique le chemin : Dieu sauve, Dieu sauve malgré les apparences premières et immédiates. Ce sera le troisième jour et c’est ce mystère de la résurrection, ce mystère qui demande que nous puissions l’accueillir comme une « Bonne nouvelle ». Et c’est bien pour cela que le carême est un temps pour refonder notre désir d’entendre et d’écouter le Christ, ce temps pour purifier nos cœurs aussi de nos égoïsmes et de ce qui nous empêche de suivre vraiment le Christ. Pour que cette Bonne nouvelle puisse trouver place et résonance en nous, et que jaillisse alors notre joie – et nos Alléluias –, la joie de proclamer que Dieu est bien le Dieu sauveur, celui qui peut et qui va nous sauver de tout mal et de toute mort.
Alors oui, pourtant, il y a ce récit d’Abraham et du sacrifice d’Isaac. C’est une annonce, vous l’aurez compris, une annonce de Dieu qui va consentir au sacrifice de son propre Fils pour nous ouvrir à la vie. Et c’est un appel à interroger nos images de Dieu, et plus encore nos intuitions de ce que Dieu semblerait nous dire. Dieu a-t-il vraiment demandé de mettre à mort Isaac ? Il a demandé à Abraham de lui offrir son fils en sacrifice. Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Ce fils qui est en plus celui par qui Dieu a promis une descendance aussi nombreuse que les étoiles dans le Ciel ! Dieu reviendrait-il sur sa promesse ?
On a l’impression qu’Abraham ne se pose aucune question. Or Dieu a bien fait cette promesse. Abraham l’a entendue tout autant qu’il entend cet appel à offrir son fils en sacrifice. Si offrir son fils en sacrifice c’est le mettre à mort, comment Dieu va-t-il tenir sa promesse ?
Je me suis toujours demandé qu’est-ce qui avait pu se passer dans la tête d’Abraham ? Je crois qu’Abraham a confiance en Dieu. Il ne comprend pas ce que Dieu lui demande – et pour cause ! – mais il sait que Dieu va tenir promesses. Ce qui arrive. Et c’est cela qu’il faut nous qu’on entende : Dieu tient promesses. Il nous promet la vie – la vie plus forte que tout mal et que toute mort –, eh bien croyons-le. Et nous allons découvrir que c’est cela donner sa vie en sacrifice, c’est faire de nos vies un témoignage de cette promesse, et nous donner par amour aux autres – j’allais dire : quoi qu’il en coûte – ; et se donner par amour c’est vivre les appels de l’Évangile. Tout simplement. Et donc concrètement.
Et pour vivre les appels de l’Évangile, il faut tout d’abord les écouter. Et c’est bien ce que nous a dit l’évangile de ce jour comme la prière d’ouverture. Et comment on écoute ? En ouvrant le livre des Écritures et en apprenant à contempler dans la Loi et les prophètes – que symbolisent Moïse et Elie –, en apprenant à entendre dans les livres du Premier Testament, comment Dieu se révèle petit à petit et comment se prépare la venue de son Fils et qui il est. Et puis en l’écoutant lui aussi, lui le Christ, en ouvrant les évangiles et en priant ces textes où il se révèle à nous...
Prier c’est se tenir sur la montagne avec Dieu lui-même. C’est s’arrêter pour contempler et pour écouter : que veux-tu me dire Seigneur ? Qu’est-ce que tu veux me révéler de toi et de tes appels, par ces récits ? En quoi ça peut me concerner, qu’est-ce que tu veux me dire ? Et c’est demander au Seigneur qu’il nous éclaire et qu’il nous accompagne dans ce qu’il y aura à vivre concrètement de ce que nous aurons entendu peut-être se murmurer en nous…
Et ces textes de la Parole de Dieu, l’enjeu de les lire, de les écouter, de les prier, c’est que nous aurons là le critère pour savoir si ce que nous croyons entendre en nous comme appels de Dieu, si ça vient bien de lui, si c’est fidèle à ce qui s’annonce et se révèle et aux appels que ça nous adresse. Car Dieu n’a qu’une Parole, Dieu est fidèle à ses promesses, Dieu a tout dit dans son Fils unique qui est sa Parole qu’il nous adresse pour tout-jours.
Alors écoutons... Et profitons de ce temps du carême pour nous obliger un peu plus à lire ces textes au fil des jours et à nous demander : qu’est-ce qu’on nous raconte, comment ça peut me parler à moi aujourd’hui, et du coup qu’est-ce que je peux en faire et en vivre à ma petite mesure.
Demandons au Seigneur la grâce et le désir de nous y mettre, de vouloir écouter sa Parole, un jour après l’autre. Et que ça nous renouvelle dans notre marche à sa suite. Amen.