12 Octobre 2021
On ne le sait que trop et on aura malheureusement mis trop de temps à l'entendre vraiment, il nous faut écouter le cri des victimes. Et ce livre en est une mise en récit. Pudique et sobre mais qui dit avec force ce qui se vit dans le silence dans lequel peut s'enfermer une victime d'abus sexuel et le chemin difficile, douloureux mais salutaire d'une mise en mots de ce qui fut un jour subi...
L'auteur de ces pages est prêtre, religieux jésuite, enseignant à la faculté de théologie des jésuites à Paris. Son métier, dira-t-il, c'est la parole. Dire, annoncer, expliquer, donner à se forger une pensée. Et pourtant, quant à sa propre histoire, ce fut le silence, l'incapacité de mettre en mots, et même ne plus savoir qu'un jour il fut abusé. Un déni terrible. Mais qui chercha à se frayer un passage, par son corps qui durant des années le fit souffrir, lui donna des alertes, mais qu'en faire quand on s'est enfermé dans une sorte de mutisme protecteur et qu'une forme d'oubli vous a pris pour tenter de sauver sa peau et vivre malgré tout ?
Et voilà qu'un jour un mot, une parole, viennent mettre en branle tous les espèces d'équilibres qui s'étaient mis en place, et petit à petit ce sera la prise de conscience. De 40 ans de déni, et d'une rage intérieure qui voulait s'exprimer et se transformait parfois en colères un peu démesurées…
Avec cette mise en mots progressive va venir un sentiment de honte et de culpabilité à ce qui fut pourtant subi, et le sentiment que la vie se disloque. Que faut-il faire ? Avec ce besoin de vérité qui s'impose, de justice aussi...
Tout cela ne sera pas sans questions sur les choix de vie que notre homme a posés... A-t-il d'ailleurs vraiment choisi, se demandera-t-il ? Être prêtre par exemple quand on a soi-même été abusé par un prêtre ? Être homme d'une Parole – et de paroles – par l'enseignement, quand on n'a pas su se dire sa propre histoire ? Il va falloir avancer, refonder, choisir la vie...
Le récit de Patrick Goujon est sobre et pudique, assez court et très bien écrit. Il nous aide, je crois, à entendre, à prendre mieux conscience des mécanismes d'auto-défense, qui sont dans un même mouvement « salutaires » – car « obligés » pour survivre – mais au final destructeurs. Il nous aide à entendre le cri des victimes et leur appel à vivre et pour cela à pouvoir mettre en récit l'indicible, ce qui ne peut se faire seul, sans aide et sans recherche de la vérité, donc sans justice. C'est un chemin douloureux, mais salutaire. Ces pages en témoignent à leur mesure...
Et elles sont aussi – notamment dans les derniers chapitres du livre – une très belle confession de foi d'un homme qui a voulu et appris à mettre ses pas et sa vie en quête de Dieu...
--------------
Patrick C. Goujon, Prière de ne pas abuser, Seuil, octobre 2021, 93 pages, 12€.