27 Mars 2025
On m’avait dit : c’est très différent comme style, j’ai pas aimé, c’est dommage, etc. Du coup je ne m’y était pas mis et j’hésitais grandement.
De fait c’est très différent. Ça c’est sûr. C’est même dérangeant, ce qui là se raconte, et cette espèce de violence qui semble aller grandissante. Peut-être ça peut mettre mal à l’aise, oui, peut-être. Mais c’est sûrement le roman de Mélissa Da Costa le plus « littéraire ». Et c’est bluffant en fait. C’est tellement bien construit, tellement bien mené, intéressant aussi dans ce que ça nous fait découvrir de ce monde de la création artistique dans lequel ça nous plonge !
Alors oui, c’est différent, oui ce peut être dérangeant, ce « romantisme noir » et ces Goya et toiles d’autres maîtres peintres tellement sombres, cette femme aussi et son mari, leur relation ambiguë à notre héroïne et ce qu’ils attendent d’elle, et ce mythe de Lilith et comment ce roman en est finalement une sorte de mise en scène contemporaine. Mais ça donne quelque chose de pourtant vraiment réussi dans son genre, je trouve… Étonnant, dérangeant, troublant, intrigant, mais aussi intéressant, prenant et original…
Concrètement il s’agit de quoi ? Clara et Pierre Manant vont embaucher Evie pour qu’elle soit l’assistante de Clara. Pour l’aider à promouvoir son œuvre et son nom d’artiste. D’assistante elle va devenir « doublure » et se retrouver entraînée dans un monde culturel qu’elle découvre. Et plus que cela, même, dans l’intimité d’un couple aux rapports complexes. Les sentiments passionnels des uns et des autres et la drogue vont rendre tout cela très ambigu et finalement assez violent dans les rapports entre eux, où tout se mélange. Et puis ces secrets et mensonges qui vont naître et s’ajouter là au milieu – tout cela pourrait devenir dangereux…
Serait-ce une mise en récit d’une forme de puissance destructrice du mal qui, si on n’y prend garde et si on se laisse faire, peut s’immiscer l’air de rien dans notre vie et dans nos rapports les uns aux autres, voire nous échapper alors, si on consent imprudemment à « jouer avec le feu », et nous entraîner loin, et même bien plus loin qu’on aurait pu l’imaginer ?!
Le roman est construit en trois parties qui reprennent – et développent ou illustrent – le récit d’Adam et Ève dans la Genèse : Le jardin d’Éden, La tentation, et La chute. Et c’est finement vu… mais terrible et même démoniaque, une fois croisé avec ce mythe de Lilith – une version libre et libertaire d’une femme première, antérieure à Ève, une sorte d’égale d’Adam qui aurait pris sa liberté et épousé le mal pour se venger d’une domination à venir !? Ce roman, en tout cas, est littérairement assez réussi, très bien construit, avec un vrai scénario et une originalité réelle, travaillée, et sans doute documentée…
Et je le redis, c’est de fait vraiment un autre style que les autres romans de la même Mélissa Da Costa, mais c’est celui qui me paraît le plus « abouti » littérairement parlant. Et c’est bien l’intérêt en fait – même si j’avais bien aimé tel ou tel des précédents et leur style assez commun à tous, notamment son premier, Tout le bleu du ciel, mais aussi celui en deux volets que sont Je revenais des autres et Les douleurs fantômes, et son tout dernier, Tenir debout…
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Mélissa Da Costa, La doublure, Le Livre de Poche, octobre 2023 (Albin Michel 2022), 698 pages, 10€40.